LES VIKINGS EN IRLANDE
La période de l'expansion viking, notamment en Europe, est généralement comprise entre les années 800 et 1150. La première apparition des Vikings en Irlande remonte selon les annales, à la fin du VIIIè siècle, à l'occasion de plusieurs attaques lancées sur le littoral. Parmi les diverses sources de renseignement, on peut compter, outre les annales, les découvertes archéologiques, quelques noms de lieux scandinaves ou encore des mots empruntés à la langue norroise.
C'est la conquête de l'Irlande par les Anglo-Normands en 1170 qui mit fin à la période scandinave. Du reste, le roi d'Angleterre Henri II avait déjà clairement manifesté ses intentions à l'égard de l'Irlande, en se faisant reconnaître par le pape Adrien IV (le seul pape anglais de l'histoire), dès 1155, la souveraineté de ce pays en cas de conquête.
En ce qui concerne l'Irlande celtique, s'il existait bien une unité religieuse et culturelle, consolidée par l'institution druidique, l'unité politique était en revanche loin d'être réalisée. En effet, l'île était morcelée en 150 petits royaumes appelés tuatha, régis par un droit coutumier et regroupés en quatre provinces par la suite (Ulster, Connacht, Munster et Meath).
La civilisation gaélique se résumait pour l'essentiel à des structures politique et sociale propres, une langue unique (le gaélique), une religion [La conversion de l'Irlande gaélique au christianisme au Vè siècle fut assez tardive, mais pacifique] et des traditions artistiques.
Ce dernier point comprenait bien entendu deux des principaux arts de l'Occident, à savoir l'enluminure et l'orfèvrerie, domaines dans lesquels les moines irlandais avaient acquis une parfaite maîtrise, mêlant art celtique et art chrétien. Ce sont d'ailleurs les richesses de leurs monastères qui attirèrent les premiers Vikings en Irlande. Ces Norvégiens et Danois, fermiers, pêcheurs et marchands devenus en quelque sorte des pirates ("víkinger") des mers, ont fini par s'installer à demeure sur l'île.
Il est donc intéressant d'étudier successivement les différentes étapes de cette colonisation scandinave, l'intégration progressive des Vikings à la société irlandaise et enfin les apports de la civilisation scandinave en Irlande.
La période viking en Irlande se divise schématiquement en quatre phases :
1°/ De 795 aux années 830 (Les premières incursions vikings).
La première phase fait état de raids sporadiques, effectués par de petites bandes de Vikings, sur des points isolés sur les régions côtières ou sur certaines îles. Ces attaques éclair visaient en effet des endroits susceptibles de renfermer le plus gros butin, le maximum de richesses, c'est-à-dire, la plupart du temps, des monastères. Ainsi, les annales reportent qu'en 795, l'église de l'île de Lambay, située sur la côte est de l'Irlande, fut brûlée et que, de même, les monastères d'Inismurray et d'Inisbofin, au large des côtes du Connacht, furent pillés. De telles attaques se répétèrent par la suite, en particulier sur la côte nord-est de l'Ulster et sur toute la côte ouest (par exemple en 807 à nouveau contre Inismurray, en 812 et 813 dans l'Umall, le Connemara et le Kerry ; en 821 sur les côtes de la mer d'Irlande, contre Howth et Wexford). En 823, les Vikings étaient parvenus à faire le tour complet de l'Irlande. Les quatre premières décennies de l'activité viking sur l'île ne perturbèrent pas trop la société irlandaise, en ce sens que les expéditions n'étaient, en moyenne, pas si fréquentes (à peine plus d'une par an. D'autre part, les Irlandais étaient sans cesse en conflit les uns contre les autres.
2°/ Des années 830 jusqu'en 902.
A partir des années 830, les attaques s'intensifièrent, surtout dans la province d'Ulster : le monastère d'Armagh, dont l'abbé était à la tête de l'Eglise irlandaise, fut pillé trois fois en un seul mois en 832. Plusieurs territoires, notamment l'Ulster des Uí Néill et le Connacht en 836, furent ravagés. L'année suivante, deux flottes d'environ soixante navires chacune remontèrent la Boyne et la Liffey. Ayant établi des bases sur différentes rivières, telles que le Shannon, le Lough Neath ou encore l'Erne, les Vikings pouvaient aller piller les régions à l'entour avec plus de facilité. Le premier hiver que ceux-ci passèrent en Irlande fut l'hiver 840-841 : ils avaient monté des camps fortifiés à Dublin et Annagassan, dans le but de dévaster les terres voisines. Mais c'est surtout à partir de 845 que ces expéditions meurtrières apparurent comme une véritable menace aux yeux des Irlandais, car, bien que les bandes vikings eussent opéré indépendamment les unes des autres, il n'existait pas de coordination entre les rois irlandais pour les chasser. Malgré quelques contre-attaques ponctuelles, aucun roi ne parvint à éradiquer la présence viking en Irlande au milieu du IXè siècle. Celle-ci était fermement ancrée. En 853, Olaf le Blanc (un Norvégien) et Ívar (un Danois) [Seuls les chroniqueurs irlandais distinguaient nettement les Norvégiens des Danois, en les nommant respectivement Finn Gaill, 'les étrangers blancs', et Dub Gaill, 'les étrangers noirs'.] devinrent rois de Dublin. Eux-mêmes et leurs descendants firent de Dublin un véritable royaume scandinave, par ailleurs très puissant, jusqu'au moment où les petits-fils d'Ívar en furent chassés par une coalition irlandaise.
