Fondamentalement, la procédure légale en Irlande n'était pas directement du ressort de l'administration publique qui était encore, à l'époque où les textes furent rédigés, à l'état embryonnaire. Ainsi, il était demandé à l'individu lésé ou à sa parenté de prendre soin par lui-même de ses droits légaux dans la plupart des cas. Pour cela, il devait normalement procéder par un cursus légalement défini, afin d'établir ses revendications.
Dans le droit contractuel, ceci était généralement fait en déclarant perdu le gage de l'autre partie, et donc en obligeant l'autre partie soit à perdre l'honneur, soit à régler l'affaire en cour. Cependant, dans les cas où aucun gage n'avait été offert, il y avait d'autres méthodes exigées si la partie offensante ne satisfaisait pas les revendications du demandeur, et l'affaire devait être amenée devant une cour légale.
La forme la plus courante pour établir ses revendications et par-là d'enclencher une procédure est la saisie, c'est-à-dire en général l'enlèvement d'un certain nombre d'animaux appartenant au défendeur (ou dans certain cas à un substitut du défendeur), la plupart du temps du bétail, équivalent à la valeur de la revendication Ceci est décrit avec beaucoup de détails dans "Di Chetharslicht Athgabála" (Les quatre sections de la saisie). Le texte décrit la procédure normale dans laquelle la saisie doit avoir lieu.
Premièrement, et ceci est en réalité le commencement de la procédure, le plaignant doit formellement notifier (airfócre ou apad) au défendeur qu'il compte le saisir. Ceci étant fait, il y a un délai (anad) de un à cinq jours pendant lequel on donne au défendeur le temps de réagir, soit en remplissant ses obligations envers le demandeur (dans le cas de contrat violé), soit en payant les amendes dues, soit en donnant un gage pour signifier qu'il est prêt à céder aux conditions.
Si le défendeur manque à réagir dans le délai, le plaignant est habilité à entrer sur les terres du défendeur et à emporter des animaux de la valeur du montant contesté (tóchsal). Ceci doit être fait au petit matin, en la présence d'un "aigne" (avocat). Ces animaux doivent être placés dans une "fourrière" sûre, qui peut appartenir au plaignant ou à n'importe qui d'autre. Toute blessure infligée aux animaux pendant qu'ils sont dans cette fourrière sont de la responsabilité du plaignant.
A partir de là, un nouveau délai commence à courir, appelé "díthim" (délai de fourrière), probablement de la même durée que le premier délai. Si le défenseur règle l'affaire, il récupère ses animaux et rien d'autre n'a lieu.
Toutefois, si le défendeur, une fois de plus, ne réagit pas, le stade final de la saisie commence. A partir de la fin du second délai, les animaux commencent à être perdus, procédé appelé "lobad" (litt. dépérissement) ou "athgabál íar fut" (saisie avec sursis). Le premier jour, des animaux de la valeur de 5 sét sont perdus, puis des animaux pour la valeur de 3 sét chaque jour, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. Quand un animal est perdu, il ne peut pas être récupéré par le défenseur, qui cependant peut encore régler l'affaire à tout moment pendant ce "dépérissement", en payant le reste du montant promis et une taxe pour les dépenses du plaignant pour la nourriture des animaux en fourrière, et qui peut ainsi regagner tous les animaux encore disponibles.
Il existe également une forme spéciale de saisie appelée "athgabál immleguin", où un substitut du défendeur est saisi, probablement souvent un membre de la même parenté que le défendeur, même s'il peut aussi s'agir d'un ráth (garant) qui avait garanti un contrat rompu par le défenseur. Dans le cas de saisie d'un substitut, la période de notification est doublée et le substitut doit être formellement informé de l'offense pour laquelle il est saisi, de l'endroit où les animaux seront retenus, et de l'identité d'un "fethem" (représentant légal du plaignant). Quand le substitut est un parent du défendeur, la façon dont il pourra récupérer ses animaux saisis ou l'équivalent sera une affaire intérieure à la parenté; s'il s'agit d'un ráth, il sera habilité à exiger du défendeur le double du montant saisi plus son prix de l'honneur (et il pourra lui-même ensuite saisir le défendeur dans ce but, si nécessaire).
Dans certains cas, la saisie peut également prendre une forme ritualisée. Par exemple, un forgeron peut être saisi en attachant un ruban blanc autour de son enclume, l'empêchant ainsi "magiquement" de travailler dessus.
Les procédures décrites ci-dessus fonctionnent normalement contre quiconque d'un rang inférieur à nemed. Dans le cas où la personne à saisir est de plein rang nemed, des actes spéciaux doivent être entrepris.
