Adcanaunos a écrit:Attention, cependant, à ne pas perpétuer la confusion druide = prêtre, au sens de "sacrificateur". Les premiers s'apparentent plus à des théologiens, astronomes et savants issus de "l'élite intellectuelle" qu'à des faiseurs de sacré, au sens du latin flamen.
En quoi donc un « druide » gallo-celtique était-il donc plus théologien, astronome ou exigeant en sacrifices et surtout beaucoup plus « savant » qu’un de ces homologues anciens du lithique ou contemporains les plus proches : hébreux, phéniciens, étrusques, grecs, romains ou autres ? Surtout savant en quoi, et dans quels domaines concrets, quantifiables et vérifiables (art, artisanat, architecture, agriculture, médecine, mathématique, commerce …) ?!
Fautes d’éléments concrets, fiables et vérifiables, il est très difficile de faire la part des choses concernant le monde celtique, de cerner la personnalité exacte et les fonctions, si ce n’est la participation et l’influence actives ou passives du druide au sein de la société, plutôt réduit dans le professorat, à l’enseignement des sciences connues à l’époque que dans le sacré du temps de César. Parfois peut-être aussi et plus particulièrement, c’est selon les époques et les lieux, druide-roi ou prêtre-guerrier, autrement que par la parole, commandeur-meneur ou participant à la bataille.
Fustel de Coulanges (1830-1889) apporte quelques éclaircissements sur un prêtre romain, Marcus Furius Camillus ou Camille (Vè-IVè s. av. J.-C.), qui, par sa naissance et la contrainte des événements, est passé de la magistrature comme commandeur d’armée, puis dictateur. En 396 av. J.-C., il s’empara de Véies qui résistait pendant 9 ans. Et, selon la légende, chassa de Rome les Gaulois qui l’avaient prise en 390 av. J.-C. :
Fustel de Coulanges a écrit:
LIVRE III, chapitre XVII
LE ROMAIN ; L'ATHÉNIEN
[...] Prenons un Romain des premiers siècles ; choisissons un des plus grands guerriers, Camille qui fut cinq fois dictateur et qui vainquit dans plus de dix batailles. Pour être dans le vrai, il faut se le représenter autant comme un prêtre que comme un guerrier. Il appartient à la gens Furia ; son surnom est un mot qui désigne une fonction sacerdotale. Enfant, on lui a fait porter la robe prétexte qui indique sa caste, et la bulle qui détourne les mauvais sorts. Il a grandi en assistant chaque jour aux cérémonies du culte ; il a passé sa jeunesse à s'instruire des rites de la religion. Il est vrai qu'une guerre a éclaté et que le prêtre s'est fait soldat ; on l'a vu, blessé à la cuisse dans un combat de cavalerie, arracher le fer de la blessure et continuer à combattre. Après plusieurs campagnes, il a été élevé aux magistratures ; comme magistrat, il a fait les sacrifices publics, il a jugé, il a commandé l'armée. Un jour vient où l'on songe à lui pour la dictature. Ce jour-là , le magistrat en charge, après s'être recueilli pendant une nuit claire, a consulté les dieux ; sa pensée était attachée à Camille dont il prononçait tout bas le nom ; et ses yeux étaient fixés au ciel où ils cherchaient les présages. Les dieux n'en ont envoyé que de bons ; c'est que Camille leur est agréable ; il est nommé dictateur.
....Le voilà chef d'armée ; il sort de la ville, non sans avoir consulté les auspices et immolé force victimes. Il a sous ses ordres beaucoup d'officiers, presque autant de prêtres, un pontife, des augures, des aruspices, des pullaires, des victimaires, un porte-foyer.
....On le charge de terminer la guerre contre Veii que l'on assiège sans succès depuis neuf ans. Veii est une ville étrusque, c'est-à -dire presque une ville sainte ; c'est de piété plus que de courage qu'il faut lutter. Si depuis neuf ans les Romains ont le dessous, c'est que les Étrusques connaissent mieux les rites qui sont agréables aux dieux et les formules magiques qui gagnent leur faveur. Rome, de son côté, a ouvert ses livres Sibyllins et y a cherché la volonté des dieux. Elle s'est aperçue que ses féries latines avaient été souillées par quelque vice de forme et elle a renouvelé le sacrifice. Pourtant les Étrusques ont encore la supériorité ; il ne reste qu'une ressource, s'emparer d'un prêtre étrusque et savoir par lui le secret des dieux. Un prêtre véien est pris et mené au Sénat : pour que Rome l'emporte, dit-il, il faut qu'elle abaisse le niveau du lac albain, en se gardant bien d'en faire écouler l'eau dans la mer. Rome obéit, on creuse une infinité de canaux et de rigoles, et l'eau du lac se perd dans la campagne.
....C'est à ce moment que Camille est élu dictateur. II se rend à l'armée près de Veii. Il est sûr du succès ; car tous les oracles ont été révélés, tous les ordres des dieux accomplis ; d'ailleurs, avant de quitter Rome, il a promis aux dieux protecteurs des fêtes et des sacrifices. Pour vaincre, il ne néglige pas les moyens humains ; il augmente l'armée, raffermit la discipline, fait creuser une galerie souterraine pour pénétrer dans la citadelle. Le jour de l'attaque est arrivé ; Camille sort de sa tente ; il prend les auspices et immole des victimes. Les pontifes, les augures l'entourent ; revêtu du paludamentum, il invoque les dieux : « Sous ta conduite, ô Apollon, et par ta volonté qui m'inspire, je marche pour prendre et détruire la ville de Veii ; à toi je promets et je voue la dixième partie du butin. » Mais il ne suffit pas d'avoir des dieux pour soi ; l'ennemi a aussi une divinité puissante qui le protège. Camille l'évoque par cette formule : « Junon Reine, qui pour le présent habites à Veii, je te prie, viens avec nous vainqueurs ; suis-nous dans notre ville ; reçois notre culte, que notre ville devienne la tienne. » Puis, les sacrifices accomplis, les prières dites, les formules récitées, quand les Romains sont sûrs que les dieux sont pour eux et qu'aucun dieu ne défend plus l'ennemi, l'assaut est donné et la ville est prise.
....Tel est Camille. Un général romain est un homme qui sait admirablement combattre, qui sait surtout l'art de se faire obéir, mais qui croit fermement aux augures, qui accomplit chaque jour des actes religieux et qui est convaincu que ce qui importe le plus, ce n'est pas le courage, ce n'est pas même la discipline, c'est l'énoncé de quelques formules exactement dites suivant les rites. Ces formules adressées aux dieux les déterminent et les contraignent presque toujours à lui donner la victoire. Pour un tel général la récompense suprême est que le Sénat lui permette d'accomplir le sacrifice triomphal. Alors il monte sur le char sacré qui est attelé de quatre chevaux blancs, les mêmes qui traînent la statue de Jupiter le jour de la grande procession ; il est vêtu de la robe sacrée dont on revêt le dieu aux jours de fête ; sa tête est couronnée, sa main droite tient une branche de laurier, sa gauche le sceptre d'ivoire ; ce sont exactement les attributs et le costume que porte la statue de Jupiter 1. Sous cette majesté presque divine il se montre à ses concitoyens, et il va rendre hommage à la majesté vraie du plus grand des dieux romains. II gravit la pente du Capitole, et arrivé devant le temple de Jupiter, il immole des victimes.
....1. Tite-Live, V, 23 : Curru albis equis juncto.... Jovis Solisque equis. Id., X, 7 : Qui Jovis Optimi Maximi ornatu decoratus, curru curato vectus in Capitolium. Pline, H. N., XXXIII, 7, 36 : Jovis simulacri faciem minio inlini solitum triumphantiumque corpora. Denys, II, 34; V, 47. Appien, Guerres puniques, 66. Cf. Juvénal, X, 38 : In tunica Jovis.
La cité antique, Fustel de Coulanges, Librairie Hachette, sans date (1900 ?), 480 pages, pp. 257—9.
Et dont on peut retrouver un ensemble du texte :
http://remacle.org/bloodwolf/livres/Fus ... e3.htm#XVI
Tite-Live (v. 59 av. J.-C.—17 ap. J.-C.) dans son Histoire Romaine, Livre V, raconte les rites, les sacrifices, les prédictions ..., que faisaient les Étrusques et les Romains lors du siège de la ville de Véies :
Tite-Live a écrit:
Livre V.
...XV. Cependant on annonçait de nombreux prodiges; mais la plupart, appuyés d’un seul témoignage, n’obtinrent ni foi ni crédit, surtout parce que la guerre éloignait les aruspices Étrusques capables d'en diriger l'expiation. Un seul attira l'attention générale : un lac, dans la forêt d'Albe, s'accrut et s'éleva à une hauteur extraordinaire, sans que l'eau du ciel, ou toute autre cause naturelle, expliquât la merveille. Pour savoir ce que les dieux présageaient par ce prodige, on envoya des députés consulter l'oracle de Delphes ; mais les destins avaient amené plus près du camp un autre interprète : un vieillard de Véies mêla un jour, au milieu des railleries échangées entre les sentinelles romaines et les gardes étrusques, quelques paroles qu’il chantait d'un ton prophétique : « Avant que s’épuisent les eaux du lac d'Albe, on ne verra point le Romain maître de Véies. » Ce mot, jeté comme au hasard, et reçu d’abord avec indifférence, courut bientôt dans toutes les bouches. A la fin, un soldat des postes romains demande, au plus rapproché des gardes de la ville (ces entretiens familiers n’étaient point rares depuis la longue durée de la guerre), quel était l'auteur de ces obscures paroles sur le lac d'Albe. Il apprend que c'est un aruspice, et, dans la religieuse crédulité de son âme, il suppose un prodige dont l’expiation l’intéresse seul ; il voudrait, s'il était possible, prendre conseil du devin, qu’il attire ainsi à une entrevue. Ils s’avancent tous deux à l'écart, sans armes et sans méfiance : le jeune Romain alors, plus vigoureux, s'élance sur le débile vieillard, l'enlève à la face de tous, en dépit des menaces des Étrusques, le transporte au camp et le présente au général, qui l’envoie à Rome auprès du sénat. Là , on lui demande le sens de sa prédication sur le lac d'Albe. Il répond « que sans doute les dieux ont pris en haine le peuple véien depuis le jour où ils lui ont donné la pensée de révéler la ruine que les destins réservent à sa patrie. Il cédait alors à l’esprit divin qui l’inspire ; il ne peut donc revenir aujourd’hui sur les paroles qu’il a prononcées ; et peut-être n'y aurait-il pas moindre crime à taire ce que les dieux immortels veulent divulguer, qu'à mettre leurs secrets en lumière. Ainsi les livres des destins et la science étrusque enseignent qu’au jour où grossiront les eaux d'AIbe, l’épuisement du lac, selon le rite prescrit, assure aux Romains la victoire sur Véies ; autrement, les dieux n’abandonneront point les remparts de Véies. » Il explique ensuite comment on parviendrait à cet écoulement régulier des eaux. Mais son autorité parut légère et trop peu imposante en si grave matière, et le sénat voulut attendre les députés et les décisions de l'oracle pythien.
...XVI. […] Les autres guerres, celle de Véies surtout, ne promettaient point une aussi prompte issue. Et déjà les Romains désespérant de toute puissance humaine, s'adressaient aux destins et aux dieux, quand les députés rapportèrent de Delphes la décision de l'oracle, conforme à la réponse du devin prisonnier. « Romain, garde-toi de retenir l'eau d'Albe dans le lac ; garde-toi de la laisser suivre son cours et rouler à la mer. Quelle s’écoule dans tes champs, les arrose, se divise et se perde en ruisseaux. Toi attaque alors hardiment les remparts ennemis ; souviens-toi que les destins, qu'on te révèle ici, t’assure la fin de ce long siège et la ruine de cette ville. Après la guerre, porte, vainqueur, un riche présent à mes temples ; et que les religieuses pratiques de ton pays, aujourd’hui négligées, soient par toi renouvelées dans les formes solennelles. »
...XVII. Cette réponse mit en crédit le devin prisonnier : les tribuns militaires, Cornélius et Postumius, lui confièrent le soin d'expier le prodige d'Albe, et d'apaiser dûment les dieux. On découvrit à la fin que la négligence des cérémonies, l'interruption des solennités dont se plaignaient les dieux, n’avaient d’autre cause que l’irrégulière élection des derniers magistrats, qui n'avaient point exactement observé les formes prescrites pour la célébration des fêtes latines et des rites sacrés sur le mont d'Albe. Une seule voie d’expiation était ouverte, l'abdication des tribuns militaires, la reprise de nouveaux auspices et l'établissement d'un interrègne : ce qui s’exécuta aux termes d’un sénatus-consulte. Trois interrois se succédèrent ensuite : L. Valérius, Q. Servilius Fidénas, M. Furius Camille. Cependant Rome continuaient d’être agitée par les tribuns du peuple qui s'obstinaient à s'opposer aux comices tant qu'une convention première n’aurait point décidé que « la majorité des tribuns militaires serait plébéienne. » Pendant ce temps, les Étrusques tinrent conseil au temple de Voltumna : les Capénates et les Falisques voulaient que tous les peuples de l'Étrurie réunissent leurs efforts et leurs bras pour arracher Véies du péril. On répondit : « qu’on avait déjà refusé les Véiens, parce qu’ayant agi d'abord sans demander conseil en de si graves circonstances, ils n'étaient plus en droit de demander secours : on les refuse encore ; mais aujourd’hui, c’est l’intérêt même de la nation qui l’exige, de cette partie de l'Étrurie surtout, où s’est établie une peuplade inconnue, les Gaulois, nouveaux voisins, avec qui on ne pouvait répondre ni de la paix ni de la guerre. En raison pourtant de la communauté d'origine et de nom, et des calamités qui menacent un peuple frère, on consent à ne point retenir la jeunesse qui voudra marcher volontairement à cette guerre. » A Rome, on annonça le départ d’une multitude immense de ces volontaires, et, s'étaient mis en marche, et, comme toujours, la crainte d'un commun danger apaisa quelque temps les discordes intestines.
...XIX. Déjà la célébration des jeux et des fêtes latines avaient été renouvelée, l'eau du lac d'Albe s'était écoulée dans les campagnes et les destinées de Véies allaient s'accomplir. Donc, le chef marqué par les destins pour la ruine de cette ville et le salut de sa patrie, M. Furius Camille, fut élu dictateur, et nomma P. Cornélius Scipion maître de la cavalerie. Le changement de général changea soudain toutes choses : autre espoir, autre ardeur aux soldats ; la fortune même de la ville parut renouvelée. […]
...XXI. […] On ajoute ici une circonstance fabuleuse. Le roi des Véiens immolait une victime : la voix de l'aruspice, annonçant la victoire à celui qui consommerait le sacrifice, se fit entendre jusque dans le souterrain, et décida les Romains à percer la mine, à saisir les entrailles et les porter au dictateur. Dans des événements d'une si haute antiquité, c'est assez, je pense, d'adopter pour vrai le vraisemblable. Mais, quant à ces détails, plus convenables aux prestiges du théâtre, ami du merveilleux, qu'à la fidélité de l'histoire, ce n’est point la peine de les combattre ou de les affirmer.
[…] A la vue de cette immense butin, dont l'abondance et la richesse dépassaient son attente et son espoir, Camille, levant les mains au ciel, demanda, dit-on, « que si sa fortune et celle du peuple romain blessaient quelqu'un des dieux ou des hommes, ils voulussent bien faire tomber sur lui seul leur ressentiment, sans s’attaquer en rien au peuple romain. » Comme il se tournait en faisant cette prière, on rapporte qu’il glissa et se laissa tomber, et que cette chute fut pour ceux qui établissent les prédictions sur l'événement, le présage de la condamnation de Camille, et du désastre et de la prise de Rome arrivée quelques années après. Le massacre des ennemis et le pillage d'une ville si opulente remplirent cette journée tout entière.
NOTES DU LIVRE V.
... CHAP. XV. Deos mœnia Veientium deserturos non esse. « Les païens, dit Rollin, croyaient que les dieux tutélaires d’une ville, lorsqu’elle était prêtre d’être prise par les ennemis, s’en retiraient
..........Excessere omnes adytis arisque relictis
.............Di quibus imperium hoc steterat…..
dit Virgile, Énéide, liv. II, V. 351 : il parle de la ville de Troie. Les Tyriens, assiégés par Alexandre, s’imaginèrent qu’Apollon voulaient les quitter, et passer dans le camp de ce prince. Ils firent enchaîner sa statue avec une chaîne d’or à l’autel d’Hercule, pour empêcher ce dieu de s’enfuir. » (DIOD , SIC, lib. XVII.)
...CHAP. XXI. Ce récit a quelque chose de plus touchant dans Plutarque : « Camillus ayant pris la ville, et voyant du haut du chasteau comme les Romains pilloient et saccageoient une opulence infinie qu’il y avait dans la ville, s’en prit à plorer de pitié, et comme ceux qui estoient autour de luy, luy dissent qu’il estoit bienheureux, il leva les mains vers le ciel, et fit une telle priere : O très-haut Jupiter, et vous, ô dieux, qui voyez et jugez les bonnes et mauvaises œuvres des humains, vous sçavez que nous autres n’avons point volontairement, à tort et sans cause commencé ceste guerre, ains justement et par contrainte pour nous venger d’une ville ennemie qui nous avoit fait beaucoup d’outrages. Mais toutesfois si d’aventure en contrepoids de ceste prosperité, il nous est predestiné quelque malheur, je vous suplie qu’au lieu de faire tomber sur toute la ville de Rome, ou sur toute son armee, il vous plaise le faire avec le moins de mal qu’il sera possible choisir sur moy seul. Ayant prononcé ces paroles, il se voulut tourner à main droite, comme est la coutume des Romains, quand ils ont fait leurs prieres et oraisons aux dieux ; mais en se cuidant tourner, il tomba tout de son long emmy la place. Les assistans prenans ceste cheute à mauvais présage s’en troublerent : mais luy, après s’estre relevé, leur dit que ce qu’il avait requis aux dieux luy estoit advenu. C’estoit un peu de mal en contrepoids d’une tres-grande felicité. » (PLUT., Vie de Camille, traduction d’Amyot.)
Histoire romaine de Tite-Live, nouvelle édition par M. E. Pessonneaux, Librairie Garnier Frères, tome deuxième, année inconnue (1947 ?), 512 pages, pp. 29-41 et 101-102.
Texte que l’on peu retrouver sous une autre traduction française :
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIV/V.html#5-15
e.