De nombreux toponymes celtiques continentaux et insulaires dérivent d'anthroponymes ou de théonymes. Les nombreux doublets Grannus (théonyme) / Grannum (toponyme), Condercus (anthroponyme) / Condercum (toponyme), Eburus (anthroponyme) / Eburum (toponyme) montrent que ces toponymes sont forgés à partir de noms individuels. D'après X. Delamarre (2009 ; 2012 ; 2013), le mode de dérivation neutre serait le plus ancien. Il s'agît d'un procédé qui consiste à créer un nom de lieu par simple changement de genre, par le passage du nom du chef du domaine, de l'animé (masculin ou féminin), à l'inanimé (neutre).
- Au singulier
Le plus communément, la dérivation neutre thématique conduit, au singulier, à une suffixation en -on ou -om (Delamarre, 2009 ; 2012). Exemples :
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Andematunnum (Langres, Haute-Marne) < *Andematuno-n, "(le domaine) d'Andematunos" (*Ande-matu-no-, "le grand chef des guerriers") ;
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Biracellum (Bracelli, Beverino, province de La Spezia, Italie) < *Biracello-n, "(le domaine) de Biracellos" ;
Plus rarement, les thèmes en -i- (nominatif animé -is) semblent avoir leur neutre en -e, comme en latin. Pour appuyer cette démonstration, on peut citer le cas du théonyme Condatis (nominatif animé) et du toponyme Condate (neutre) (Delamarre, 2009 ; 2012). Exemples :
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Namare (Melk, Basse-Autriche), "(le domaine) de Namaris" ;
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Arlape (Erlauf, Basse-Autriche), "(le domaine) d'Arlapis", Arlapis pouvant être un anthroponyme ou un hydronyme ;
- Au pluriel
Au pluriel, la dérivation neutre thématique conduit à une suffixation en -ā (Delamarre, 2009 ; 2012). Exemples :
Nemetocennā (Arras, Pas-de-Calais), "(les domaines) de Nemetocennos" ;
De l'avis de X. Delamarre, il est fort probable que ce neutre pluriel en -ā a été réinterprété de bonne heure, peut-être même dès avant l'époque gallo-romaine, comme un féminin s'accordant avec un substantif sous-entendu. Ainsi, Soliciā, "les *Solicion", c'est-à-dire "(les domaines) de Solicios", a eu tendance à être réinterprétée en Solicia (uilla), "ferme solicienne".
- Progressif remplacement de cette dérivation
Progressivement, la dérivation toponymique neutre a été remplacée par les dérivations à suffixes en -āco-, -āno-, -ati-, etc., qui donnaient plus de substance au toponyme et évitaient sans doute des ambiguïtés syntaxiques, la forme animée (nom de personne) n'étant distinguée de la forme neutre (nom de lieu) qu'au nominatif et au vocatif (Delamarre, 2009 ; 2012 ; 2013).