3°/ Troisième phase comprise entre 914 et 980.
Le Xè siècle débuta par une nouvelle vague de colonisation viking, païenne, qui contrairement aux précédentes, ne venait pas directement de Scandinavie, mais d'établissements dans le nord-ouest de l'Angleterre, dans l'île de Man et en Écosse pour la grande majorité. Dès 914, ces expéditions vikings devinrent de plus en plus fréquentes et de nouvelles bases furent établies, voire rétablies, comme celle de Dublin en 917. Dans les années 920, le riche monastère de Kells fut pillé, pour la première fois depuis plusieurs décennies, et il en fut de même pour celui de Clonmacnoise, sur les rives du Shannon. C'est aussi vers 920, sous le règne de Sigtrygg Cáech ('le bigle'), un descendant d'Ívar, que le royaume de Dublin retrouva toute sa puissance. Les rois de Dublin avaient également pour objectif d'obtenir le titre de roi d'York, la riche capitale de Northumbrie et certains y parvinrent, notamment Røgnvald, Olaf Godfresson et le fameux Olaf 'Cuarán' Sigtryggsson [Le règne d'Olaf Cuarán (la sandale), en norrois Óláfr kváran, s'étendait de 940 à peu près à 980.]. Mais en 954, York passa sous souveraineté anglaise. 980, date de l'abdication d'Olaf Cuarán, marqua la fin de l'indépendance politique des Scandinaves : cette année-là, les Irlandais avaient en effet remporté plusieurs victoires sur eux, dont celle de Tara. Lors de cette bataille, le roi de Meath, Máel Sechnaill II, avait réussi à défaire Olaf. Ainsi, ayant repris le contrôle, Máel soumit les Vikings au paiement des impôts.
4°/ De 980 à 1170.
La quatrième et dernière phase, allant de 980 à 1170 met l'accent sur le déclin des royaumes vikings en Irlande. A présent, les rois irlandais convoitaient le titre d'Ard rí et visaient la suprématie de l'île. En 997, un accord conclu à Clonfert mit provisoirement fin aux hostilités entre Irlandais, en déclarant Máel Sechnaill roi de la moitié nord de l'Irlande et son rival Brian Ború roi de la moitié sud. Néanmoins, ce dernier affronta le roi de Leinster qui refusait de totalement se soumettre à son autorité. Puis, motivé par sa victoire, il continua sur sa lancée en attaquant Máel Sechnaill, qui s'inclina finalement en 1002. Brian Ború devenait ainsi le premier roi d'Irlande, royaume unifié dont les Scandinaves de Limerick, de Cork, de Waterford étaient par ailleurs les sujets. La situation s'envenima vers 1012, lorsque Gormlaith [Elle était également la femme d'Olaf Cuarán.], la sœur du roi de Leinster Máel Morda, défait par Brian Ború, poussa son frère à venger l'honneur de sa famille. Telle fut l'origine de la bataille de Clontarf en 1014. Il est à noter que l'on pouvait trouver des Scandinaves des deux côtés. De nombreuses sagas islandaises et histoires irlandaises décrivent cette bataille comme étant la victoire décisive de Brian Ború contre les Vikings en Irlande, mais en fait, celle-ci avait été remportée quelque 34 ans plus tôt par le roi de Meath à Tara. La conquête anglo-normande en 1170 mit définitivement fin à l'influence scandinave en Irlande. La crainte des Vikings poussa les moines à bâtir entre le IXè et le XIIè siècle d'innombrables tours rondes dans l'enceinte même des monastères. Certaines pouvaient atteindre une hauteur de 30 mètres et servaient soit de tour de guet, soit de lieu de refuge. Il en reste aujourd'hui une centaine en Irlande, les plus célèbres étant celles de Glendalough, Kilmacduagh, Ardmore et Antrim.
À SUIVRE : L' intégration progressive des Vikings dans la société irlandaise