Fragment d'une étude de Bernard Sergent :
.../... "Un autre ensemble est fourni par des termes qui rapprochent spécifiquement les langues indo-iraniennes d’un côté, les langues italiques et celtiques de l’autre, et qui portent sur des aspects religieux et juridico-politiques. Ainsi le nom du «roi» est rex en latin, rix en gaulois, raj- en sanskrit, qui remontent à un indo-européen *reg-s . À cela s’ajoute un nom de sacerdoce (latin flamen , sanskrit brahman , quoique ce rapprochement lexical soit discutable), le nom de l’«ordre» à respecter (dans le sacrifice, à Rome: ritus ; dans l’univers entier, en Inde: Rta- ), le verbe «croire» (latin credo , irlandais creitim , védique srad dha- , avestique zrazda- ), etc.
L’intérêt d’un tel ensemble est qu’il porte sur des mots de la même sphère idéologique (qu’en termes duméziliens on appellerait la «première fonction») et que, issu de langues parlées aux deux extrémités du domaine indo-européen, il ne peut résulter d’un emprunt mais remonte nécessairement à un passé commun. On en déduit que les Indo-Européens connurent une institution royale disposant de prérogatives religieuses et juridiques (déterminer ce qui est «droit»), ainsi qu’une catégorie de gens spécialistes des fonctions sacrées, pour lesquels le respect des procédures rituelles était de prime importance.".../...
Mais aussi Jean Varenne :
"Le mot sanskrit kalpa signifie d’abord «agencement» et équivaut, dans la littérature védique, à rita (rta ), qui désigne à la fois l’ordre cosmique, le rite et l’art, grâce à quoi les hommes parviennent à l’harmonie (autre sens du mot rita ) avec l’énergie universelle. Cependant, kalpa se réfère plutôt à la liturgie en tant qu’elle est la mise en scène, sur le plan humain, du drame cosmique vécu par les dieux. C’est pourquoi les traités rituels védiques s’appellent kalpasutra , «propositions normatives concernant l’agencement des actes rituels». Progressivement, c’est la notion d’«agencement du temps» qui prévaut, et, dans l’hindouisme proprement dit, aussi bien que dans le bouddhisme et le jaïnisme, kalpa en vient à désigner, de façon spécifique, l’agencement de la durée, le cycle cosmique. Les trois religions s’accordent alors (à partir du ~ VIe s.) pour appeler kalpa la «grande année» universelle, divisée en périodes de temps (que l’hindouisme nomme manv-antara , «intervalle de temps régi par un manu») identiques dans leur structure quadripartite. Chacune des composantes de cette structure porte le nom de yuga , et c’est ainsi que se succèdent le krita-yuga (krtayuga ), semblable à l’âge d’or d’Hésiode; puis le tréta-yuga (tretayuga ), âge d’argent; le dvâpara-yuga (dvaparayuga ), âge de bronze; enfin, le pire de tous, le kali-yuga (kaliyuga ), celui dans lequel nous vivons actuellement. À la fin de chacun de ces manvantaras, une catastrophe cosmique (du type du Déluge, par exemple) intervient, et, après la destruction du monde terrestre, se produit la résurrection de notre sphère d’existence dans sa perfection sans tache. À la fin du kalpa lui-même (dont on affirme le plus souvent qu’il est formé de douze manvantaras), c’est l’Univers tout entier (et pas seulement notre Terre) qui disparaît: en fait, toute forme d’existence se résorbe en brahman avant de se déployer de nouveau à l’aube d’un nouveau kalpa, et ainsi de suite, pour l’éternité." .../...
"MAYA : Notion particulière et difficile à cerner avec précision, dont fait grand usage la littérature philosophique de l’Inde traditionnelle et notamment celle qui relève du Vedanta. Le mot maya est ancien puisqu’il apparaît déjà dans les hymnes du Rig-Veda, partie la plus archaïque du Veda lui-même (tout au début du ~ IIe millénaire). Il s’applique alors à des «puissances» magiques qui assistent certains dieux, à commencer par Varuna, dans leur tâche de gardiens de l’Ordre cosmique (rta ). À cette époque déjà , le terme, lorsqu’il est employé au singulier, tend à désigner une sorte de déesse qui est la compagne de Varuna — sa shakti (sakti ) — et qui représente son «pouvoir» de frapper de stupeur les ennemis du Dharma (autre nom du rta ) afin de permettre aux «soldats du Bien» de les anéantir. À partir de là , maya en vient à prendre le sens d’«illusion cosmique», qui apparaît dans les Upanishads, mais surtout avec la nuance d’image, d’allégorie ou de référence à une mythologie supposée connue de tous."