Sur la classe sacerdotale des Gaulois, nous disposons de sept textes qui rapportent, à quelques détails près, le même contenu: César, Guerre des Gaules, VI, 13-14 et 18; Strabon, Géographie, IV, 4, 4; Pomponius Méla, Chorographie, V, 2, 18; Ammien Marcellin, Histoires, XV, 9-12; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 31; Lucain, La Guerre civile, 448-465; Dion Chrysostome, Discours, 49, 8.
En dispersant les informations contenues dans ces textes dans un tableau et en les mettant en parallèles, il est possible de proposer une reconstitution du texte initial, source de tous les autres.
Posidonios, XXIII, d'après Athénée
César
Strabon
Pomponius Mela
Ammien Marcellin
Diodore de Sicile
Lucain
Dion Chrysostome
Chez tous en général il y a trois castes
Cependant les Gaulois ont une certaine érudition et des maîtres de la sagesse, les druides
En ces lieux, les hommes, se civilisant peu à peu,
Vous aussi, vates [...], ô bardes, et vous druides [...]
Les Celtes emmènent avec eux, même à la guerre, de ces commensaux qu'on appelle parasites. Ces parasites célèbrent les louanges de leurs patrons et devant des assemblées nombreuses et même devant quiconque veut bien en particulier leur prêter l'oreille. Ces personnages qui se font entendre ainsi sont ceux qu'on appelle bardes: ce sont aussi les poètes qui dans leurs chants prononcent ces éloges.
Les bardes sont chantres d'hymnes et poètes
Ces bardes chantèrent les hauts faits des hommes illustres en vers héroïques accompagnés des doux accords de la lyre
Il y a chez eux des poètes lyriques qu'ils nomment bardes: ces poètes accompagnent avec des instruments semblables à des lyres leurs chants qui sont tantôt des hymnes, tantôt des satires
Vous avez semé sans crainte de nombreux chants, ô bardes
Les vates, sacrificateurs et interprètes de la nature
Les euhages, par de sérieuses investigations, s'efforçaient de révéler et la force, et les sublimes merveilles de la nature
Enfin ils se servent de devins à qui ils accordent une grande autorité. Ces devins, c'est par l'observation des oiseaux et par l'immolation des victimes qu'ils prédisent l'avenir
Mais c'est quand ils consultent les présages pour quelques grands intérêts, c'est alors surtout qu'ils suivent un rite bizarre, incroyable. Après avoir consacré un homme, ils le frappent avec une épée de combat dans la région au dessus du diaphragme, et quand la victime est tombée sous le coup, ils devinent l'avenir d'après la manière dont elle est tombée, l'agitation des membres et l'écoulement du sang. C'est un genre d'observation ancien, longtemps pratiqué et en qui ils ont foi
Il y a aussi des philosophes et des théologiens qui se nomment druides
Les Celtes, d'après ceux qu'ils appellent druides, s'adonnent aussi à l'art de la prophétie et à la sagesse en général
Ils veillent à l'observation des rites dans les sacrifices publics et privés
Ils règlent les pratiques religieuses
Un grand nombre d'adolescents vient à eux pour s'instruire
Ils sont très honorés
A qui l'on rend des honneurs extraordinaires (aux trois castes)
[les hommes] mirent en honneur l'étude des louables sciences ébauchées
À qui l'on rend les plus grands honneurs
C'est à eux qu'il revient de trancher les contestations entre les Etats et les particuliers si quelque crime est commis
On a la plus haute opinion de leur justice: à ce titre on s'en remet à eux du jugement de tous les litiges privés ou publics
C'est à ce point qu'autrefois ils étaient arbitres même dans les guerres, arrêtaient les adversaires prêts à se ranger en bataille
Non seulement dans les nécessités de la paix, mais encore et surtout dans les guerres, on se confie à ces philosophes et à ces poètes chantants, et cela, amis comme ennemis. Souvent sur les champs de bataille, au moment où les armées s'approchent, les épées nues, les lances en avant, ces bardes s'avancent au milieu des adversaires et les apaisent, comme on fait avec les bêtes farouches avec des enchantements. Ainsi chez les barbares les plus sauvages la passion cède à la sagesse et Arès respecte les Muses
Si quelque crime est commis
Et qu'on leur confiait le soin de prononcer dans les affaires de meurtre
Lorsqu'abondent ces sortes de jugements, ils estiment que c'est signe d'abondance pour le pays
S'il y a un différent pour une question d'héritage ou de bornage, ils jugent l'affaire
Ils déterminent les indemnités et les amendes
Tout particulier, tout peuple qui ne s'est pas soumis à leur décision est exclu des sacrifices
