Lopodunum -Vicus de la province de Germanie supérieure, mentionné sur un certain nombre d'inscriptions lapidaires du IIe et IIIe s. ap. J.-C. Ainsi, quatre sièges du théâtre romain de Ladenburg faisaient mention des VICANIS LOPODVNENSIBVS "villageois lopodunenses (habitants de Lopodunum)" (CIL 13, 6421a ; b-c ; d et e), une inscription funéraire de Cologne de LOPODVN[ (AE 2000, 1000) et trois bornes leugaires de Heidelberg de LOP(ODVNO) (CIL 17-02, 636 ; 13, 9104 ; CIL 17-02, 637 ; 13, 9105 et CIL 17-02, 643 ; 13, 9111). Vers 371 ap. J.-C., Ausone l'a également mentionné sous le nom de Lupodunum (Idylles, X [La Moselle]).
Ce toponyme est totalement ou partiellement gaulois. On y identifie aisément le terme dunon, qui signifie "forteresse / fort". X. Delamarre (2003 ; 2012) estime que ce nom pourrait être un composé mixte latin-celtique, *lopo-dunum. En effet, le premier terme, lopo-, peut être interpréter comme une forme dialectale du latin lupus, le "loup". Il n'exclut toutefois pas la possibilité que ce premier terme puisse être un celtique *lokwo > lopo, qui signifie "lac". Étonnamment, il ne donne pas comme interprétation "la forteresse du loup" ou "la forteresse du lac", mais tout simplement le "fort de Lopos" (anthroponyme).
Bien que Lopodunum porte un nom gaulois, elle ne semble pas être l'héritière d'une localité protohistorique, sinon peut-être indirectement, de l'oppidum du Heiligenberg, situé à près de 8 kilomètres au sud-est. L'absence d'études poussées menées sur ce dernier site ne permet néanmoins pas de préciser si l'abandon du second peut-être corrélé avec l'émergence de l'agglomération civile du premier.
Dans les années 70 ap. J.-C., un premier fort romain fut édifié au niveau de Lopodunum dans le cadre des campagnes opérées par Cnaeus Pinarius Cornelius Clemens (72-74 ap. J.-C.) sur la rive droite du Rhin (Rabold, 2005). À ce premier fort, qui a laissé bien peu de traces, en a succédé un second, où ont séjourné des unités de cavalerie, dont l'aile I Cannanefatium (CIL 13, 11740). Peut-être même cette aile fut-elle présente ici dés l'origine, puisque plusieurs diplômes militaires attestent qu'elle fut assurément stationnée en Germanie supérieure entre 76 et 90 ap. J.-C. (et peut-être plus tardivement). Vers 90 ap. J.-C., l'enceinte gazonnée de ce fort a finalement été reconstruite en pierres, portant ses dimensions à 238 m de long, pour 164 m de large (Heukemes, 1986 ; Sommer, 1998). Peu de temps après, ce fort a été abandonné, très certainement dans le cadre du transfert de l'aile I Cannanefatium en Pannonie, et la constitution du limes, plus à l'est (Rabold, 2005).
Vers 106 ap. J.-C., la position stratégique de cette localité fut de nouveau exploitée. Le fort de pierre a été rasé et ses fossés comblés, afin d'édifier à son emplacement une agglomération civile, destinée à devenir la métropole de la ciuitas Ulpia Sueborum Nicrensium, la "cité ulpienne des Suèves Nicrenses". Dés sa fondation, la ville fut dotée d'une parure monumentale, comme en témoignent les vestiges d'un temple, de thermes, d'un vaste forum avec une basilique monumentale et d'un théâtre (Sommer, 1998 ; Rabold, 2005 ; Lipps, 2019). Lopodunum était situé sur une importante voie méridienne venant du franchissement du Rhin entre Mogontiacum (Mayence) et Castellum Mattiacorum (Cassel) la franchissait, avant de rejoindre Aquae (Baden-Baden), puis l'extrémité sud des Champs Décumates. Depuis cette voie partaient plusieurs diverticules se dirigeant vers différents camps du limes de Germanie. Lopodunum a grandement bénéficié de sa position dans l'arrière-pays du limes, comme en témoigne le rapide essor des quartiers artisanaux et commerciaux de la ville, au IIe s., et au début du IIIe s. ap. J.-C. à son apogée, cette localité couvrit une surface de près de 40 ha (Sommer, 1998 ; Rabold, 2005).
Les fouilles archéologiques ont permis de relever plusieurs traces d'incendies, datés de la première moitié du IIIe ap. J.-C., très certainement consécutifs aux raids répétés des Alamans. Pour y faire face, au milieu du IIIe ap. J.-C., plusieurs bâtiments monumentaux furent démantelés et leurs pierres utilisées pour ériger un rempart, dont la longueur totale dut avoisiner 2,7 kilomètres. Ces murailles ne permirent cependant pas de tenir la région, si bien que vers 260 ap. J.-C., les Romains se retirèrent de Lopodunum, qui fut ainsi abandonné aux Alamans (Rabold, 2005).
En 368 ap. J.-C., depuis Augusta Treverorum (Trèves), Valentinien Ier lança une vaste offensive contre les Alamans, au cours de laquelle l'armée romaine reprit possession d'une portion de la rive droite du Rhin. Cette campagne fut complétée par une seconde en 372. C'est très certainement dans ce cadre qu'une partie du site de Lopodunum fut réoccupé et qu'un burgus de 40 mètres de côtés y fut édifié (Heukemes, 1986). Notons aussi que la mention faite de Lopodunum dans La Moselle d'Ausone, remonte à cette même période. Cette petite forteresse n'abrita jamais plus de 35 à 40 soldats, et fut définitivement abandonnée autour de 400 ap. J.-C.
Sources littéraires anciennes
Ausone, Idylles, X (La Moselle) :"A présent, ô Rhin, déroule ta robe d'azur et les verts replis de ton voile, mesure une place à ce nouveau fleuve qui veut t'enrichir de ses ondes fraternelles. Et ses eaux ne sont pas le seul don qu'il t'apporte : mais il vient des murs de la ville impériale ; il a vu les triomphes réunis d'un père et de son fils, vainqueurs partout, sur le Nicer, à Lupodunum, aux sources de l'Ister inconnues dans les annales du Latium. Ce dernier laurier de leurs armes t'est venu naguère ; d'autres suivront, puis d'autres encore."
Sources épigraphiques
Inscription du théâtre de Ladenburg (CIL 13, 6421e) [VIC(ANIS) LOPODVNENSIBV]S Q(VINTVS) CASSIVS [ /
"Aux habitants du vicus des Lopodunenses, Quintus Cassius [?]"
Inscription du théâtre de Ladenburg (CIL 13, 6421b, c) VIC(ANIS) LOP(ODVNENSIBVS) Q(VINTVS) GABINIVS [ // ] POMPEIANVS
"Aux habitants du vicus des Lopodunenses, Quintus Gabinius Pompeianus."
Inscription du théâtre de Ladenburg (CIL 13, 6421d) VIC(ANIS) LOP(ODVNENSIBVS) MARTIALIN(IVS) MA[
"Aux habitants du vicus des Lopodunenses, Martialinius Ma[?]."
Inscription du théâtre de Ladenburg (CIL 13, 6421a) [VIC(ANIS)] LOPODVN(ENSIBVS) Q(VINTVS) VENNONIVS [
"Aux habitants du vicus des Lopodunenses, Quintus Vennonius [...]."
Inscription de Ladenburg (CIL 13, 11740) SVLEVIS SORORIBVS L(VCIVS) GALLIONIVS IANVAR(IVS) DEC(VRIO) AL(AE) I CANNANEF(ATIVM) V(OTVM) S(OLVIT) L(IBENS) L(AETVS) M(ERITO)
"Aux soeurs Suleviae. Lucius Gallionius Ianuarius, décurion de l'aile I Cannanefatium, s'est acquitté de son voeu, de bon gré, avec plaisir, comme il se doit."
Inscription de Cologne (AE 2000, 1000) ] M(ILES?) C(O)HO(RTIS) [...] NOVAE[S] SIN[GVLA]RIS CO(N)SVLA[RIS] FRATRIBVS POSVIT CIVES SVEBI C() CREATI LOPODVN[
"[(Pour) ...] soldat de la cohorte [?], garde du corps du gouverneur, ses frères ont posé (cette stèle). Citoyen suève (?), natif de Lopodunum."
Borne leugaire de Heidelberg (1) (CIL 17-02, 636 ; 13, 9104) IMP(ERATORI) CAES(ARI) DIVI SEVERI NEPOTI DIVI ANTONINI MAGNI FILIO MARCO AVR(ELIO) [[[A]NTONINO]] PIO FELICI AVG(VSTO) PONTIFICI MAX(IMO) TRI(BVNICIA) POTEST(ATE) ITER(VM) CO(N)S(VLI) III P(ATRI) P(ATRIAE) PROCO(N)S(VLI) C(IVITAS) V(LPIA) S(VEBORVM) N(ICRENSIVM) DEVOTISSIMA POS(V)IT A LOP(ODVNO) L(EVGAS) IIII
"À l'empereur César, petit-fils du divin Sévère, fils du divin Antonin le Grand, Marcus Aurelius Antoninius, pieux, heureux, Auguste, grand pontife, revêtu du pouvoir tribunicien une nouvelle fois, 3 fois consul, père de la patrie, proconsul. La cité des Suèves Nicrenses a fait poser (cette borne) avec dévotion. Depuis Lopodunum, 4 lieues."
Borne leugaire de Heidelberg (2) (CIL 17-02, 637 ; 13, 9105) IMP(ERATORI) CAES(ARI) M(ARCO) AVRELIO SEVERO [[AL[E]XA[N]DRO]] PIO FELICI AVG(VSTO) C(IVITAS) S(VEBORVM) N(ICRENSIVM) A LOP(ODVNO) L(EVGAS) IIII
"À l'empereur César Marcus Aurelius Severus Alexander, pieux, heureux, Auguste, la cité des Suèves Nicrenses (a fait poser cette borne). Depuis Lopodunum, 4 lieues."
"Aux empereurs Césars Publius Licinius Valerianus, pieux, heureux, invincible Auguste et Publius Licinius (Egnatius) Gallienus, Auguste. La cité des Suèves Nicrenses (a fait poser cette borne). Depuis Lopodunum, 4 lieues."
Sources
• X. Delamarre, (2003) - Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 440p. • X. Delamarre, (2012) - Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne, Errance, Paris, 384p. • B. Heukemes, (1986) - "Ladenburg HD", in : P. Filtzinger (ed.), The Romans in Baden-Württemberg, 3rd edition, Theiss, Stuttgart, 384p.
• J. Lipps, (2019) - "Ein monumentaler Tempel im römischen Ladenburg ?", in : B. Porod & P. Scherrer (Hrsg.), Akten des 15. Internationalen Kolloquiums zum provinzialrömischen Kunstschaffen. Der Stifter und sein Monument. Gesellschaft - Ikonographie - Chronologie, 14. bis 20. Juin 2017, Graz / Austria, Universalmuseum Joanneum, Graz, pp.250-261
• B. Rabold, (2005) - "Ladenburg (HD) - Die römische Stadt", in : D. Planck (Hrsg.), Die Römer in Baden-Württemberg : Römerstätten und Museen von Aalen bis Zwiefalten, Konrad Theiss Verlag, Stuttgart, pp.161-168
• C. S. Sommer, (1998) - "Lopodunum und die Civitas Ulpia Sueborum Nicrensium", in : H. Probst (Hrsg.), Ladenburg aus 1900 Jahren Stadtgeschichte, Regionalkultur, Ubstadt-Weiher, pp.81-201.
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique