Salut,
Dulovios revient régulièrement sur saint Guinefort, le saint "lévrier", qui semble fort le fasciner.
Alors voici quelques éléments.
L'attestation la plus ancienne de ce saint est située dans la Dombes, à Sandrans, dans l'Ain, elle est du XIIIe siècle et se trouve dans le Traité des diverses matières à prêcher de l'inquisiteur Etienne de Bourbon.
Etienne raconte d'abord l'histoire du seigneur parti à la chasse avec sa femme, laissant son bébé dans un berceau sous la garde d'un chien. Pendant leur absence, un serpent arrive. Le chien le combat, et le tue, projetant du sang partout. Quand le seigneur revient, il croit que le chien a tué le bébé et le tue à son tour. Mais il se rend vite compte de sa méprise.
Pris de remors, il le jette dans un puits qui se trouve à l'entrée du château, bouche le puits avec une grande masse de pierres et fait planter des arbres autour.
A l'époque même d'Etienne de Bourbon, le château a disparu, mais les paysans honorent le chien comme un martyr. Une vieille femme d'un bourg voisin faisait office de "prêtresse" de ce culte: on y apportait les enfants malades et chétifs. Le rituel est d'ailleurs assez étrange:
"Quand elles (les mères) y parvenaient, elles offraient du sel et d'autres choses; elles pendaient aux buissons alentour les langes (on retrouve l'arbre à loques) de l'enfant; elles plantaient un clou dans les arbres qui avaient poussé en ce lieu; elles passaient l'enfant nu entre les troncs de deux arbres: la mère qui était d'un côté, tenait l'enfant et le jetait neuf fois à la vieille femme qui était de l'autre côté. En invoquant les démons, elles adjuraient les faunes qui étaient dans la forêt de Rimite de prendre cet enfant malade eet affaibli qui, disaient-elles, était à eux; et leur enfant, qu'ils avaient emporté avec eux, de le leur rendre gras et gros, sain et sauf (mythe du changeling!)".
Par la suite, elles posent l'enfant dans un berceau de paille, avec deux chandelles mesurant un pouce, allumées de chaque côté de la tête. Puis elles s'en vont. Les chandelles brûlent alors jusqu'à la paille et il arrive que le bébé brûle avec.
Un témoignage dit qu'une mère, après avoir invoqué "les faunes", vit un loup apparaître, et prise de pitié, à repris son enfant avant que le loup ne l'attaque.
Je reprend le texte:
"Lorsque les mères retournaient à leur enfant et le trouvaient vivant, elles le portaient dans les eaux rapides d'une rivière proche nommée Chalaronne, où elles le plongeaient neuf fois: s'il s'en sortait et ne mourait pas sur le champ ou juste après, c'est qu'il avait les viscères bien résistants."
Etienne ajoute qu'il est venu sur place, a fait exhumer le chien et coupé le bois sacré, et fait brûler le tout.
Ca n'a toutefois pas suffit car le culte est toujours attesté au XIXe siècle.
On peut trouver une traduction de ce texte dans:
Jacques Berlioz: Saints et damnés. La Bourgogne du Moyen Age dans les récits d'Etienne de Bourbon, inquisiteur (1190-1261), 1989, Dijon, Les Editions du Bien Public.
On la trouve aussi et surtout dans le livre:
Jean-Claude Schmitt: Le saint lévrier. Guinefort, guérisseur d'enfants depuis le XIIIe siècle, 1979, Paris, Gallimard (bibliothèque d'ethnologie historique).
L'histoire du chien se retrouve au XIIIe siècle dans le Roman des sept sages; mais le récit est aussi connu en Inde sous une forme très proche, selon Jacques Berlioz.
Pierre Saintyves, dans En Marge de la légende dorée en fait une longue étude, dans laquelle on retrouve pas mal de versions. Mais c'est Henri Fromage, dans "Des Lieux-dits 'Gane' ou 'Ganelon'", Bulletin de la Société de Mythologie Française, n°147-148-149, oct-déc. 1987, p. 151-159, qui tire le plus de conclusions.
Il note que plusieurs on fait remarquer que Guinefort semble être une francisation du germanique Winifrid. Or il existe un autre saint, gallois celui-là , nommé aussi Winifrid ou Wynfrith, né près d'Exeter en Cornouailles, au début du VIIIe siècle, qui a fait traduire son nom en latin en "Bonifatium". Win- semble donc se traduire par bonum: bon, heureux. Il s'agit donc bien d'une racine celte: "vindo-": "blanc, heureux". "fatius" est la "destinée". Or "frith" vient de "vritus", mot gaulois qui veut dire "trouvé". "Celui qui a un heureux destin est donc à l'origine Celui qui est bien trouvé. A Pavie, Guinefort se traduit aussi en "Boniforto", qui a le même sens.
Tout cela nous ramène donc a quelque chose de celte.
Dans le Roman de Caradoc, une des continuations du Perceval de Chrétien de Troyes, l'enchanteur Eliavrès, après avoir couché avec la femme de Caradoc de Vannes, Ysave (qui donnera naissance au héros Caradoc Briebras), est condamné à coucher avec une jument, une chienne et une truie. Il en naîtra trois enfant: de la jument, un cheval: Loriagort (le Llwagor gallois, cheval de Caradoc); de la truie, un pourceau: Tortain (le Twrch Trwit gallois); et de la levrette, un chien: Guinaloc ou Guinalot (qui n'est pas cité par les textes gallois). Voilà donc un chien merveilleux dont le nom ressemble fort à Guinefort.
Je quitte l'argumentaire d'Henri Fromage.
Donc, si la légende n'est pas celte, le nom l'est sans doute.
Etienne de Bourbon dit que les femmes invoquent des "faunes". Or je ne peux que reveler, même si c'est audacieux, qu'un Silvanus Vinotonus a existé en Grande-Bretagne, à Bowes, dans le Yorkshire... Que Silvanus en Gaule s'assimile à Sucellus, lequel est souvent accompagné d'un chien ou d'un loup, voire même porte sa peau sur la tête!
Mais c'est peut-être aller trop loin...
Je reviens au folklore avec la remise en contexte que fait Jacques Merceron dans son Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux (2002, Paris, Le Seuil). Il rattache Guinefort (qui possède de nombreuses attestations en France, mais cette fois sous forme humaine) à un ensemble de saints imaginaires qui sont les "saints Forts" (Fort et Force, Dignefort, Guignefort, Guinefort, Haigneforte, Lierfort, Lionfort, Millefort, Wilgeforte, etc...). Tous partagent les mêmes propriétés, à savoir qu'ils soignent les enfants chétifs et les aident à marcher.
Voilà . J'espère que j'ai tout mis.
A+
Patrice