Le jeûne
Si le défendeur est de plein rang nemed, le demandeur doit jeûner (troscud) contre lui pour le contraindre à la justice. Le jeûne a lieu face à la demeure du nemed, et, au moins selon certains commentaires, ne dure que du coucher au lever du soleil (et ainsi le demandeur manque le principal repas du soir), pendant une certaine période, plutôt que jusqu'à la mort. S'il y a jeûne, le nemed doit garantir de se soumettre à la justice, soit en désignant un garant, soit en offrant un gage. S'il mange pendant le jeûne, il devra payer deux fois le montant originellement promis. S'il résiste à un jeûne justifié et proprement conduit, il perdra son statut et tous ses droits légaux.
Le manant substitut
Une personne de rang nemed peut avoir un "aithech fortha" (manant substitut). Au cas où, un plaignant devra saisir le manant substitut plutôt que le nemed lui-même; s'il le fait malgré tout, il devra payer une amende pour saisie illégale.
Les limitations et la saisie illégale
Il y a certaines restrictions dans la pratique de la saisie. Différentes circonstances, comme la mort d'un membre de la famille, peuvent autoriser un ajournement; certains animaux ne peuvent pas être saisis (comme les vaches qui viennent de vêler). Bien sûr, les motifs de tels ajournements doivent être sincères et prouvés par témoins.
Si le demandeur ne respecte pas un ajournement légal, ou s'il saisit des animaux non autorisés, ou s'il saisit pendant un jour saint ou en violation de la protection (turtugud) d'une tierce partie ou dans certains autres cas, il est coupable de saisie illégale. L'amende pour saisie illégale est de 5 sét.
Comme de nombreuses et difficiles considérations doivent être prises en compte en cas de saisie, et comme une procédure formelle doit être suivie, il est important d'avoir un juriste professionnel (aigne) qui conduise la saisie au nom du demandeur. Ce juriste reçoit en paiement un tiers du montant de la saisie.
L'entrée légale (tellach)
L'entrée légale est la procédure pour revendiquer un terrain. C'est également une procédure très formaliste, qui est détaillée dans le texte "Din Techtugad" (De l'entrée légale). La procédure est la suivante : au départ, le demandeur entre sur le terrain en tenant deux chevaux, accompagné par un témoin et des garants. Il se retire immédiatement après cet "céttellach" (première entrée) La personne qui occuper actuellement le terrain peut maintenant soumettre le conflit à arbitrage pendant une période de cinq jours.
Si l'occupant ne réagit pas, le demandeur entre à nouveau sur le terrain, dix jours après la première entrée, accompagné de quatre chevaux dételés (et donc libres de paître) et de deux témoins et garants, puis se retire à nouveau immédiatement. C'est ce qu'on appelle "tellach medónach" (entrée du milieu). Une fois de plus, l'occupant actuel peut soumettre l'affaire à arbitrage, et cette fois il a un délai de trois jours.
Vingt jours après l'entrée initiale, si l'occupant actuel n'a toujours pas réagi, le demandeur fait le "tellach déidenach" (entrée finale), cette fois accompagné de huit chevaux qu'il peut nourrir et mettre à l'écurie, et de trois témoins. Si l'occupant veut maintenant soumettre l'affaire à un juge, on accorde au demandeur l' "arbitrage rapide", ce qui signifie que l'affaire sera entendue dès le prochain jour possible. Si cependant l'occupant actuel continue à ne pas se soumettre à arbitrage, le demandeur acquiert la propriété légale du terrain disputé (KELLY 1988, ,187). Il doit alors passer une nuit sur ce terrain, allumer un feu et y garder ses animaux.
Entrée de femme (bantellach)
La procédure pour l'entrée de femme est fondamentalement la même que la procédure habituelle, sinon que les périodes sont ramenées à 4, 8, 10 et 16 jours pour les entrées et réactions des occupants actuels du terrain, et que les chevaux sont remplacés par des brebis. A l'entrée finale, elle doit apporter avec elle un pétrin et un tamis à grain.
Entrée illégale
Il est bien sûr illégal d'opérer une telle entrée sur une propriété où on n'a aucun droit. Cependant, un nombre d'animaux incorrect ou d'autres erreurs de procédure rendent l'entrée illégale. L'entrée illégale est sévèrement punie d'amende et fait partie, avec la saisie illégale et le duel illégal, des trois occasions où les Féni (les hommes libres de pleine capacité légale) poursuivent l'illégalité.
Ce texte a été initialement rédigé par par le Pr. Raimund Karl, diplomé
en Etudes Celtiques de l'Université de Vienne (Autriche), et professeur à
l'Université de Bangor (Pays de Galles). Il met cette introduction à disposition
du public, à condition qu'on cite son nom, ce qui est la moindre des choses, et son
adresse e-mail : a8700035@unet.univie.ac.at et que ce texte ne soit pas utilisé
à des fins commerciales. Traduit, et adapté pour cette encyclopédie celtique par Fergus Bodu.