La Fontaine merveilleuse.
Le thème de la Fontaine Merveilleuse est souvent présent dans le roman arthurien.
Héritier du légendaire celte, il appartient au symbolisme lunaire et féminin, les eaux des fontaines y sont isomorphes de l’intériorité féminine (les eaux primordiales). Les fontaines sont gardées par une chevalier au service de la reine ou de la déesse dont il obtient les faveurs après avoir défait un autre chevalier en combat singulier. Le dépassement des contraires, des antagonismes, permet la renaissance dans les eaux vives du salut. Car c’est de la grande déesse, la mère nature, que provient l’énergie psychique et cosmique, qui commande aux éléments. Jung rappelait que les mots mère, mar (mare = mer) et mara (la sorcière) étaient très proches, d’où Marie des chrétiens.
Ce thème de la Fontaine est donc doté d’un symbolisme celtique très fort bien souligné et sublimé dans la Légende arthurienne. Rappelons en plusieurs occurrences.
Dans le roman de Chrétien de Troyes, Yvain ou le chevalier au lion, un vilain indique une fontaine à Yvain qu’il décrit : " tu verras la fontaine que bout quoique plus froide que le marbre . Là est le bel arbre que jamais sut faire nature. En tous temps la feuille lui dure. Il ne la perd ne soir ne matin.
Il y pend un bassin d’or fin retenu par une si longue chaîne qu’elle va jusqu’à la fontaine.
Près de celle ci tu trouveras une grosse pierre, tu apercevras de l’autre côté une chapelle petite mais fort belle . Si tu veux prendre de l’eau dans le bassin, et la répandre sur la pierre tu verras une telle tempête qu’en ces bois ne restera bête car tu verras foudre tomber, pleuvoir, tonner et éclairer. "
Parvenu à la fontaine, Yvain la décrit bouillonnant comme eau très chaude. La grosse pierre était une énorme émeraude percée aussi par un canal avec quatre rubis dessous plus flamboyant s et plus vermeils que l’est le matin le soleil quand il appert à l’orient. Ayant versé de l’eau dessus, le prodige se réalise éclairs, nuées, et neige t grêle.Mais, le calme revenu des milliers d’oiseaux se rassemblent en un chant magnifique. Plusieurs fois dans le récit d’Yvain le chevalier y sera ramené comme par enchantement.
Dans le Lancelot en prose, la fontaine est située au près d’une colline où vit un ermite qui ne subsiste qu’en buvant de son eau. Personne n’en boit sans se trouver et bien portant que si jamais aucun mal ni douleur ne l’avaient affecté. Elle est la plus salubre et la plus merveilleuse de la Grande Bretagne et il ne se trouve en effet aucun chevalier blessé qui en ayant bu ne s’en trouve guéri.
La Quête du Graal, fontaine mystique s’inscrit aussi dans cette problématique par isomorphisme, le graal évoque aussi les fontaines, les entrées souterraines, les grottes rapportées en dernière analyse à la vulve de la grande déesse primitive, dispensatrice de tous les biens, de tout ce qui est à la fois nourricier, chaud, intime, dpux et accueillant. Ce schème est lié à ce que Gilbert Durand appelle " la chaude intimité de la substance ". Le régime de l’imaginaire sudéterminé est ici le régime mystique des images, lié au féminin, à l’oralité, à la réparation, à l’euphémisation des régimes.
Ce n’est pas par hasard que Tristan reçoit de La reine Yseut, la magicienne, mère d’Yseut la Blonde, le premier philtre et que Brangien la servante lui apporte le second.
De même dans le Lancelot, c’est Brisane qui conduit Lancelot à concevoir Galaad par absorption de ce philtre en partageant par nigromancie la couche de la fille du roi pêcheur, étant par là même infidèle à sa reine mais au delà fidèle à sa mission supérieure, donner à la Quête un nouvel héros qui achévera les aventures du Graal.
Dans le domaine mystique le Graal est aussi fontaine mystique, dispensatrice de tous biens, comme le chaudron des celtes était à la fois regénérateur et nourricier.
De nombreux récits du Folklore français en restent marqués.
Paul Sébillot, dans Folklore de France, (T.II) relate par exemple (p. qu'en Haute Bretagne, une fée des eaux amoureuses d'un pêcheur réussit à avoir une rencontre avec lui sur les rochers. Elle lui murmura les plus douces paroles et lui présenta une coupe remplie d'un breuvage qui, s'il l'avait bu, l'aurait contraint à l'aimer et à la suivre. Mais le jeune homme ne se laissa pas prendre au piège. A la page 231 du même recueil sont citées des fontaines merveilleuses dont l'eau est un véritable philtre d'amour. A Créhen (Côtes du Nord) l'eau d'une source rend les amoureux qui en boivent constants dans leur inclination. On racontait, il y a
environ un siècle, que les jeunes filles du pays faisaient boire de son eau aux garçons pour se les attacher. A Taden, dans la banlieue de Dinan, il est aussi une fontaine où les amoureux allaient boire ensemble pour se rester toujours fidèles. Van Gennep, dans son Manuel du Folklore Français contemporain (t.I, livre I, p.240) signale une tradition du même genre, dans le Var. A Ollicules : les jeunes filles puisent au creux de leur main un peu d'eau de la "Bonnefont" et la présentent aux jeunes gens. Pour peu que ceux-ci y trempent leurs lèvres, ils sont forcés d'aimer leurs charmeuses.
Il est en effet un conte populaire qui se ressent à plusieurs égards de l'histoire de Tristan et Iseut. Il s'agit du conte type répertorié sous le n° 531 par Delarue et Ténéze. Les auteurs ont adopté pour ce conte le titre d'un des contes de Mme d'Aulnoy (1697) "La Belle aux Cheveux d'Or". Une version très voisine de celle notée par Mme d'Aulnoy a été recueillie récemment. Un résumé de la version recueillie en Occitanie montre les similitudes de l'aventure de Tristan et Iseut.
Deux rois règnent dans deux cantons voisins. L'un a une fille très belle : la Belle aux cheveux d'or. Le roi de l'autre canton (qui a beaucoup de valets dévoués) voudrait épouser la Belle. Il envoie plusieurs valets successivement porter sa requête, mais la jeune fille ne veut rien entendre. Le roi a un valet qu'il aime particulièrement : Avenant, dont les autres sont jaloux. Ils disent au roi qu'Avenant se serait vanté de réussir dans la demande en mariage. Le roi, soudain irrité, envoie Avenant porter sa demande et le menace de mort en cas d'échec. Avenant, qui a un chien très fidèle, part en mission accompagné de son chien. En cours de route il rencontre des animaux en péril : une carpe qui se mourrait sur la berge d'une rivière, Avenant la remet à l'eau. Un hibou allait être tué par un faucon, Avenant fait fuir le faucon. Un corbeau était aux prises avec un aigle, Avenant sauve le corbeau. Ensuite Avenant arrive au château de la Belle ; elle l'attendait. Elle lui dit ne pas pouvoir se marier pour trois raisons : il lui faut sa bague qui est tombée dans la rivière, il lui faut une bouteille d'une "Eau de Santé" qui est gardée par quatre tigres ; elle ne peut pas se marier tant que sévira dans la forêt voisine un ogre géant qui dévore une princesse par jour. Grâce à la carpe, Avenant peut rendre sa bague à la Belle ; grâce au hibou il peut lui donner la fiole d'"Eau de Santé" ; grâce au corbeau qui aveugle le géant, Avenant peut le tuer et rapporter sa tête à la Belle. Alors Avenant peut emmener la Belle pour qu'elle épouse son royal maître. Mais après ce retour, la jalousie des autres valets redouble, d'autant plus que la princesse et Avenant se causent très souvent et sont de très bons amis. Ces valets vont dire au roi que la princesse aime mieux Avenant que le roi et le roi jaloux fait mettre Avenant dans une prison secrète. Pendant un an la princesse s'ennuie d'Avenant. Puis le roi meurt. Alors le chien d'Avenant court faire des démonstrations d'amitié à la Belle aux cheveux d'or, celle-ci
Suit le chien qui la conduit à la prison ; elle fait libérer Avenant et bientôt tous deux s'épousent. On voit combien ce conte est une transposition du roman médiéval, ou bien a été conçu sur un prototype analogue. Il suffit de remplacer le roi aux nombreux valets par le roi Marc, les valets jaloux par les barons jaloux, Avenant qui est parfois le filleul du roi Tristan le neveu du roi, la Belle aux cheveux d'or par Iseut la blonde, l'ogre géant par le Morholt, puis le Dragon que tue Tristan, l'amitié trop visible de la Belle pour Avenant par l'amour trop visible de Iseut pour Tristan, pour lire la même aventure
Reste à retrouver dans le conte populaire une trace du philtre qui est l'objet de notre curiosité. On songe tout de suite à "l'Eau de Santé" qu'Avenant est invité à conquérir. Il n'est rien dit de l'origine de cette eau, sinon qu'on la trouve près d'une fontaine interdite par des fauves terribles, et, au premier abord on ne voit pas bien ce que la Belle aux cheveux d'or veut en faire. Cependant le conte dit très bien ce qu'il en fait et les effets qu'elle produit. Sur cinquante et une versions recueillies, l'épisode de l'eau de santé est insérée quinze fois. Ce liquide est appelé aussi "Eau de Vie" ou "Eau de Paradis". Elle est donnée au jeune héros et lui sert à surmonter de dures épreuves ; en outre, au sortir de ces épreuves, le héros se trouve rajeuni et embelli (quatorze fois). Il est même une curieuse variante concernant ce liquide salvateur et embellissant. Dans plusieurs versions (au moins huit fois) le héros est secouru par une cavale surnaturelle. Dans ce cas-là , notre jeune homme est protégé‚ et sauvé par la sueur, ou le sang dont a été imbibé un vêtement qui devient un véritable manteau magique, un talisman d'invulnérabilité. Précisons qu'à la fin de ces contes, la cavale devient la Belle princesse et que les deux héros s'épousent.
Chacun se rappelle que dans le Mahabaratha, le Soma offert à Indra par Sri-Draupadi a été conduit à fermentation grâce à la mastication et à la salive de la déesse, on se demandera encore s'il n'y eut pas une version beaucoup plus archaïque concernant l'essence et l'origine du Soma ou du philtre électif et sauveur.
Le domaine des Eaux, dans la pensée védique, va du suc des plantes par les humeurs organiques humaines jusqu'aux eaux cosmiques et métaphysiques qui baignent l'univers entier. Ainsi l'eau de Santé donnera à Avenant le pouvoir surnaturel de surmonter toutes les épreuves et en définitive, et par voie de conséquence, il deviendra roi grâce au Sôma.
Le thème de la Fontaine est, on le voit, dans les archéo récits comme dans les romans arthuriens, lié au Merveilleux, à la capacité qu’elle donne aux héros de se ressourcer (au sens propre) .
En contrepoint d’un régime de l’imaginaire arthurien marqué par l’héroïsme et l’ascensionnel, ce schème symbolique vient en atténuer les effets schizomorphes pour en euphémiser les conséquences. Il est parfaitement isomorphe du thème graalique dont il constitue une version naturaliste.
Ceux qui voyagèrent en Avalon se souviendront d’avoir contemplé la fontaine de Chalice Wells en Glastonbury. Nombre d’entre nous y ont sans doute trouvé viatique à poursuivre la quête entreprise en même temps que le gage du renouveau de nos aventures. Car me disait sans cesse René Bansard, notre maître à tous, la quête du Graal n’est jamais achevée, elle est du devoir de tous.
Sagremor.
Sources: René Bansard, Henri Fromage, Maryvonne Abraham...