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Forum consacré à l'étude de la civilisation celtique

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Que reste-t-il du courant celtique du XIX siecle en France ?

Forum consacré à la linguistique ainsi qu'à la toponymie...

Modérateurs: Pierre, Guillaume, Patrice

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6 messages • Page 1 sur 1

Que reste-t-il du courant celtique du XIX siecle en France ?

Messagede Erable » Mer 29 Nov, 2006 15:05

Bonjour,
il semble que le XIX siecle n'ait pas rencontre en France une ouverture sur la civilisation celte. Ainsi lisait-on les auteurs etre carrement mis de cote parce que le sujet ne presentait a l'epoque aucun interet credible. Quand l'histoire d'une civilisation sans ecrit rencontra celle d'une brillante civilisation de l'ecriture, evidemment, on a privilegie le latin, le grec, le sanskrit, et mis de cote le reste.
Mais enfin, n'y avait-il pas un fond de recherche au XIX siecle qui fut serieux quand on lit des etude d'epoque notamment sur la toponymie des lieux ? J'essaye de savoir ce qu'il reste de ce fond de travaux qui fut mis de cote au XIX siecle.
Sujet certainement difficile mais combien passionnant.
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Messagede Alexandre » Mer 29 Nov, 2006 23:01

Au XIXe siècle, les langues celtiques étaient effectivement considérées comme des langues dissidentes, opposées aux centralismes français et anglais, et pire que tout, pratiquées par des croyants.
Aussi, quand les linguistes de l'époque rencontraient un mot français qu'ils n'expliquaient pas par le latin ou une langue germanique, ils le classaient "bas latin", terme paresseux qui permettait de ne pas trop chercher, et surtout pas du côté des langues celtiques.
Par ailleurs, les quelques recherches sérieuses des premiers celtisans laissaient apparaître beaucoup de traits spécifiques dans les langues celtiques que l'on ne retrouvait pas - souvent parce qu'on ne savait pas les reconnaître - dans les autres langues indo-européennes. Aussi les premiers linguistes modernes ont-ils longtemps considéré les langues celtiques comme une redite appauvrie des langues italiques, ne pouvant fournir que des informations marginales et redondantes par rapport au latin.
Il a fallu la découverte et le déchiffrement du hittite et du louvite de la bibliothèque de Hattusa (en Anatolie) pour s'apercevoir que la plupart des traits spécifiques des langues celtiques, jusqu'alors considéré comme des innovations, étaient en réalité d'extrêmes archaïsmes, témoignant notamment d'une syntaxe très originale dont on ne trouve les traces ailleurs que dans des textes particulièrement vieux (certains passages homériques) ou figés (textes juridiques).
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Messagede Erable » Jeu 30 Nov, 2006 2:12

Cher Alexandre,
Merci pour votre reponse rapide et precise.
Je sais qu'on a eu aussi des courants divers et varies sur d'autres explications que le bas-latin. Il ne faut pas oublier qu'avant 1885, date a laquelle il y a eu un vote decisif en France qui devait amener une generation plus tard a la loi cultuelle de 1905, les erudits etaient pour beaucoup des pretres et que leur maitrise du latin ne laissait aucun doute.

Aussi y a-t-il eu souvent une attention portee sur la recherche commune avec d'autres langues, notamment l'anglais, ce qui a l'epoque n'avait rien de tres extraordinaire.

Est-ce que vous auriez quelques references quand vous dites "des traits spécifiques des langues celtiques, jusqu'alors considéré comme des innovations, étaient en réalité d'extrêmes archaïsmes" ? Porriez-vous m'indiquer simplement quelques traits specifiques afin que je comprenne un peu.

D'avance merci.
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Messagede Alexandre » Jeu 30 Nov, 2006 12:33

Est-ce que vous auriez quelques references quand vous dites "des traits spécifiques des langues celtiques, jusqu'alors considéré comme des innovations, étaient en réalité d'extrêmes archaïsmes" ? Pourriez-vous m'indiquer simplement quelques traits specifiques afin que je comprenne un peu.

