Je viens d'acheter le fameux livre, donc, histoire de juger sur pièce et pas uniquement par des propos rapportés dans la presse.
Tout d'abord, ça commence mal. Jean-Louis Brunaux prétend démystifier les druides, et que voit-on sur la couverture: un cercle de menhirs à moitié brumeux... Il aurait été plus judicieux de reprendre une de ces vieilles gravures du XIXe siècle montrant un druide cueillant le gui. Jean-Louis Brunaux aime le XIXe siècle. Mais il est vrai que la couverture est due à l'éditeur. Quoi que l'auteur aurait pu la refuser.
Passons.
Dès les premières pages, Jean-Louis Brunaux met les choses au point concernant le sujet d'étude et sa méthode:
p. 11:
!!!Si les Gaulois appartiennent, par leur origine, au groupe plus vaste que sont les Celtes, l'inverse n'est pas vrai. On ne peut attribuer systématiquement à ces derniers ce que les historiens antiques rapportent des Gaulois. Or c'est pourtant ce que font presque tous les auteurs des études sur les druides. Pour eux, les druides sont une "institution celtique", alors que leur existence n'est explicitement attestée qu'en Gaule par les historiens antiques. Cette qualification de "celtique" qui paraît presque anodine n'est évidemment pas sans conséquence, comme on le verra au long de cet ouvrage. Mais elle est surtout au départ l'argument majeur - en réalité un tour de passe-passe - qui permet à ces auteurs de confondre en un même ensemble les druides dont l'existence historique est avérée avec les personnages fictifs des épopées médiévales irlandaises
Ainsi, les druides d'Irlande n'existent pas! Eh oui! On savait Jean-Louis Brunaux rétif à tout comparatisme insulaire, mais là , il fait encore mieux: les données insulaires n'existent tout simplement pas. Il n'y a donc rien à comparer...
On l'aura deviné, ce livre est essentiellement un charge contre celui de Christian Guyonvarc'h et Françoise Le Roux. Je n'ai jamais aimé ces deux auteurs, qui, quoi qu'ils en disent, ne sont pas exempts d'erreurs et d'approximations, mais voici ce que je n'aurais jamais osé dire et encore même écrire:
p. 93-94:
Car la méthode des auteurs est simple: elle consiste à pallier l'insuffisance mythologique gauloise par la richesse de la mythologie irlandaise et, inversement, à demander à la Gaule une description sociale qui manque aux légendes irlandaises. Il en va de même pour la description des figures divines et des compétences des druides. [...] La méthode est justifiée par une scientificité qui n'en a que le vocabulaire.
Je passe sur la suite, avec des arguments du genre "ils nient toute influence étrangère à ce monde [celtique]" (c'est pourtant bien eux qui ont voulu faire contre tous d'Ogma un nom d'importation grecque!).
Bref, d'une manière générale, dans ces pages, c'est le même langage que celui des deux auteurs incriminés qui est employé: "avant moi tout est nul, après moi le déluge".
Les Guyonvarc'h / Le Roux ne sont donc pas des scientiques mais lui si. Or quelle est sa littérature?
Il a lu Dumézil, si si, mais on peut voir à la p. 91-92, qu'il l'a mal lu car il n'a pas compris que la tripartition est une idéologie qui ne se ressent pas forcément dans le panthéon ou la religion, mais qui peut s'exprimer aussi dans la société. En tout cas pas nécessairement dans les trois à la fois: cela a bien été vu pour Rome.
De fait, l'essentiel de la documentation lue par Jean-Louis Brunaux, en dehors de quelques grands classiques anglo-saxons et de deux ou trois références allemandes, est française. L'auteur ne semble lire donc que l'anglais quand nombre de philologues et d'historiens des Celtes sont allemands. Mieux encore, tout persuadé qu'il est que les Gaulois ont hérité leur science des Grecs, il ne cite à aucun moment les grandes revues d'études celtiques, qu'elles soient francophones (Revue Celtique puis Etudes Celtiques, Ollodagos, Ogam), germanophones (Zeitschrift für Keltische Philologie) ou les nombreuses revues en anglais. Il faut croire qu'on n'y trouve que des trucs sans intérêt. A moins qu'il ne s'agisse d'une méconnaissance du sujet?
Eh oui, les Gaulois tiennent leur doctrine pythagoricienne des Grecs. De Marseille, bien sûr. Mais aussi peut-être directement de Zalmoxis, disciple thrace de Pythagore. Sisi, celui qui vole sur une flèche. Ne riez pas: c'est écrit en toutes lettres:
p. 170:
Pythagore apparaît comme un maître des druides, mais son enseignement n'est dispensé qu'indirectement, par l'intermédiaire d'un Thrace, Zalmoxis.
Pour écrire ce genre d'énormité, Jean-Louis Brunaux se base sur un passage d'Hyppolyte de Rome, auteur chrétien (pape), du IIe siècle ap. JC.
Or un des griefs de Jean-Louis Brunaux contre les Guyonvarc'h et Le Roux est de prendre systématiquement les textes antiques au pied de la lettre (p. 94), quand c'est justement ce qu'il fait lui même avec les sources concernant Pythagore.
Il est évident que notre auteur ne s'est pas assez documenté sur Pythagore et les pythagoriciens. En tout cas pas suffisament pour remarquer que tout ce qu'on sait sur ce philosophe plus ou moins mythique n'a été écrit au plus tôt au IIe siècle ap. J-C., soit en général plusieurs siècle après sa mort (si tant est, comme Zoroastre, qu'il ait vécu un jour).
Il prend donc Hippolyte, Jamblique, Diogène Laërce, Porphyre, etc. comme argent comptant, ce que n'oserait faire n'importe quel helléniste digne de ce nom!
Mais revenons sur le problème de l'écriture.
p. 268:
!!! C'est beau!!!Les Gaulois ont rencontré l'écriture en même temps que les Grecs qui la portaient avec eux comme l'étendard de leur brillante civilisation
Et les Etrusques alors??? Et l'écriture lépontique, c'est du javanais???
Jean-Louis Brunaux est effectivement persuadé que les Druides se sont réservé l'usage de l'écriture. Et les Helvètes dont César a pillé le camp, ils ont fait des jolis dessins sur leurs tablettes?
Mais il y a mieux:
.Les relations commerciales et diplomatiques, qui se nouèrent immédiatement, obligèrent les représentants des deux peuples à établir des systèmes de correspondance entre leurs calendriers respectifs. [...] Ces expériences renouvelées aboutirent, à la longue, à des chronologies communes, qui prenaient acte des événements remarquables (fêtes religieuses, avènements de souverains, etc.) de la collaboration entre Gaulois et Grecs. L'archivage des traités d'alliance, des dates mémorables (celles des batailles, d'ambassades, de remises de cadeaux, etc.) aboutit à une première forme d'histoire qui se distingue de plus en plus nettement des généalogies mythiques, qui en tenaient lieu précédemment et qui étaient déjà l'apanage des druides. Des archives familiales se constituèrent, celles des grandes familles et plus particulièrement celles qui fournissaient à la société ses druides. Ainsi, au IVe siècle apr. J-C., le poète Ausone parle-t-il d'un prêtre du sanctuaire de Bélénus qui était le lointain descendant d'une famille de druides originaires d'Armorique. Les Druides avaient disparu depuis bien longtemps MAIS LA MEMOIRE ECRITE DE LEUR GENEALOGIE S'ETAIT CONSERVEE
C'est un beau roman, c'est une belle histoire...
Ben oui, Jean-Louis Brunaux étant persuadé que les druides ont commencé à décliner à partir du IIe siècle avant J.-C. (p. 293 et suivantes), il fallait bien qu'il trouve une justification à la persistance de leur mémoire en plein IVe siècle, même s'il faut pour cela inventer de toute pièce quelque chose dont on n'a pas la moindre trace.
On apprend donc déjà que Diviciacos l'Eduen est une anomalie, un archaïsme (le terme "brebis galeuse" est même employé); que les actions de Claude et de Tibère ne sont que de "prétendues persécutions" (on se demande pourquoi des empereurs qui avaient surement autre chose à faire auraient perdu leur temps à persécuter des gens qui n'existaient plus).
Il y a pourtant une faille énorme à ce raisonnement: les calendriers. Celui de Coligny par exemple, est considéré par Jean-Louis Brunaux comme le chef-d'oeuvre de la science druidique. Mais il se garde bien de dire que ces calendriers ne sont attestés qu'à l'époque romaine.
Bon. Je m'arrête là . Il me reste encore des pages à lire. Mais franchement, je vous en prie, n'achetez pas ce livre, sauf pour rire, si vous avez du temps à perdre. Moi, j'ai vraiment l'impression d'avoir perdu de précieuses heures que j'aurais eu mieux fait de garder pour faire des guiliguili à ma fille, j'en serais sorti plus intelligent.
A+
Patrice