Peuple de la Gaule aquitaine, leur territoire correspondait à celui de l'ancien diocèse de Lectoure (avant 1790), soit la Lomagne. À l'époque gallo-romaine, leur métropole était Lactora (Lectoure, Gers).
Attestations et étymologie
Selon P.-M. Duval (1989), il est possible que ce peuple ait été mentionné sous la forme Latusates par Pline (Histoire naturelle, 108), peuple que d'autres auteurs identifient aux Tarusates. Les seules mentions littéraires anciennes indiscutables sont plus tardives, on trouve LACTORATES sur la Table de Peutinger et ciuitas Lactoracium dans la Notice des Gaules. Quelques attestations épigraphiques de cet ethnonyme, toutes datées du IIe ou du IIIe s. ap. J.-C., le mentionnent sous les formes CIVITAT(IS) LACTOR(ATIVM) et ORDO LACT(ORATIVM) (CIL 13, 511), R(ES) P(VBLICA) / LACTORAT(IVM) (CIL 13, 520) et LACTORAT(ES) (CIL 13, 526). Cet ethnonyme est gaulois. X. Delamarre (2023) estime plus vraisemblable une segmentation en *Laχtor(a)-ati-, plutôt qu'en *Lacto-rate, tant il est évident que cet ethnonyme dérive du toponyme Lactora, associé au suffixe d'appartenance *-ati-. L'ensemble signifie tout simplement "ceux de Lactora".
Histoire
● Un peuple allié aux Romains ?
Diodore de Sicile a raconté l'histoire d'un roi gaulois dénommé Κοντωνιατός / Kontoniatos, homme fort réputé, qui fut élevé à Rome, et obtint des Romains un royaume, dont la capitale était Ἰοντώρας / Iontora (Bibliothèque historique, fragment des livres XXXIV-XXXV). Ce récit ne fournit aucun élément de datation. Il est nécessairement question d'une époque postérieure à l'arrivée des Romains dans la région (entre 121/120 et 118 av. J.-C.) et antérieure à la rédaction de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile (vers 30 av. J.-C.). Suite au travail de G. Zippel (1895), repris notamment par C. Jullian (1909), il est fréquemment admis que ce toponyme serait fautif, et qu'il faille le corriger en Λακτώρας / Lactora. Si cette conjecture s'avérait juste, il ne serait pas sans poser de nombreuses questions. Considérant que le royaume de Kontoniatos était allié aux Romains, et que cette alliance avait entraîné l'absence de mention des Lactorates lors de la campagne de Publius Licinius Crassus Dives contre les Aquitains (56 av. J.-C.), comment expliquer qu'ils ne bénéficièrent pas d'un statut avantageux dans la formule provinciale annoncée par Pline ? En effet, si l'opinion de P.-M. Duval (1989) est exacte et que les Latusates de Pline (Histoire naturelle, 108) sont bien les Lactorates, on constate qu'ils reçurent le statut de tributaires. Cette curieuse situation invite à garder une certaine prudence vis-à-vis de ces deux hypothèses.
● Le Haut-Empire
Les imprécisions des sources et le caractère peut-être discutable de leur interprétation (souligné au dessus) rend délicat le fait de retracer l'histoire de ce peuple au début de l'époque romaine. Si on rejette tout autant les propositions de G. Zippel (1895) et de P.-M. Duval (1989), il faudrait déduire de l'absence de mention de ce peuple antérieurement au début du IIe s. ap. J.-C., une déduction tardive, faite au détriment d'un peuple du voisinage. L'archéologie va partiellement à l'encontre de cette idée
Tout porte à penser que Lactora a connu un essort remarquable dés l'époque d'Auguste. En effet, l'oppidum indigène, situé au niveau de l'actuelle ville médiévale, fut partiellement délaissé (ville haute), tandis que l'habitat se concentra dans la plaine voisine (ville basse). Les vestiges d'une importante parure monumentale ont également été relevés, ce qui pourraît plaider pour un statut de capitale, dés cette époque. Un sanctuaire dédié à Jupiter, à Cybèle ("la Mère des dieux") et au culte impérial, n'ayant que peu d'équivalents dans la région, se développa au niveau de l'ancien oppidum. Les nombreuses inscriptions antiques découvertes au niveau de cette ville témoignent également d'un statut particulier, du moins à partir de la transition du Ier et du IIe s. ap. J.-C.
Lactora a été considérée par T. Mommsen (1885) comme ayant été plus que la capitale d'un peuple, mais comme le chef-lieu d'un district qui s'étendait à toutes les cités qui ont par la suite constitué la province de Novempopulanie. O. Hirschfeld (1896) est revenu sur cette hypothèse, considérant qu'elle ne fut que le siège d'un culte particulier en faveur de la Mère des dieux. En outre, il propose d'expliquer cette mention singulière dans l'inscription de 105 ap. J.-C., dédiée à Caius Minucius Italus (AE 1893, 125 ; CIL 05, 875), par le fait qu'il s'agissait possiblement d'un domaine impérial régi par un procurateur, comme pourrait également le laisser penser la découverte de l'épitaphe un procurateur affranchi d'Antonin le Pieux (138-161 ap. J.-C.) au niveau de cette même ville (CIL 13, 528).
● Le Bas-Empire
Il est largement admis que les Lactorates, aux côtés de huit autres cités d'Aquitaine déléguèrent des représentants auprès de l'empereur entre 271 et 285 ap. J.-C. afin d'obtenir de ce dernier la création d'une nouvelle province, la Novempopulanie.
Aux IIIe et IVe s. ap. J.-C., le territoire des Lactorates connut une phase de déclin, sans doute lié à l'insécurité grandissante occasionnée par les raids des barbares. La quartiers développés au niveau de la ville-basse de Lactora furent progressivement délaissés, tandis que la ville haute fut dotée d'une enceinte défensive (IVe ap. J.-C.).
Sources littéraires anciennes
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, fragment des livres XXXIV-XXXV :"Un certain Kontoniatos, roi d'une ville galate nommée Iontora, se faisait remarquer par sa prudence et par son habileté stratégique. Il était l'allié des Romains. Élevé jadis à Rome, et ayant adopté les moeurs et imité la vertu des Romains, il obtint par ces derniers un royaume dans la Galatie."
Pline, Histoire naturelle, IV, 108 :"A l'Aquitaine appartiennent les Ambilatres, les Anagnutes, les Pictons, les Santons, libres ; les Bituriges, libres, surnommés Ubisques ; les Aquitains qui ont donné leur nom a la province ; les Sediboniates ; puis les Convènes rassemblés dans une ville ; les Bégères, les Tarbelliens, surnommés Quatuor Signani (à cause d'une garnison de quatre enseignes) ; les Cocosates, surnommés Sex Signani ; les Vénames, les Onobrisates, les Bélendes, la chaîne des Pyrénées ; au-dessous, les Monèses, les Osquidates des montagnes, les Sibyllates, les Campones, les Bercorcates, les Bipedimuens, les Sassuminiens, les Vellates, les Tornates, les Consoranniens, les Ausques, les Élusates, les Sottiates, les Osquidates de la plaine, les Succasses, les Latusates, les Basabocates, les Vasséens, les Sénnates, les Cambolectres, les Agésinates (ou Cambolectres Agésinates) ;"
Sources épigraphiques
Aquilée (AE 1893, 125 ; CIL 05, 875) C(AIO) MINICIO C(AI) F(ILIO) / VEL(INA) ITALO IIIIVIRO I(VRE) D(ICVNDO) / PRAEF(ECTO) COH(ORTIS) V GALLOR(VM) EQVIT(ATAE) / PRAEF(ECTO) COH(ORTIS) I BREVCOR(VM) EQVIT(ATAE) C(IVIVM) R(OMANORVM) / PRAEFECTO COH(ORTIS) II VARC(IANORVM) EQ(VITATAE) TRIB(VNO) MILIT(VM) LEG(IONIS) VI VICT(RICIS) / PRAEFECTO EQ(VITVM) ALAE I SING(VLARIVM) C(IVIVM) R(OMANORVM) DONIS DONAT(O) A DIVO / VESPASIANO CORON(A) AVREA HAST(A) PVR(A) / PROC(VRATORI) PROVINC(IAE) HELLESPONT(I) PROC(VRATORI) PROVINCIAE ASIAE QVAM / MANDATV PRINCIPIS VICE DEFVNCTI PROCO(N)S(VLIS) REXIT PROCVRAT(ORI) / PROVINCIARVM LVGVDVN[I]ENSIS ET AQVITANICAE ITEM LACTORAE / PRAEFECTO ANNONAE PRAEFECTO AEGYPTI FLAMINI DIVI CLAVDI / DEC(RETO) DEC(VRIONVM) // [P(VBLIVS)] TVLLIVS MA[... M]AMVLA(?) [IIII]VIRI I(VRE) D(ICVNDO) III KAL(ENDAS) IVN(IAS) / S(ENATVS) C(ONSVLTO) SCRIB(ENDO) ADF[VERVNT ...] PROCVLVS C(AIVS) APPVLEIVS CELER / A(VLVS) IVNIVS G[...] SEX(TVS) COSSVTIVS SECVNDVS / QVOD V(ERBA) F(ACTA) S(VNT) IN HO[NOREM C(AI) MINICI ITALI SPLENDIDI]SSIMVM VIRVM QVIDQVID CONSE/QVI GRATIAE AV[T POTENTIAE PER SVMMOS HONOR]ES EQVESTRIS DIGNITATIS POTVERIT / I<D=T> OMNE AD AV[GENDAM ET ORNANDAM PATRIA]M SVAM CONVERTISSE NEC VLLO / SE FELICIOR[EM CREDERE OFFICIO QVAM VT PRO EA LA]BORET Q(VID) D(E) E(A) R(E) F(IERI) P(LACERET) D(E) E(A) R(E) I(TA) C(ENSVERVNT) / CVM C(AIVS) MINIC[IVS ITALVS ... H]VNC PRAECIPVVM VIRTVTVM / SVARVM FI[NEM PRAESCRIPSERIT ET MVLTIS PATRIAE FO]RTVNAM LOCIS AMPLIFICAVERIT / ET SVPER CE[TERA OMNIBVS SIT NOTV]M SACRATISSIMVM PRINCIPEM / TRAIANVM A[VGVSTVM DECREVISSE ROGATV EI]VS VT INCOLAE QVIBVS FERE CENSE/MVR MVNERI[BVS NOBISCVM FVNGANTVR E]T VT PLENIOREM INDVLGENTIAM / MAXIMI IMPER[ATORIS HABEAMVS PER EVM CONT]IGISSE / P(LACERE) H(VIC) O(RDINI) ADQ(VE) E R(E) P(VBLICA) V(IDERI) STATVAM AEREAM CVM [BASI MARMOREA EI PONI DECRETV]MQVE NOSTRVM BASI INSCRIBI / QVO TESTATIV[S SIT PRO MERITIS BENEFICII]SQVE TANTI VIRI SOLVENDO NOS / ALITER [APTOS NON ESSE NISI VT DE EO PVBLI]CE GLORIEMVR CENSVER(E) / TI(BERIO) IVLIO [CANDIDO II C(AIO) ANT]IO QVADRATO II CO(N)S(VLIBVS)
"À Caius Minicius Italus, fils de Caius, (de la tribu) <iu>Velina, quattuorvir chargé de dire le droit, préfet de la cohorte V Gallorum equitata, préfet de la cohorte I Breucorum equitata civium Romanorum préfet de la cohorte II Varcianorum equitata, tribun militaire de la légion VI Victrix, préfet des cavaliers de l'aile I Singularium civium Romanorum, ayant reçu des décorations du divin Vespasianus : la couronne d'or et la lance sans fer, procurateur de la province de l'Hellespont, procurateur de la province d'Asie où il fut mandaté en remplacement du défunt proconsul, procurateur des provinces de Lyonnaise, d'Aquitaine et de Lactora, préfet de l'annone, préfet de l'Égypte, flamine du divin Claudius. Par décret des décurions." "Publius Tullius M[...] Mamula (?), quattuorvir chargé de dire le droit, le 3e jour avant les Calendes de Iunius(1), par décision du sénat. Étaient présents lors de la rédaction : [...] Proculus, Caius Appuleius Celer, Aulus Iunius G[…], Sextus Cossutius Secundus. Alors qu'ils prononçaient ces paroles en l'honneur de Caius Minicius Italus, homme splendidissime,, quelle que soit la grâce ou le pouvoir qu'il aurait pu obtenir grâce aux plus hauts honneurs de rang equestre, il les tourna vers l'accroissement et l'ornementation de sa patrie, et ne croyait pas lui-même d'être plus heureux dans un devoir que de travailler pour elle ; c'est ainsi qu'ils décidèrent, lorsque Caius Minicius Italus […] a prescrit ce but principal de ses vertus, afin d'augmenter la fortune de sa patrie dans de nombreux endroits, et par-dessus tout, il est connu de tous que le prince très sacré Traianus Augustus, à sa demande, a décrêté que les étrangers résidents habituellement dans (notre cité) soient inclus dans notre recensement et accomplissent avec nous dans les offices, et que par lui, il est arrivé que nous recevions une abondance de bonté de notre grand empereur, il plait à ce sénat et est conforme à notre république qu'une statue d'airain avec un socle de marbre lui soit érigée, et qu'il inscrive notre décrêt sur le socle, comme témoignage de ses mérite, afin qu'il soit bien attesté qu'il n'y a pas d'autre moyen pour nous de rembourser un si grand homme en échange de son services et bienfaits que de le glorifier publiquement. Tiberius Iulius Candidus (2nd consulat) et Caius Antius Quadratus (2nd consulat) étant consuls (2)."
(1) Le 30 mai.
(2) Tous deux furent consuls au cours de l'année 105 ap. J.-C.
Lectoure (CIL 13, 511) [S(ACRVM) M(ATRI) D(EVM)] / PRO SALVTE IMP(ERATORIS) M(ARCI) / ANTONI GORDIANI / PII FEL(ICIS) AVG(VSTI) ET SA/BINIAE TRANQVIL/LINAE AVG(VSTAE) TOTI/VSQ(VE) DOMVS DIVI/NAE PROQ(VE) STATV / CIVITAT(IS) LACTOR(ATIVM) / TAVRO<B=P>OLIVM FE/CIT ORDO LACT(ORATIVM) / D(OMINO) N(OSTRO) GORDIANO / AVG(VSTO) II ET POMPEIANO CO(N)S(VLIBVS) / VI IDVS DEC(EMBRES) CVRANTIB(VS) / M(ARCO) EROTIO FESTO ET M(ARCO) / CARINIO CARO SACERD(OTE) / TRAIANIO NVNDINIO
"Consacré à la Mère des dieux. Pour le salut de l'empereur Marcus Antonius Gordianus, le pieux, favorisé des dieux, Auguste, et Sabina Tranquillina, Auguste, et de toute la maison divine , et pour le statut de la cité des Lactorates. Ce taurobolium a été fait par l'Ordre (des décurions de) la cité des Lactorates, notre seigneur (Marcus Antonius) Gordianus, Auguste, (2nd consulat) et (Clodius) Pompeianus étant consuls, le 5e (jour avant) les ides de December(3), sous la direction de Marcus Erotius Festus et Marcus Carinius Carus, le prêtre étant Traianaus Nundinius."
(3) Le 9 décembre 241 ap. J.-C.
Lectoure (CIL 13, 520) PRO SALVTE / ET INCOLVMI/TATE DOMVS / DIVINAE R(ES) P(VBLICA) / LACTORAT(IVM) TAV/RO<B=P>OL(IVM) FECIT
"Pour le salut et l'invulnérabilité de la Maison divine. La république des Lactorates a fait ce taurobolium."
Lectoure (CIL 13, 526) IMP(ERATORI) CAES(ARI) / DIVI ANTONINI / F(ILIO) DIVI VERI PART(HICI) / MAXIMI FRATRI / M(ARCO) AVREL(IO) ANTO/NINO AVG(VSTO) GER/MANIC(O) SARMATIC(O) / P(ONTIFICI) M(AXIMO) T(RIBVNICIA) P(OTESTATE) XXX IMP(ERATORI) VIII / CO(N)S(VLI) III P(ATRI) P(ATRIAE) LACTORAT(ES)
"À l'empereur César, fils du divin (Titus Aelius Hadrianus) Antoninus, frère du divin (Lucius Aurelius) Verus, le Grand Parthique, Marcus Aurelius Antoninus, Auguste, Germanique, Sarmatique, grand pontife, 30 fois revêtu de la puissance tribunicienne (4), 8 fois salué imperator, 3 fois consul, père de la patrie. Les Lactorates (ont érigé ce monument)."
(4) Marc Aurèle a été revêtu de sa 30e puissance tribunicienne entre le 10 décembre 175 et le 9 décembre 176 ap. J.-C.
"Consacré aux dieux Mânes de Titus Aelus Leo, procurateur de l'Auguste."
Sources
• X. Delamarre, (2023) - Dictionnaire des thèmes nominaux du gaulois (II. Lab- / Xantus), Les Cent Chemins, 570p. • P.-M. Duval, (1989) - "Les peuples de l'Aquitaine d'après la liste de Pline", in P.-M. Duval (ed.) Travaux sur la Gaule (1946-1986), Publications de l'École Française de Rome, Rome, n°116, pp.721-737
• O. Hirschfeld, (1896) - "Aquitanien in der Römerzeit", Sitzungsberichte der königlich preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Gesammtsitzung vom 16. April 1896, XX, Berlin, pp.429-456
• C. Jullian, (1909) - Histoire de la Gaule. III : La conquête romaine et les premières invasions germaniques, Librairie Hachette, Paris, 607p.
• T. Mommsen, (1885) - Römische Geschichte. Band 5 : Die Provinzen von Caesar bis Diocletian, Weidmann, Berlin, 681p.
• G. Zippel, (1895) - Festschrift zum Doctorjubilaeum, Ludwig Friedländer, 489p.
• Pierre Crombet pour l'Arbre Celtique
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique