L'amour chez les Celtes

[Fintan]

Bonjour,
Pour répondre à ceux et à celles qui ne peuvent et ne veulent comprendre que l'amour n'était pas considéré comme une "grâce divine" par les Celtes, je vais vous citer un passage du livre de M.Guyonvarc'h, Magie,médecine et divination chez les Celtes (éd. Payot),p.255:
"La seule maladie qu'un druide médecin ne sache pas guérir est celle que l'Irlande appelle serc, ou "mal d'amour" aussi bien que "langueur" ou "neurasthénie", l'amour entre deux êtres humains étant compris non pas comme un heureux hasard mais comme une fatalité et une calamité génératrices de désordres et de catastrophes."
Libre à vous de ne pas croire ce linguiste spécialisé dans l'étude des textes irlandais médiévaux mais avant de le remettre en cause, apprenez l'Irlandais ancien, prenez des cours de comparatisme et après seulement, faites-nous part de vos éventuelles réflexions ou critiques.
Sincèrement,
Fintan.

[Fergus]

Ah très bien, merci. En effet, c'est donc une maladie grave et une fatalité. Cependant pas une "tare", j'y tiens. Quant à la dernière phrase de Fintan, elle est essentielle : apprenons l'irlandais ancien.

[Karl Mat]

Je trouve le point de vue de Guyonvarc'h intéressant, sur cette question de l'amour. Ces textes reflètent certainement une certaine partie de la réalité.
Mais je ne pense pas qu'il faille voir là un modèle social absolument incontournable. Ces textes reflètent peut être l'opinion du clergé, mais je pense personnellement peu probable que tous, de l'agriculteur au guerrier, aient eu des opinions aussi tranchées. Ainsi, l'Eglise catholique elle même prêchait auparavant et encore maintenant une abstinence totale, y compris dans le mariage presque. L'idéal de l'Eglise, c'est l'immaculée conception. En pratique, et c'est ça qui compte, Dieu merci, elle a eu peu d'influence sur ce point (sinon, nous ne serions pas là pour en parler).
Je suis totalement d'accord avec Fintan sur le point de dire qu'il est bon de retourner au texte originel. Mais il ne doit pas s'agir d'une glose. Toute la société celte n'est pas dans les textes anciens, de même que toute la société chrétienne n'est pas dans la bible, même si les textes anciens des celtes sont sans doute plus représentatifs de la société celte que les textes chrétiens ne sont représentatifs de la société chrétienne.
Mais Fintan, tu as tout de même raison de faire cette mise au point : beaucoup de gens ont vu chez les celtes les créateurs de l'amour parfait et idéal, celui des amants éternels et absolus. C'est une erreur ! Les histoires d'amour finissent souvent de manière tragique, dans les légendes irlandaises, et c'est lui qui est à l'origine du drame. L'amour courtois des légendes arthuriennes, ce n'est pas celte, en aucune manière. C'est une invention médiévale issue d'une certaine idéalisation des pratiques sociales de l'aristocratie française. Il faut comprendre que les belles dames et les beaux messieurs décrits dans le cycle arthurien n'ont absolument rien de celte. Ils ne sont même pas anglais : ils sont les représentants de la société médiévale française !

[Fergus]

Alors, je tiens à préciser que ce que Guyonvarc'h décrit comme une maladie, ce n'est pas l'amour au sens large, mais la maladie de langueur de celui (ou celle) qui est atteint d'un amour impossible : c'est le cas de Cuchulainn amoureux de Fand, ou de Oengus dans "le rêve d'Oengus". En aucun cas il ne s'agit de l'amour conjugal, ni de l'amour paternel ou filial, qui sont au contraire de grandes qualités dans la société indo-européenne. Enfin, n'oublions pas que la Souveraineté, concept primordial chez les Celtes, est incarnée par une femme (Etain ou Medb ou autre), que l'on doit courtiser. C'est à mon avis une des autres origines de l'amour courtois des romans arthuriens, qui ne sont pas seulement une projection des coutumes françaises.

[Dennis King]

Bonjour Fintan,
Quant à la signification du mot "serc", je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Guyonvarc'h. Pour citer un autre spécialiste français, Vendryes (Lexique étymologique de l'irlandais ancien) dit que "serc" veut dire " amour dans tous les sens du mot", y inclus "serc do dia" (= l'amour de dieu). Je me demande si Guyonvarc'h ait confus le sens de "serc" un peu avec celui de "serg", qui veut dire "dépérissement"? A propos, il existe un mot parent en breton: "serc'h" = concubine, amante.
Slán go fóill,
Dennis