Campagne de Tibère contre les Dalmates et les Pannoniens [-11]
Campagne de Tibère contre les Dalmates et les Pannoniens (11 av. J.-C.)
En 12 av. J.-C., Tibère mena une campagne contre les Pannoniens révoltés, au cours de laquelle il remporta un certain nombre de batailles décisives et infligea de très nombreuses pertes à ses adversaires. À cette occasion, les Romains s’assurèrent le contrôle de la Pannonie, soit l’ensemble des territoires situés entre les vallées de la Save et de la Drave, jusqu’au Danube, si bien que seules les populations illyriennes du coeur des Alpes dinariques échappaient encore à leur contrôle. Alors que les populations des vallées de la Save et de la Drave, semblaient pacifiées, en 11 av. J.-C., les Dalmates se soulevèrent à leur tour, ouvrant ainsi un second front plus au sud. Tibère laissa donc une partie de ses troupes chez les Pannoniens, pour les tenir en respect, et engagea une guerre contre les peuples qui échappaient encore à son contrôle (Histoire romaine, LIV, 34).
Qui étaient ces Δελμάτας mentionnés par Dion Cassius (Histoire romaine, LIV, 34) ? À l’instar de la notion de Pannoniens, qui désigne chez les auteurs ayant travaillé sur les conquêtes de Tibère des réalités fort différentes, la notion de Dalmates dissimule des réalités difficilement conciliables. En effet, Dion Cassius évoquait-il le peuple illyrien des Dalmates, ou, auteur du IIIe s., évoquait-il plus largement les populations de la province romaine de Dalmatie ? Dés 1937, R. Syme soulignait que les sources relatives à ce conflit sont généralement postérieures aux évènement, et à ce titre utilisent fréquemment une terminologie anachronique. Il soutenait également que les récits relatifs à la grande révolte pannonienne (6-9 ap. J.-C.) indiquent sans le moindre doute qu’à cette époque, l’ensemble des peuples illyriens étaient passés sous le contrôle de Rome, et que seules les campagnes de Tibère auraient pu aboutir à cet état de fait. A. Domić Kunić (2006) se range souscrit à cet avis et invite à identifier derrière cette notion de "Dalmates" les seuls peuples des Alpes dinariques qui n’avaient pas encore été soumis par les Romains, à savoir les Maezéiens, les Ditions, les Daesitiates et les Pirustes. Leur supposée agitation fut bien entendu un prétexte, puisque jamais Tibère n’aurait laissé une aussi vaste et riche enclave, hors de contrôle, au coeur même de la province d’Illyrie. Une allusion à ces populations illyriennes des Alpes dinariques, alors vaincues, est possiblement perceptible derrière l’expression summaque dispersi per iuga Pannonii, dans la Consolation à Livie Augusta d’Ovide (ligne 390).
Cette conquête, fort peu documentée, fut cependant semée d’embûches. En effet, selon Dion Cassius, profitant de l’absence de Tibère et du départ de la majeure partie de son armée vers la future Dalmatie, une partie des Pannoniens subjugués l’année précédente en profitèrent pour se soulever à leur tour. Dés lors, Tibère dut affronter deux révoltes simultanées, en se transportant tour à tour sur chacun des deux fronts (Histoire romaine, LIV, 34). L’identité des Pannoniens qui relancèrent les hostilités est délicate à déterminer. Un court et imprécis passage de la Vie de Tibère, par Suétone, pourrait laisser entendre que cette nouvelle insurrection ait pu concerner plus spécifiquement les Breuces (Vies des douze César : Vie de Tibère, IX).
Au terme de cette dernière campagne, l’ensemble de l’Illyrie paraissait pacifiée, mais Tibère n’ignorait aucunement que cette paix n’était que très précaire. Aussi, il confia les territoires conquis, et plus généralement l’ensemble de la province, à l’empereur (Dion Cassius, Histoire romaine, LIV, 34), impliquant donc le maintien de garnisons et un gouvernement militaire par un légat d’Auguste propréteur ou un procurateur (1). Les craintes de Tibère ne tardèrent pas à se concrétiser, puisque dés l’hiver suivant, ces régions furent tour à tour menacées par des incursions menées par les Daces et une nouvelle révolte causée par la perception du tribut.
Notes
(1) De manière étonnante, malgré la position frontalière de cette province et les troubles récurrents qui l’agitaient, l’Illyrie était jusqu’alors une province sénatoriale.
Sources littéraires anciennes
Dion Cassius, Histoire romaine, LIV, 34 :"Tibère soumit les Dalmates qui s'étaient soulevés et ensuite les Pannoniens qui avaient profité de son absence et de celle de la plus grande partie de son armée pour se révolter, en faisant aux deux peuples à la fois une guerre qu'il transportait tantôt ici tantôt là ; exploits qui lui valurent, entre autres honneurs, ceux qui avaient été décernés à Drusus. A la suite de ces mouvements, la Dalmatie fut remise à la garde d'Auguste, comme ayant, par elle-même et par son voisinage de la Pannonie, besoin d'être toujours gouvernée militairement."
Ovide, Consolation à Livie Augusta, lignes 379-392 :"Si tu es née dans un rang si élevé ; si tu as donné le jour à deux héros ; si tu es alliée au grand Jupiter ; si César, après chaque nouvelle victoire remportée sur le monde, est toujours revenu vers toi ; s'il a toujours été heureux dans ses entreprises ; si tes espérances maternelles ont été remplies par les deux Nérons ; si tant de fois ils ont vaincu les ennemis ; s'ils ont eu pour témoins de leur valeur, et le Rhenus et les vallées des Alpes, et l'Isargus aux eaux rougies par le sang noir qui les infectait, et le Danuvius impétueux, et le Dace Apulien relégué aux extrémités du monde et vers lequel le chemin le plus court est le Pont-Euxin, et l'Arménien mis en fuite, et le Dalmate enfin suppliant, le Pannonien traqué jusqu'aux sommets de ses montagnes, et la Germanie tout entière, jusqu'alors inconnue des Romains ; que de bienfaits de la fortune pour une seule de ses rigueurs !"
Suétone, Vies des douze Césars : Vie de Tibère, IX :"Il fit les guerres de Rhétie, de Vindélicie, de Pannonie et de Germanie. Dans celle de Rhétie et de Vindélicie, il soumit les peuples des Alpes ; dans celle de Pannonie, les Breuces et les Dalmates ; dans celle de Germanie, il transplanta dans les Gaules quarante mille hommes qui s'étaient rendus à discrétion, et leur assigna des demeures sur les bords du Rhenus."
Sources
• A. Domić Kunić, (2006) - "Bellum Pannonicum (12-11 BC). Posljednja faza osvajanja Južne Panonije", Vjesnik Arheološkog muzeja u Zagrebu, XXXIX, pp.59-164
• R. Syme, (1937) - "Augustus and the South Slav lands", Revue internationale des études balkaniques, vol.3, pp.33-46
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique