II-5. Les Indo-Européens et la tripartition sociale.
Ainsi reconnue indo-iranienne commune, cette doctrine tripartie de la vie sociale a été le point de départ d'une enquête qui, poursuivie depuis près de vingt ans, a abouti à deux résultats complémentaires : 1°) en dehors des Indo-Iraniens, les peuples indo-européens connus à date ancienne ou bien pratiquaient réellement eux aussi une division de ce type, ou bien, dans lls légendes par lesquelles ils expliquaient leurs "origines", répartissaient leurs soit-disant "composantes" initiales entre les trois catégories de cette division ; 2°) dans l'ancien monde, du pays des Sères aux colonnes d'Hercule, de la Lybie et de l'Arabie aux Hyperboréens, aucun peuple non-indo-européen n'a explicité pratiquement ni idéalement une telle strucure ou, s'il l'a fait, c'est après un contact précis, localisable et datable, qu'il a eu avec un peuple indo-européen. Voici quelques exemples à l'appui de ces deux propositions.
II-6. Les classes sociales chez les Celtes.
Le cas le plus complet est celui des plus occidentaux des Indo-Européens, Celtes et Italiotes – ce qui n'étonne pas, quand on a pris garde (J. Vendryes, 1918) aux nombreuses correspondances qui existent, dans le vocabulaire de la religion, de l'administration et du droit, entre les langues indo-iraniennes d'une part, les langues italiques et celtiques d'autre part, et elles seules.
Si l'on ajuste les documents qui décrivent l'état social de la Gaule païenne décadente qu'a conquise César et les textes qui nous informent sur l'Irlande peu après sa conversion au christianisme, il apparaît, sous le rîg- (l'équivalent phonétique exact du sankrit râj-, latin rêg-), un type de société ainsi constitué : 1°) dominant tout, plus forte que les frontières, presque aussi supranationale que l'est la classe des brahmanes, la classe des druides (*dru-uid-), c'est-à -dire des "Très Savants", prêtres, juristes, dépositaires de la tradition ; 2°) l'aristocratie militaire, seule propriétaire du sol, la flaith irlandaise (cf. gaulois vlato-, allemand Gewalt, etc.), proprement "puissance", l'exact équivalent sémantique du sanskrit ksatra, essence de la fonction guerrière ; 3°) les éleveurs, les bo airig irlandais, hommes libres (airig) qui se définissent seulement comme possesseurs de vaches (bo). Il n'est pas sûr, comme on l'a proposé, ni même probable (A. Meillet et R. Thurneysen ont préféré une étymologie purement irlandaise) que ce dernier mot, aire (gén. airech, pl. airig), qui désigne tout membre de l'ensemble des hommes libres, tout ce qui est protégé par la loi, concourt à l'élection du roi, participe aux assemblées (airecht) et aux grands banquets saisonniers, etc., soit le dérivé en –k- d'un mot parent de l'indo-iranien *ârya (sanskrit arya, ârya ; vieux-persan ariya, avestique airya ; osse loeg "homme" de *arya-ka-). Mais peu importe : le tableau triparti celtique recouvre exactement le tableau, réel ou idéal, des sociétés indo-iraniennes.
(pp. 86-87)
II-21. Couleurs symboliques des fonctions chez les Celtes et chez les Romains.
Chez les Celtes de Gaule comme d'Irlande, le blanc est la couleur des druides, et le rouge, dans l'épopée irlandaise, celle des guerriers, comme, à Rome, un albogalerus caractérise le plus prêtre des prêtres, le flamen dialis, tandis que le paludamentum militaire est rouge, comme le drapeau sur la tente du général, comme la trabae des chevaliers ou des prêtres armés que sont les Salii. (...) (p. 105)