Le nom grec ancien de la jusquiame est hyoscymos, littéralement "fève de porc". C'est le Pseudo-Dioscoride qui fait la relation entre hyoscyamos et belinuntia (Pseudo-Dioscoride, Sur la matière médicale, IV, 6).
Dioscoride (Sur la matière médicale, IV, 59) en distingue trois espèces:
- Deux espèces dangereuses qui endorment et font perdre l'esprit,
- Une espèce moins dangereuse utilisée en médecine.
Dioscoride utilisait plusieurs composants de la plante:
- la liqueur, faite d'herbe fraîche pilée, servait en collyre, dans un but antalgique. Instillé localement, il servait aussi aux catarrhes, aux douleurs de l'oreille, et "aux défauts des lieux secrets des femmes (sic)". Il l'utilisait soit en collyre, soit en boisson contre la diarrhée, les maux d'oreilles, les affections de l'utérus, et avec de la farine en application locale contre les "ophtalmies" et "toutes les inflammations, en particulier celles des pieds".
- les feuilles: "trois ou quatre feuilles avec du vin guérissent les fièvres".
- la racine: "une décoction de la racine dans du vinaigre, en bain de bouche pour les maux de dents".
Mais Dioscoride précise que son emploi est difficile, car elle peut provoquer "la même folie que l'ivrognerie de vin" (Dioscoride, Sur la matière médicale, VI, 15).
Pline nous donne aussi cette notion et fait remarquer que "la plante a la nature du vin, et c'est pourquoi elle trouble l'esprit et porte à la tête". Il utilisait les mêmes composants de la plante que Dioscoride mais objectait, d'une part que l'emploi de la racine est un "traitement fort risqué", et d'autre part que "les feuilles mêmes dérangent l'esprit si l'on en prend plus de quatre"; et Pline de se surprendre en constatant qu'on "force même les poisons à être salutaires". Il la conseillait pour "chasser la fièvre" et contre la toux. Pour ceux qui toussent, il fallait faire brûler la plante desséchée et en inspirer les vapeurs (Pline, Histoire Naturelle, XXV, 36-37).
Le Pseudo-Apulée, quant à lui, l'utilisait simplement pour les blessures, en application locale, avec de la vieille axonge sans sel (Pseudo-Apulée, Herbarius). (L'axonge est la graisse fondue des animaux, en particulier des porcs. L'axonge est communément appelée saindoux.)
Tous les composants de cette plante sont toxiques, surtout la graine. Prise per os, cette plante induit des effets périphériques para-sympathicolythiques et des effets neurologiques centraux, pouvant aller jusqu'au délire de type hallucinatoire.
Actuellement, toute ingestion accidentelle de jusquiame nécessite une hospitalisation, même si les intoxications sont peu graves (seules les graines sont vraiment riches en alcaloïdes (atropine, scopolamine) et donc réellement toxiques; la plante entière est moins riche et son odeur repousse plus d'un consommateur accidentel... L'odeur nauséabonde de la jusquiame est due à de la tétraméthylputrescine (Bruneton, Pharmacognosie - Phytochimie - Plantes médicinales, p.657)
Au Moyen-Age la jusquiame était considérée comme l'accessoire inséparable des manoeuvres ténébreuses du satanisme, et était classée parmi les substances vénéneuses dont le nom seul devait inspirer de l'horreur. Ce n'est qu'en 1762 que les médecins recommencèrent à l'utiliser per os.
Les Romains appelaient la jusquiame Apollinaris, "la plante d'Apollon". Les Gaulois l'appelaient belinuntia. Son nom est dérivé du nom du dieu solaire Bélénos, un des surnoms de l'Apollon celtique. Cette plante dangereuse, était-elle utilisée à des fins divinatoires par les seuls initiés ou servait-elle, par le coma induit, à provoquer chez le malade, un "sommeil réparateur", ou un "sommeil prophétique", ou encore une véritable anesthésie avant une intervention chirurgicale? Quoiqu'il en soit, la notion de "sommeil" est ici fondamentale, et il est probable que la jusquiame était utilisée dans cette optique. Il est intéressant de noter qu'en breton, la jusquiame est appelée louzaouen ar c'housked, c'est-à-dire "herbe du sommeil" (Y. Rouxeville, Contribution à l'étude de la médecine de tradition celtique, Thèse - Médecine, Angers, 1968, p. 40).
Sources
• J. Bruneton, Pharmacognosie-Phytochimie-Plantes médicinales, 2e ed, Lavoisier, TEC DOC, Paris 1997
• Y. Rouxeville, Contribution à l'étude de la médecine de tradition celtique, Thèse - Médecine, Angers, 1968.
• Pierre Louarn pour l'Arbre Celtique
Liens analogiques
• belenion / belenuntia (jusquiame / apollinaire) [ mots et étymons de la langue gauloise : arbres et plantes ] • Belenos [ divinités gauloises & gallo-romaines (de Baco à Buxenus) (Les) ] • beleño : (jusquiame) [ mots espagnols (castillans) d'origine celtique (Les) ]