C'est chez les Gaulois le châtiment le plus grave
Ceux qui sont ainsi exclu sont mis au nombre des impies et des criminels
Tout le monde s'éloigne d'eux, fuit leur abord et leur entretien, de peur d'être souillé à leur contact
Il leur est interdit de demander justice ni de recevoir aucun honneur
Dans tous ces cas, les rois ne sont pas autorisés à faire ou à envisager quoi que ce soit sans l'aide de ces hommes sages, au point que, en vérité, c'était eux qui gouvernaient, alors que les rois étaient leurs serviteurs et ministres de leurs volontés
Au dessus de tous les druides, il y en a un qui possède sur eux une très grande autorité
A sa mort, si quelqu'un se distingue particulièrement, il lui succède
Si les mérites sont égaux, le principat dépend du suffrage des druides, parfois d'une lutte armée
Les druides, à une date fixe, chaque année, tiennent leurs assises dans le pays des Carnutes qui est considéré comme le centre de la Gaule, en un lieu consacré
C'est là que se rassemblent tous les gens qui ont entre eux des contestations et ils se soumettent à leurs décisions et à leurs jugements
On pense que leur doctrine est née en Bretagne et, actuellement, ceux qui veulent l'étudier plus à fond, vont généralement là-bas pour faire cette étude
Les druides, habituellement, s'abstiennent d'aller à la guerre
Ils ne paient pas d'impôt comme les autres
Ils sont exemptés de service militaire et de toute espèce de charge
Attirés par de si grands privilèges, nombre de gens viennent d'eux-mêmes à eux pour s'instruire
Ils communiquent une foule de connaissances aux plus distingués de la nation qu'ils instruisent secrètement
Et nombre d'autres aussi sont envoyés par leurs parents et leurs proches
On dit qu'ils apprennent par coeur un grand nombre de vers
Aussi y en a-t-il qui restent ving ans là, pour étudier
Et pendant vingt années
Au fond des cavernes ou des bois les plus retirés
Vous habitez des lieux écartés
Ils pensent qu'il est interdit par la religion de confier leur science à l'écriture
Bien que, dans presque tout le reste des affaires, dans les comptes publics et privés, ils se servent de l'alphabet grec
Cet usage oral me paraît voulu pour deux raisons
Ils ne veulent pas voir divulguer leur doctrine
Ni que leurs élèves, se fiant à l'écriture, cultivent moins leur mémoire, ce qui arrive généralement
Lorsqu'on se sert de textes écrits on s'applique moins à apprendre par coeur et on néglige sa mémoire
Le point essentiel de leur doctrine est l'immortalité de l'âme
Ces druides, et d'autres comme eux professent que les âmes sont impérissables
Le seul dogme qu'ils enseignent publiquement, c'est l'immortalité de l'âme et l'existence d'une autre vie
Unis selon un règle qui a pour elle l'autorité de Pythagore, par les liens étroits d'une vie en commun, sont arrivés, par leurs recherches sur les mystères les plus profonds, à une hauteur d'où, contemplant l'humanité, ils ont proclamé l'immortalité de l'âme
Vous aussi, vates dont les éloges conduisent à l'immortalité de l'âme des braves enlevés par la guerre. Selon vous [les druides] les ombres ne gagnent pas les demeures silencieuses de l'Erèbe et les pâles royaumes du Dis souterrain, un même esprit dirige nos membres dans un autre monde: la mort, si ce que vous chantez est réel, est le milieu d'une longue vie
Ils enseignent qu'après la mort elle passe dans d'autres corps
Cette conviction, d'après eux, excite particulièrement au courage, en faisant mépriser la peur de la mort
Sans doute afin de rendre le peuple plus propre à la guerre
Heureuse illusion des peuples que regarde l'Ourse: car la plus forte des craintes ne les saisit point, la terreur du trépas. De là des coeurs prompts à courir aux armes, des âmes capables de mourir, et le sentiment qu'il est lâche d'épargner une vie qui doit revenir
Les funérailles, par rapport à la civilisation gauloise, sont d'une grande magnificence: tout ce que le mort a chéri, pense-t-on, on le jette dans le feu, même les animaux et, il y a peu de temps encore, quand les funérailles étaient régulières, on brûlait avec le mort les esclaves et les clients qu'on lui savait avoir été chers
De là vient que les Gaulois brûlent et enterrent avec les morts tout ce qui est à l'usage des vivants, et qu'autrefois ils ajournaient jusque dans l'autre monde l'exécution des contrats ou le remboursement des prêts. Il y en avait même qui se précipitaient gaiement sur les bûchers de leurs parents, comme pour continuer de vivre avec eux.
Le monde aussi, mais qu'un jour régneront seuls le feu et l'eau
En outre, ils discutent beaucoup sur les astres, leurs mouvements, la grandeur du monde et celle de la terre
Ces maîtres font profession de connaître la grandeur et la forme de la terre et du monde, les révolutions du ciel et des astres
A vous seuls est donné de connaître [...] les puissances du ciel
Sur la nature des choses, la puissance et le rôle des dieux immortels
La coutume est chez eux que personne ne sacrifie sans l'assistance d'un philosophe; car ils croient devoir user de l'intermédiaire de ces hommes qui connaissent la nature des dieux, et parlent on pourrait dire leur langue, pour leur offrir des sacrifices d'action de grâces et implorer leurs bienfaits
Et vous, druides, vous avez repris loin des armes vos rites barbares et la coutume sinistre des sacrifices. A vous seuls est donné de connaître les dieux ou à vous seuls de les ignorer
Et ils transmettent ces doctrines à leurs jeunes élèves
Dans cette reconstitution, sont utilisées les abréviations suivantes:
S: Strabon
D: Diodore de Sicile
P: Pomponius Mela
A: Ammien Marcellin
L: Lucain
Di: Dion Chrysostome
En vert sont mis les passages mentionnés par un seul auteur, en rouge ceux qui ne le sont que par César.
1. Chez les Gaulois, il existe trois castes d'érudits et de sages, les bardes, les vates et les druides.
2. Les bardes sont des poètes lyriques qui s'accompagnent d'instruments semblables à des lyres. Leurs chants sont tantôt des hymnes qui racontent en vers héroïques les hauts faits des hommes illustres, tantôt des satires.
3. Les vates, ces devins, observent la nature (les oiseaux (D)) et immolent des victimes pour prédire l'avenir.
4. Parmis eux, les druides sont les plus importants. Ils s'occupent des choses de la religion: ce sont des théologiens et des philosophes. Ils veillent à l'observation des rites dans les sacrifices publics et privés et Ils règlent les pratiques religieuses . On leur rend les plus grands honneurs.
5. On a la plus haute opinion de leur justice: à ce titre on s'en remet à eux du jugement de tous les litiges privés ou publics. C'est à ce point qu'autrefois ils étaient arbitres même dans les guerres, arrêtaient les adversaires prêts à se ranger en bataille.
6. Dans tous ces cas, les rois ne sont pas autorisés à faire ou à envisager quoi que ce soit sans l'aide de ces hommes sages, au point que, en vérité, c'était eux qui gouvernaient, alors que les rois étaient leurs serviteurs et ministres de leurs volontés (Di).
7. On s'en remet à leur justice si quelque crime est commis. Lorsqu'abondent ces sortes de jugements, ils estiment que c'est signe d'abondance pour le pays (S). S'il y a un différent pour une question d'héritage ou de bornage, ils jugent l'affaire, ils déterminent les indemnités et les amendes. Tout particulier, tout peuple qui ne s'est pas soumis à leur décision est exclu des sacrifices: c'est chez les Gaulois le châtiment le plus grave. Ceux qui sont ainsi exclu sont mis au nombre des impies et des criminels: tout le monde s'éloigne d'eux, fuit leur abord et leur entretien, de peur d'être souillé à leur contact. Il leur est interdit de demander justice ni de recevoir aucun honneur.
8. Au dessus de tous les druides, il y en a un qui possède sur eux une très grande autorité. A sa mort, si quelqu'un se distingue particulièrement, il lui succède. Si les mérites sont égaux, le principat dépend du suffrage des druides, parfois d'une lutte armée.
9. Les druides, à une date fixe, chaque année, tiennent leurs assises dans le pays des Carnutes qui est considéré comme le centre de la Gaule, en un lieu consacré. C'est là que se rassemblent tous les gens qui ont entre eux des contestations et ils se soumettent à leurs décisions et à leurs jugements.
10. On pense que leur doctrine est née en Bretagne et, actuellement, ceux qui veulent l'étudier plus à fond, vont généralement là-bas pour faire cette étude.
11. Les druides, habituellement, s'abstiennent d'aller à la guerre. Ils ne paient pas d'impôt comme les autres et ils sont exemptés de service militaire et de toute espèce de charge.
12. Attirés par de si grands privilèges, nombre de gens viennent d'eux-mêmes à eux pour apprendre (secrètement (P)) une foule de connaissances. Et nombre d'autres aussi sont envoyés par leurs parents et leurs proches. On dit qu'ils apprennent par coeur un grand nombre de vers aussi y en a-t-il qui restent ving ans là, pour étudier. Cela se fait dans des cavernes ou les bois les plus retirés (des lieux écartés (L)).
13. Ils pensent qu'il est interdit par la religion de confier leur science à l'écriture ben que, dans presque tout le reste des affaires, dans les comptes publics et privés, ils se servent de l'alphabet grec. Cet usage oral me paraît voulu pour deux raisons: ils ne veulent pas voir divulguer leur doctrine; ni que leurs élèves, se fiant à l'écriture, cultivent moins leur mémoire, ce qui arrive généralement lorsqu'on se sert de textes écrits on s'applique moins à apprendre par coeur et on néglige sa mémoire.
14. Le point essentiel de leur doctrine est l'immortalité de l'âme. Ils enseignent qu'après la mort elle passe dans d'autres corps, sans doute afin de rendre le peuple plus propre à la guerre. De là vient que les Gaulois brûlent et enterrent avec les morts tout ce qui est à l'usage des vivants, et qu'autrefois ils ajournaient jusque dans l'autre monde l'exécution des contrats ou le remboursement des prêts. Il y en avait même qui se précipitaient gaiement sur les bûchers de leurs parents, comme pour continuer de vivre avec eux. Le monde aussi est immortel, mais un jour régneront seuls le feu et l'eau (S).
15. En outre, ils discutent beaucoup sur les astres, leurs mouvements, la grandeur du monde et celle de la terre. La coutume est chez eux que personne ne sacrifie sans l'assistance d'un philosophe; car ils croient devoir user de l'intermédiaire de ces hommes qui connaissent la nature et la volonté des dieux, et parlent on pourrait dire leur langue, pour leur offrir des sacrifices d'action de grâces et implorer leurs bienfaits.
La question qui se pose est de savoir de qui est le texte reconstitué ci-dessus. On a souvent avancé le nom de Posidonios d'Apamée. Cependant, aucun de nos textes ne mentionne ce rhéteur comme source. Pire, on possède encore un fragment bien attribué. Ce fragment parle des bardes: "Les Celtes emmènent avec eux, même à la guerre, de ces commensaux qu'on appelle parasites. Ces parasites célèbrent les louanges de leurs patrons et devant des assemblées nombreuses et même devant quiconque veut bien en particulier leur prêter l'oreille. Ces personnages qui se font entendre ainsi sont ceux qu'on appelle bardes: ce sont aussi les poètes qui dans leurs chants prononcent ces éloges." (Posidonios d'Apamée, livre XXIII, d'après Athénée, Les Deipnosophistes, VI, 49).
Ce paragraphe pourrait très bien être considéré comme la source de notre paragraphe 2 ci-dessus. Cependant, chez Posidonios, les informations concernant les bardes sont tout de même sensiblement différentes de celles que nous avons données, plus précises. Posidonios ne peut donc pas être considéré comme la source directe de ce que nous savons sur les druides. Il faut admettre que les fragments composant notre texte sont issus d'un autre compilateur fiable. Il n'y en a qu'un seul possible: Timagène d'Alexandrie, qui est d'ailleurs nommé par Ammien Marcellin.
Paul-Marie Duval le notait déjà: " il a dû être une source importante pour Diodore, César, Tite Live, il l'a été sûrement pour Strabon ".
Reste qu'un de nos auteurs s'écarte sensiblement de sa source: César, qui ajoute quantité d'informations qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Il n'y a qu'une seule raison à cela: César c'est lui-même documenté sur place, a vu des druides, et s'est renseigné sur eux. Il reste donc notre source la plus fiable et la plus complète les concernant.