Du VIIIe au XIVe siècle, l'islam règne sur un territoire qui s'étend de la péninsule Ibérique aux marges occidentales de l'Inde. Pendant plus de six cents ans, la constitution et la consolidation de cet empire vont de pair avec une intense activité scientifique que l'historiographie occidentale tardera à reconnaître.
L'exposition "L'âge d'or des sciences arabes", que présente l'Institut du monde arabe (IMA), réhabilite et met en scène ce corpus scientifique souvent méconnu du grand public, mais sans lequel la science européenne n'aurait pu prendre son essor. Parmi les pièces exposées, un grand nombre d'instruments, de cartes, de gravures et surtout de manuscrits d'astronomie, de mathématiques  dont certains remontent au XIe siècle  témoignent de cette splendeur passée.
Une richesse qui tient, pour une part, à la nature et à l'histoire des territoires conquis de 622 à 750 par les armées islamiques. "Les Arabes prennent alors le contrôle de régions au passé très riche et, contrairement à une idée répandue, ils ne détruisent pas les communautés locales dont le savoir s'est transmis oralement, de maître à élèves, depuis plusieur s siècles , explique Ahmed Djebbar, mathématicien et historien des sciences, commissaire scientifique de l'exposition. C'est notamment le cas de la Mésopotamie, dont les savoirs ancestraux ont sans doute joué un rôle capital dans le développement des sciences arabes."
C'est, par exemple, entre le Tigre et l'Euphrate qu'a été identifiée la première division "euclidienne", inscrite en caractères cunéiformes (que ne lisaient pas les Arabes) sur une tablette remontant à plus de mille ans avant la naissance d'Euclide (IVe siècle avant J.-C.). Et ce avant même l'émergence de Mycènes.
Peu de place est laissée au dogmatisme religieux ou à la préférence ethnique. Le premier institut scientifique, le Bayt Al Hikma (la "maison de la sagesse") est fondé à la fin du VIIIe siècle. Quant aux "savants arabes", ils sont tout autant juifs, chrétiens ou païens que musulmans. Et autant perses qu'arabes, stricto sensu. L'un des plus illustres, Hunayn Ibn Ishaq (env. 809-877), de confession chrétienne, est d'ailleurs né dans la ville mésopotamienne d'Hira. De langue maternelle syriaque  un idiome proche de l'araméen Â, il traduira en arabe plus d'une centaine de traités de Galien et d'Hippocrate.
LE POUVOIR DE LA LANGUE
Arabe, l'essor scientifique que connaît le croissant fertile entre le VIIIe et le XIVe siècle, l'est donc avant tout par la langue. Les conquérants musulmans s'approprient les connaissances de ceux qu'ils ont vaincus ou qu'ils dominent et en font la synthèse.
Le processus d'appropriation passe, d'abord, par la volonté des souverains  surtout des califes Abbassides  de traduire en arabe tous les ouvrages savants répertoriés, que ceux-ci aient été rédigés en grec, en syriaque ou en sanskrit. L'arabe devient ainsi la langue par laquelle les savoirs se diffusent. "Cette phase de traduction va durer environ un siècle et demi" , explique M. Djebbar. La phase de synthèse vient ensuite : une créativité intellectuelle inédite dans l'histoire des sciences peut émerger, fruit de la prospérité du nouvel empire autant que de son cosmopolitisme.
Très tôt, les mathématiciens arabes font la jonction entre les traditions grecque et indienne. De la première, ils tirent les bases de la géométrie. De la seconde, ils empruntent le système de numération à dix chiffres incluant le zéro, toujours en vigueur aujourd'hui  les fameux chiffres arabes sont donc, en réalité, d'origine indienne. L'arithmétique progresse.
Le mathématicien Al-Khwarizmi fonde l'algèbre avec L'Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison , publié autour de 820. Avec les progrès des techniques de calcul, ce sont l'astronomie, la mécanique et l'optique qui progressent considérablement. A la fin du XIe siècle, à Tolède, Ibn Khalaf modernise les instruments astronomiques hérités des Grecs et invente l'astrolabe universel.
Dans la première moitié du même siècle, le mathématicien et physicien Ibn Al Haytham publie son Traité d'optique qui, comme l'explique M. Djebbar, "servira de référence en Europe jusqu'au XVIIe siècle" . En témoigne, par exemple, une traduction latine du XIVe, exposée à l'IMA. Il faudra ainsi attendre l'arrivée de géants comme Newton ou Descartes pour que l'Europe parvienne enfin à poser ses propres pierres sur l'édifice construit par les savants arabes.
Prolifique, le XIe siècle est aussi celui du mathématicien et poète perse Omar Khayyam, du médecin Ibn Sina (Avicenne), à qui succédera en notoriété, au siècle suivant, le grand médecin de Cordoue Ibn Rushd (Averroès).
Pourtant, malgré la liberté avec laquelle les scientifiques travaillent et créent, des tensions théologiques sont sensibles dès le VIIIe siècle. Les débats portent, notamment, sur la prohibition ou l'autorisation par le droit religieux de se livrer à des représentations figuratives du monde.
La prohibition des représentations de la Création  toute relative lorsqu'on songe aux décorations de la mosquée des Omeyyades, à Damas (Syrie)  va réorienter le travail artistique vers les décorations planes et volumiques, à la réalisation desquelles de savants calculs sont nécessaires.
"L'âge d'or des sciences arabes", jusqu'au 19 mars 2006. IMA, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris. Tél. : 01-40-51-38-38. A lire : L'Age d'or des sciences arabes , d'Ahmed Djebbar (Le Pommier, coll. "Le Collège de la cité", 192 p., 8,50 €) et L'Epopée de la science arabe , de Danielle Jacquard (Gallimard, coll. "Découvertes", 128 p., 11,80 €).
Stéphane Foucart
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