Un néolithique européen "sophistiqué".

[Muskull]

La préhistoire racontée par l'ADN des chèvres

Les fossiles animaux en racontent parfois plus sur les sociétés préhistoriques que les restes humains. En témoignent ces quelques os de chèvres, exhumés sur le site de La Baume d'Oulen (Ardèche), occupé entre 5 000 et 5 500 avant J.-C. environ. L'étude de l'ADN de ces fossiles, publiée mardi 10 octobre dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), montre qu'à des époques très reculées les troupeaux de chèvres domestiques avaient déjà subi d'importants brassages. Et, partant, que les sociétés humaines du néolithique interagissaient déjà de manière conséquente, sur de grandes distances.

"La question de départ est issue des connaissances récentes sur la diversité génétique des chèvres domestiques actuelles, raconte Jean-Denis Vigne, chercheur (CNRS) au Muséum national d'histoire naturelle, cosignataire de ces travaux et auteur des Débuts de l'élevage (éd. Le Pommier, 186 p., 15 €). L'étude de l'ADN mitochondrial d'un large échantillon de chèvres de toutes races a montré qu'il existait quatre grandes lignées maternelles. Or on retrouve ces lignées dans tous les troupeaux, que ce soit en Europe, en Asie ou en Afrique."

Cette particularité n'est pas partagée par les autres espèces domestiques - bovins et porcins en particulier -, dont les troupeaux sont structurés en fonction de la géographie. "Les vaches françaises d'aujourd'hui sont les descendantes directes de celles que l'on trouvait dans les mêmes régions au néolithique", illustre M. Vigne.

La présence de ces quatre grandes souches génétiques dans tous les troupeaux caprins indique que ces populations animales ont subi d'importants brassages. Ce fait s'explique simplement : de petits animaux comme la chèvre peuvent suivre de longues migrations humaines, ce qui n'est pas le cas d'animaux plus imposants, comme les bovins. "Ce qu'on ignorait, c'est l'époque à laquelle ont eu lieu ces mélanges, explique M. Vigne. Ont-ils principalement eu lieu lors de grands déplacements de populations, sous l'Empire romain ? Ou bien plus tard, au Moyen Age ?" L'étude de l'ADN mitochondrial des quatre chèvres exhumées à La Baume d'Oulen montre la présence de deux lignées génétiques distinctes : les brassages de troupeaux ont donc commencé bien avant, à une époque remontant au-delà de 5 000 ans avant J.-C.

Les techniques agricoles - domestication des ongulés, agriculture - sont apparues vers 8 000 à 9 000 ans avant notre ère au Moyen-Orient, sans doute en Anatolie. Selon les données actuelles, elles ont ensuite été lentement introduites en Europe via, principalement, le littoral méditerranéen et l'Europe centrale. L'une des questions qui agitent la communauté scientifique est de savoir si cette "néolithisation" de l'Europe s'est faite par le biais d'un afflux massif de populations en provenance du Moyen-Orient ou si des contacts de proche en proche ont permis la lente progression de ces techniques.

Les travaux publiés dans les PNAS ne tranchent pas cette question. Mais ils offrent une image nouvelle de ces sociétés préhistoriques. "Lorsqu'on pense au néolithique, on a l'image de petits groupes très isolés, dit M. Vigne. Or, pour maintenir de la diversité génétique dans les cheptels, il faut qu'il existe des connexions entre les fronts avancés de la néolithisation'', en Europe, et sa base arrière, au Moyen-Orient."

D'autres travaux récents sur les premières heures de l'élevage étayent cette vision d'un néolithique beaucoup plus "sophistiqué" que les images qu'on lui associe généralement. La découverte à Chypre, sur un site daté de 8 300 ans avant J.-C., d'animaux domestiques - dont des bovins et des ovins - amenés sur l'île en plusieurs vagues et par embarcations, témoigne des échanges culturels et commerciaux soutenus qui prévalaient cinq millénaires avant l'invention de l'écriture.
Stéphane Foucart
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 275,0.html