Je peux, mais attention c'est très technique ! :twisted:
Les langues celtiques, et tout particulièrement les poèmes en langues anciennes (vieil irlandais, vieux cymrique) font un grand usage des infixes.
Par exemple, pour dire "il porte", le vieil irlandais dira berid. Pour insister sur le fait "il porte devant lui", il dira roberid. Mais pour dire "il me porte devant lui", au lieu de dire roberid me - comme dans la plupart des autres langues indo-européennes tardives, il dira romberid, où la nasalisation du o (notée par le m) traduit le pronom personnel objet anticipé dans le verbe.
Ce genre de syntaxe a longtemps été considéré comme une innovation celtique. En réalité, le hittite présente le même genre de tournures. On la rencontre aussi en grec, chez Homère, mais elle est notée en trois mots - le préfixe étant coupé du pronom, lui-même coupé du verbe, ce qui a fait que le rapprochement a longtemps échappé aux linguistes. Depuis, on a retrouvé ce genre de tournures, avec de nombreuses variantes, dans presque toutes les langues indo-européennes anciennes.
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Messagede Erable » Jeu 30 Nov, 2006 14:07

Alexandre a écrit:On la rencontre aussi en grec, chez Homère, mais elle est notée en trois mots.

Cher Alexandre,
Je n'ai pu suivre que le grec attique, le grec homerique est trop complexe pour moi :oops:
Mais ca donne une bonne idee de l'anciennete des tournures, puisque Homere, l'Aveugle, chantait (ce sont des chants) et il nous parle de l'age du Bronze, ce n'est pas rien. C'est la venue des acheens, la naissance d'une civilisation qui prend son pouvoir avec la conquete terrestre et maritime des mines d'etain.

Merci pour cet exemple tres bien explique et clair.
S'il y en a d'autres, evidemment je suis preneur.
:wink:
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Messagede DT » Jeu 30 Nov, 2006 18:07

Salut,
Cela n’a rien à voir avec de la linguistique, mais donne un aperçu historiographique rapide et commode sur l’avant XIXe siècle ( et répond en partie aussi à l’autre fil sur « l’emblématique Nemed »). Il s’agit de la simple présentation d’un point de vue autre.

R. Pernoud, Les Gaulois, 1962, pp.14-22 :
« Tout cela finit par former le Recueil d'antiquités égyptiennes, grecques, étrusques, romaines, gauloises — sept volumes qui parurent entre 1752 et 1766. Caylus, entre autres idées neuves, avait compris que les dolmens dans lesquels on avait vu des autels destinés aux sacrifices sanglants des druides remontaient en réalité à la préhistoire.
Si l'on ajoute qu'un contemporain et ami de Montfaucon, Dom Martin, avait de son côté publié cinq volumes sur la Religion des Gaulois, on aura une idée d'ensemble de l'état des études celtiques en cette fin du XVIIIe siècle, à la veille de la Révolution.
Dans le même temps, de grands progrès avaient été faits Outre-Manche sur une question parallèle : celle de l'étude des langues celtiques. Un savant gallois, Lhwyd, devait avec le recul du temps se révéler le fondateur de la philologie celtique comparée ; science qui n'était du reste destinée à acquérir son plein développement qu'au siècle suivant. Il avait eu l'intuition de la parenté entre les diverses langues celtiques, celles que, de nos jours, on réunit dans les groupes bien connus des spécialistes : le gaélique, l'irlandais et le britonnique, comprenant le gallois, le breton et le cornique, langage des Cornouailles disparu au XVIIe siècle. Auparavant, les hypothèses les plus fantastiques, les plus étranges, avaient été émises sur l'origine et la parenté des langues gauloises. Au XVIe siècle, le bénédictin Joachim Perionius faisait dériver le gaulois du grec, reprenant, au reste sans la connaître, l'une des théories de Guillaume Postel. Influencé par la fameuse liste de rois gaulois, descendants de Noé, que l'on avait publiée une cinquantaine d'années auparavant, il retrouvait le nom de l'un de ces rois, Magus, dans des noms de lieux comme celui de la ville de Rouen, Rotomagus. Pour d'autres, comme Guillaume Paradin, auteur d'une Histoire de Bourgogne, le gaulois dérivait de l'allemand ; un Hollandais le faisait venir du flamand ; et, conciliant, l'auteur du premier
glossaire de mots gaulois recueillis chez les auteurs anciens, Isaac Pontanus, l'expliquait à la fois par le hollandais et l'allemand. D'autres thèses plus hardies encore devaient être émises : ainsi les rapports de filiation entre l'hébreu, le gaulois et le phénicien. David Malcome, érudit gallois de la première moitié du XVIIIe siècle, avait découvert, lui, des analogies entre la langue galloise et celle des Indiens de l'isthme de Darien, tandis que Rowland Jones en faisait sans hésiter la langue primitive de l'humanité.
L'époque approchait qui, à une ignorance à peu près totale, allait voir succéder un véritable enthousiasme, une sorte d'engouement pour nos ancêtres Celtes. Mais la malchance persistante qui a poursuivi les études celtiques n'en devait pas moins se manifester une fois de plus, car, il faut bien le dire, cet enthousiasme nouveau jaillissant d'un sol à peine remué allait entraîner une action féconde, mais aussi beaucoup de sottises qui ne pouvaient manquer de déconsidérer leur objet. Imaginons ce qu'aurait été l'étude du Moyen Age, partie sur l'hypothèse de la forêt donnant naissance à l'art gothique, s'il n'y avait pas eu sur notre sol plus de monuments gothiques que de documents concernant les Celtes. Ainsi naquit ce que l'on a appelé la celtomanie.
Salomon Reinach résume ainsi cette psychose nouvelle qui ne devait pas tarder à prendre force de doctrine : Les Celtes sont le plus ancien peuple de la terre ; leur langue s'est conservée presque intacte dans le bas-breton ; ils étaient de profonds philosophes dont les révélations se sont transmises aux écoles bardiques du Pays de Galles ; les dolmens sont des autels où leurs prêtres, les druides, offraient des sacrifices humains ; les alignements sont leurs observatoires astronomiques.
Cette doctrine, on la voit s'épanouir dès la fin du XVIIIe siècle et simultanément en France et en Angleterre. Elle fait partie de la vague romantique en histoire ; dès la date de 1740, l'auteur d'une Histoire des Celtes, Pelloutier, qui d'ailleurs identifiait Gaulois et Germains, avait adopté et diffusé une théorie qu'il avait trouvée chez l'historien antique Flavius Josèphe : Gomer, fils de Japhet, petit-fils de Noé, aurait été le père des Cimériens, c'est-à-dire des Cimbres et des Celtes ; d'où l'on concluait qu'une bonne partie de l'humanité était elle-même issue du monde celtique. Quelque temps après, les Anglais Aubrey et Stukeley entreprenaient d'expliquer les alignements de Stonehenge, propres, il est vrai, à frapper l'imagination, comme reproduisant le serpent cosmique, symbole de l'Être infini. A vrai dire aucune explication valable n'a jamais été donnée des extraordinaires alignements de l'époque mégalithique, qu'il s'agisse de ceux de Carnac en Bretagne ou de ceux de Stonehenge dans le Wiltshire. Et que peut-on en dire, sinon que la taille écrasante de ces gigantesques pierres levées évoque ces races antédiluviennes de géants dont parlent les textes bibliques ? Thomas Hardy a probablement adopté l'attitude la plus sage, sinon la plus scientifique, en faisant de Stonehenge le cadre d'une scène pathétique dans Tess d'Uberville. La science, elle, a classé ces monuments sous le terme de mégalithiques, qui dit bien ce qu'il veut dire ; et l'on doit se contenter de savoir qu'ils existaient avant l'arrivée des Celtes sur notre sol, tout en constatant qu'ils cadrent par ailleurs assez bien avec ce que la religion celtique comportait de mystique et de surhumain.
