•
Ordéric Vital : Histoire de Normandie (Histoire ecclésiastique), Traduction de : M. Guizot, 1826, Caen
Texte:
Taurin entra ensuite dans le temple de Diane [à Evreux"] et, par la vertu de Dieu, força le diable de se rendre visible au peuple. A cette vue, toute la population païenne fut saisie d'une grande frayeur ; car il leur apparut clairement sous la forme d'un Ethiopien noir comme la suie, ayant la barbe longue, et jetant par la bouche des étincelles de feu. Ensuite un ange du Seigneur arriva brillant comme le soleil, et, aux regards de tout le monde, emmena le démon les mains liées derrière le dos. Dans le cours de cette journée deux mille hommes furent baptisés, et tous les malades furent guéris par le secours divin. Déodat [auteur de la Vie de saint Taurin], frère d'Euphrasie, vit ces choses ; il crut, fut baptisé, et, devenu prêtre, il rapporta avec vérité par écrit ce dont il avait été témoin. Alors Taurin fit son entrée dans le hideux temple de Diane, le purifia par ses exorcismes, ses prières, et le consacra au service divin en l'honneur de sainte Marie mère de Dieu. [...]
L'envieux Satan s'affligea de voir tant de bien ; il essaya de porter atteinte à l'homme de Dieu, par diverses machinations, et suscita beaucoup d'ennemis. Deux magiciens, Cambisses et Zaraa, étaient prêtres de Diane. Ils gémirent de voir le peuple se convertir à Dieu, et engagèrent vingt de leurs disciples à tuer Taurin. Dès leur arrivée, l'homme de Dieu les vit de loin et les reconnut ; faisant contre eux le signe de croix, il les forçat aussitôt de rester immobiles. A son ordre ils redevinrent libres, se jetèrent à ses pieds, crurent et furent' baptisés au nom de la sainte et indivisible Trinité. Quand les magiciens virent que leurs artifices étaient impuissant contre le soldat du Christ, ils se tuèrent de leurs propres couteaux. [...]
Le démon qu'il avait expulsé du temple de Diane resta longtemps dans la même ville, et se présenta fréquemment sous diverses formes, mais il ne put nuire à personne. Le vulgaire l'appelle Gobelin, et assure que, jusqu'à ce jour, les mérites de saint Taurin l'ont empêché de nuire aux hommes : comme il avait obéi aux ordres du saint évêque en brisant ses propres statues, il ne fut pas à l'instant replongé dans l'enfer, mais il subit sa peine dans le lieu où il avait régné, et vit sauver les hommes auxquels il avait si souvent insulté en travaillant de tant de manière à leur perte.