Mais de là à en faire un monument de la sagesse des druides, il y a un pas que franchirent sans hésiter des savants comme Cambry : dans ses Monuments Celtiques, il exprime l'idée que les dolmens seraient les signes de traités passés entre les peuples ; ils exprimeraient la stabilité ; leur position respective correspondrait à celle des astres. Chose curieuse, ces théories étaient reprises dans le même temps par un personnage qui s'est fait une renommée dans un tout autre genre que l'archéologie : La Tour d'Auvergne, le premier grenadier de France ; son ouvrage consacré aux Origines gauloises propageait la même idée en ajoutant diverses hypothèses sur la langue gauloise (il expliquait par exemple le nom de l'amazone Penthésilée par une phrase galloise signifiant : « Elle est sans bout de sein »).
Image
(Monuments celtiques de Cambry)
Or en Angleterre ces rêveries archéologiques coïncidaient précisément avec la plus grande vogue des poèmes d'Ossian, fabriqués comme on le sait par le professeur Mac Pherson entre 1760 et 1763. Autant dire que les Bardes y étaient en grand honneur. En 1794 paraissait un ouvrage intitulé Les mystères des Bardes de l'île de Bretagne, publiant de prétendus textes qu'un érudit gallois, Edouard Williams, attribuait sans beaucoup de discernement aux bardes qui, d'après lui, auraient été, après l'introduction du christianisme dans le Pays de Galles, les dépositaires des secrets des anciens druides. Toutes ces théories quelque peu fantaisistes ne devaient pas être ébranlées par la farce cruelle qui fut jouée un jour à un certain Le Brigant, lequel s'était fait une spécialité d'expliquer toutes les langues du monde par le bas-breton : on lui présenta un gamin cueilli dans les faubourgs parisiens auquel on avait fait la leçon et composé un accoutrement dans le plus pur style du sauvage vu par les navigateurs du XVIIIe siècle ; dûment stylé il proféra quelques paroles parfaitement inintelligibles que le Brigant traduisit sans sourciller, en s'appuyant sur le bas-breton. Le plus curieux, c'est qu'au XIXe siècle encore un savant comme Henri Martin reprenait ces théories sans trop se préoccuper de faire le départ entre le vrai et le faux ; et avec lui toute une foule de savants, pourtant dignes d'un meilleur sort, multipliaient les hypothèses ingénieuses et les symboles druidiques : ainsi Hersart de la Villemarqué publiait de pseudo-poèmes druidiques dont certains n'étaient que de très simples comptines que chantaient encore à son époque les petits bretons. Un autre chercheur, Mackay, s'attelait au dur labeur que pouvait représenter l'explication par le gaélique du refrain de nos chansons : La fari dondaine, la fari dondon, pour aboutir finalement à cette traduction impressionnante : Jour ! aurore ! veille au feu sacré sur la montagne du feu !
Les celtomanes ont fait rire et leurs divagations ont eu pour résultat de faire longtemps froncer les sourcils des gens sages lorsqu'on prononçait devant eux les mots de Celtes ou de celtique. Mieux valait, lorsqu'on briguait un poste à l'Université, faire comme tout le monde une thèse sur Cicéron ou sur Sénèque. Et pourtant il en était de cet enthousiasme comme de tous ceux que déclencha le romantisme : c'était une vraie découverte et une découverte méritoire en un temps où l'académisme gréco-romain régnait partout dans les lettres comme dans les arts et aussi dans la science archéologique. Face à tous ces travaux entassés sur l'antiquité gréco-latine, il représentait enfin une vraie
curiosité d'esprit, et une curiosité fort légitime : celle de gens qui consentaient à s'interroger sur eux-mêmes, sur un passé à la fois plus proche et plus déroutant que celui qui avait vu s'élever le Forum de Trajan. Les romantiques ont l'immense mérite d'avoir découvert qu'il existait une antiquité celtique, comme ils ont découvert que le Moyen Age avait existé. Salomon Reinach le reconnaît : cette tendance (à la celtomanie) a servi de contre-poids à la tendance universitaire de s'occuper exclusivement des Juifs, des Grecs et des Romains.
D'ailleurs tout n'était pas à dédaigner dans les ouvrages des celtomanes : ainsi, tout en multipliant les hypothèses hasardeuses, Cambry parcourait le Finistère et recueillait des chansons de folklore qui par la suite devaient se révéler utiles aux celtisants. Il fut le premier président de l'Académie celtique, qui se constitua en 1805 ; de cette Académie devait sortir, une dizaine d'années plus tard, la Société des Antiquaires de France, qui rendit de tels services aux études d'archéologie et de philologie celtiques.
Mais il était dit que tout serait difficile dans les études de ce genre, car le XIXe siècle, qui vit se constituer leur base scientifique, est aussi celui où les discussions concernant Gaulois et Germains tournent à l'aigre. En Allemagne, la tendance dominante faisait identifier race germanique et race gauloise. Pourtant c'est un savant bavarois, Zeuss, professeur d'histoire au gymnasium de Munich, qui, dans un ouvrage paru en 1837 et intitulé Les Allemands et les nations voisines, établissait scientifiquement l'autonomie de chacun des deux peuples et séparait aux yeux des savants les peuplades celtiques des vieilles tribus germaniques. Jusqu'au début du XXe siècle, ses recherches, qui aboutirent à la publication d'une Grammatica celtica, restèrent à la base de toute la philologie celtique ; il avait consacré sa vie à cette étude et s'était procuré, après plusieurs voyages en Angleterre et en Irlande, la copie des plus anciens documents irlandais et gallois alors inédits, ce qui lui avait permis une étude comparée de toutes les langues celtiques.
Mais, dans le même temps, les polémiques allaient s'envenimer, mêlant étrangement le nationalisme à l'histoire. Et cette intrusion des préoccupations politiques dans le domaine de l'érudition eut un double aspect : Augustin Thierry fondait toute son étude de la féodalité sur l'opposition irréductible entre race franque et race gauloise. Sa théorie devait être résumée par Guizot en une phrase lapidaire : Treize siècles se sont employés parmi nous à fondre la race conquérante et la race conquise. Et, pour Henri Martin, la victoire finale des Gaulois sur leur vainqueur germanique ne s'était accomplie que grâce à Descartes, Voltaire et la Révolution française. On voit qu'en fait de racisme Hitler a eu quelques précédents. Ce qui est curieux c'est que, comme l'a fait remarquer Camille Jullian, cette vague d'illuminisme historique fut dissipée par celui-là même que l'on traite souvent d'illuminé : Michelet. La race, je ne la vois plus, je ne sais plus ce que ce mot signifie, le jour où commence la véritable histoire de la France. Gaulois, Germains, Romains et Francs, sont des noms d'êtres disparus et de ces êtres, de leur sang, de leurs éléments physiques, il ne reste rien de sensible dans notre vie nationale. Prenez garde en prononçant ce mot de race qu'il ne soit un prétexte à justifier par le passé et à continuer dans l'avenir les haines, les jalousies et les querelles du présent. Ce que je vois au contraire dans la France capétienne, ce sont des êtres de même nature, étrangers au principe fatal de la race, qui tous travaillent ensemble par leur accord et par leur désaccord même à bâtir une société politique, à constituer une nation. Mais Michelet lui-même, rejetant cette notion de race pour notre histoire, l'acceptait pour les temps antiques. En réalité, il faudra attendre Fustel de Coulanges, et son Histoire des Institutions politiques de l'ancienne France, pour trouver la question clairement exposée à ce sujet : L'opinion qui place au début de notre histoire une grande invasion, et qui partage dès lors la population française en deux races inégales, n'a commencé à poindre qu'au XVIe siècle et a surtout pris crédit au XVIIIe. Elle est née de l'antagonisme des classes et elle a grandi avec cet antagonisme. La guerre de 1870 avait achevé de troubler certains esprits et d'embrouiller pour l'opinion publique une question qui sortait à peine de l'ombre. Pour juger des excès auxquels semblables théories ont pu entraîner, nous citerons le titre d'un ouvrage paru en 1903 : Le panceltisme universel et pacifique contre le pangermanisme envahisseur et l'impérialisme anglais. Vercingétorix n'avait pas prévu cela.
Et les hypothèses allaient leur train. L'une d'elles a laissé des traces jusqu'à notre époque : celle d'Amédée Thierry qui, se fondant sur l'existence de plusieurs groupes au sein des langues celtiques, et hypnotisé comme on l'était facilement au siècle dernier par le concept de race, prétendait retrouver du point de vue ethnographique deux groupes de Celtes qu'il appelait les Galls et les Kimris. C'est à sa suite qu'Alexandre Bertrand divisa les Celtes en Celtes et Gaulois. De nos jours encore, il est parfois difficile de convaincre certaines gens que les deux dénominations désignent un seul et même peuple bien que l'on réserve le nom de Gaulois à ceux qui ont habité notre sol. Eux-mêmes, César en fait foi, s'appelaient des Celtes.
Deux personnages assez curieux allaient concourir à faire avancer les travaux. L'un était un magistrat anglais, M. W. Stokes, que ses fonctions retenaient aux Indes, mais qui ne se passionnait pas moins pour l'étude des langues celtiques. Il recueillit en grand nombre des inscriptions gauloises et se livra à des études approfondies sur la grammaire irlandaise, si bien qu'en fin de compte le premier recueil de documents vieil-irlandais, intitulé Goïdelica, parut à Calcutta. D'autre part, et tout à fait à la même époque, un employé des douanes retraité, qui résidait à Abbeville, occupait ses loisirs à recueillir des silex. Bientôt il publiait sur la géologie quelques études qui firent d'abord hausser les épaules. Un jour vint pourtant où on le prit au sérieux, et Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes, regardé aujourd'hui comme le père de la science préhistorique, devait a sa mort en 1868 contribuer à la création du musée de Saint-Germain auquel il légua la moitié d'une collection devenue énorme et dont l'autre moitié allait au musée d'Abbeville… ».
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