Le sel des celtes

[Muskull]

En Lorraine, des archéologues explorent l'industrie celte du sel
LE MONDE | 09.09.03 | 13h05

"Depuis 2001, un programme de recherche tente d'évaluer l'ampleur et l'impact de l'exploitation des sources salines de la vallée de la Seille au VIe siècle avant Jésus-Christ. Le nombre de fours et la quantité considérable de déchets enfouis indiquent une production de type industriel."

"Entaillant à peine une prairie mangée de canicule, la Seille, presque à sec, s'écoule à grand-peine. Quelques planches posées en travers de son lit permettent de la traverser, s'appuyant sur des berges qui, la journée s'avançant, se mettent à blanchir étrangement au soleil. L'humidité s'évaporant, le sel, dont le sol est gorgé, se cristallise en une fine pellicule. Toute l'histoire de ce coin de Lorraine peut se lire à travers ce prisme salin et cette immense couche déposée là il y a environ 200 millions d'années, qui repose à quelques dizaines de mètres de profondeur et dont l'exploitation par les hommes a duré des millénaires."

"Dans une fosse d'une dizaine de mètres de long, pas moins de neuf fours à sel accolés ont été mis au jour. Ils appartiennent à un alignement de 120 mètres, qui non seulement n'est pas unique, mais n'est pas non plus le plus grand, comme l'ont révélé des relevés magnétométriques, qui montrent d'immenses rangées de fours parallèles les unes aux autres. Des dimensions qui ne laissent guère de doute aux archéologues : il y a bien eu ici, à l'âge du fer, aux environs du VIe siècle avant Jésus-Christ, une véritable industrie du sel."

La suite de l'article du Monde :
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,32 ... 0-,00.html

[Thierry]

Hello, il y a un très beau dossier sur cette industrie du sel en Lorraine à l'époque de Hallsttat dans "L'archéologue" n° 58 de février mars 2002

Le mot "industrie" n'est véritablement pas déplacé ici, l'extraction du sel dans la vallée de la Seille ayant littéralement provoqué une modification et un façonnement des paysages.

Je vais essayer de donner un compte rendu complet dans un prochain post

A bientôt donc, Thierry

[Thierry]

Voilà, j'ai essayé de faire la synthèse de l'article précité, il recoupe pour une large part les informations contenues dans le lien donné par Muskull.

En 1740, lors de travaux de fortifications de la petite ville de Marsal, on découvrit une couche de 8 à 10 mètres de terre cuite concassée.

A l'époque, on conclut à des fragments de briques laissés par les "Romains" et on les baptisa "briquetage".

Ce n'est qu'au XX° siècle que l'on découvra l'ampleur de ce site lié à l'exploitation du sel.

En fait, l'ensemble de la vallée repose sur des grands amas de terre cuite et les plus grands ilots atteignent 500 mètres de diamètre pour des épaisseurs de 10 à 14 métres. Les villages actuels sont construits sur ces ilôts.

Cette masse considérable de terre cuite provient d'une seule activité : les opérations de production et de calibrage du sel en des pains standards pour une commercialisation toute aussi massive !

Les fouilles archéologiques ont montré (jusqu'au moment de la rédaction de l'article en février 2002 - elles continuent aujourd'hui) une utilisation du briquetage de 750 à 450 av JC.

Pendant cette période, on a utilisé quatre millions de tonnes de terre cuite, quantité qui permet de parler d'industrie, d'organisation du travail, de hiérarchisation, de spécialisation et d'exploitation commerciale.

Le controle de cette production de sel devait être aussi important que le controle de celle du fer ou de l'or et les princes du sel de la vallée de la Seille devaient être très riches et très puissants.

Des prospections systématiques ont révélé un très grand nombre de nécropoles et parmi elles un tumulus de 82 mètres de diamètre et de 6 mètres de hauteur représentant 15000 m3. Il serait l'un des plus gros du monde celtique - exploration en cours.

Vers 450 av JC, l'exploitation disparaît - pénurie de bois, crises guerrières, le second âge du fer commence.....

Cette affaire est à suivre de très près tant elle me semble évocatrice des réalités d'un monde celtique ancien qui ne cesse d'être surprenant.

A suivre donc, Thierry

[Muskull]

Bonjour

Jean Thuillier, un spécialiste du monde étrusque affirme que le rôle économique du sel a été très sous-estimé. Il écrit même "qu'il a peut être été le pétrole de l'antiquité".

Les archéologues note que, curieusement, les nouvelles zones d'expansion celtiques vers - 800 / 700 se trouvent dans des régions riches en sel.
Salins en Franche-Comté, Salies de Béarn et bien sûr Hallstatt où l'exploitation de la mine (plus ancienne) passe à une vitesse supérieure par l'exploitation de sa partie Est, bien plus productive...

En Bretagne, les premières exploitations de sel de mer (cette fois) apparaissent vers - 800 : Guissény (Léon) et Préfailles (Loire Atlantique).
Pas de marais salants à cause du climat mais un processus tout à fait remarquable reconstitué par P.L. Gouletquer.
Pendant la période chaude, les plages étaient préparées pour les grandes marées (labour et hersage). Le sable était ensuite lavé dans des fosses peu profondes, l'eau très salée qui en résultait était évaporée dans des fours :
Structures d'argile où étaient posés les moules que l'on remplissait peu à peu de saumure jusqu'à obtenir le lingot de sel.

Les restes de fourneaux et de moules (briquetage) sont si importants en Bretagne de la Loire au Léon que cela exclus la simple consommation locale mais potentiellement peuvent induire une pré-industrie d'exportation secondaire liée au porc et au poisson.

Pour Rónán
En gallois pwllheli désigne un étang ou une lagune qui se remplit d'eau de mer aux grandes marées et fournit du sel par évaporation.
Hall, heli... Aucun rapport avec heol, le soleil breton ?

[Marc'heg an Avel]

Pour annecdote, une bévue en (P) Bretagne.

Un auteur a en effet proposé de vboir dans le nom d'HILLION une racine bretonne holen = sel, du fait que cette commune est située en fond de baie de St Brieuc.

En fait, c'était ignorer le toponyme Licelion, dans lequel je vois Les-Hen-Le(g)ion, compte tenu du camp romain situé à une portée d'arbalète à Fortville, et ou B. Tanguy voit le "aulam" cité dans la Vie de St Brieuc.

http://marikavel.net/lieux-hillion.htm

Cette page va bientot faire l'objet d'une mise à jour.

Pour information.

JC Even

[Elanis]

Salut à tous,

Sur le thème de l'industrie celtique du sel, on peut lire un dossier très intéressant, "L'exploitation du sel dans la France protohistorique et ses marges", à l'adresse :
http://www.chez.com/rouzeau/

à+

[Muskull]

Merci Elanis

Le site est des plus intéressant.
On y parle bien de cette technique de lessivage du sable pour obtenir une première saumure. Les sites les plus importants se trouvant à l'embouchure de petites rivières.
Les sites retrouvés en baie d'Audierne correspondent à ce shéma : Mesperleuc, Lesconil, Kerangall, Keraign...
Le bois étant une denrée des plus rares en ces régions maritimes, c'est très certainement l'ajonc et le varech sèché qui servaient de combustible.

Fumées de lande et d'algues, mmmm, ce sel devait être très gouteux

L'exploitation hivernale du varech, rejeté sur les plages par les tempêtes de suroît, a duré jusqu'au début du 20° siècle, non plus pour le sel mais pour l'iode (mais aussi comme engrais bio ). Les fours à goëmons constellent ce littoral.

[Sedullos]

Salut à tous,

une bonne référence sur les marais salants :

Bretagne des marais salants / Gildas Buron.- Skol Vreizh, 2001.
33, 54 Euro.

Gildas Buron est le conservateur du Musée intercommunal des Marais Salants à Batz-sur-mer, 44, dans la presqu'île de Guérande.

Et sur les Gaulois :

Le sel des Gaulois / Marie-Yvane Daire. - Errance, 2003.
23 Euro.

sed...

[Sedullos]

Re,
Jean-Paul Guillaumet faisait allusion à la vallée de la Seille dans L'artisanat chez les Gaulois, avec des dessins de M. Rouzeau, celui du site indiqué par Elanis. La métode par évaporation qui utilise des augets d terre se nomme ignifère.
Il y a au musée de Batz-sur-mer, une reconstitution de maison gauloise pour le traitement du sel selon cette méthode.

sed...

[ejds]

L'or blanc des Celtes en Lorraine
(par Laurent Olivier, Archéologia, N° 413 - Juillet-Août 2004)

De nouvelles recherches, menées en Lorraine sur un vaste complexe de sites d’extraction du sel datant de l’âge du Fer, révèlent l’existence d’une véritable “proto-industrie” développée aux époques celtique et gauloise :

http://www.archeologia-magazine.com/

Compte rendu des recherches fournis par Laurent Olivier, et de son équipe, et qu’on retrouvera sur un site abondamment illustré :

http://www.gazette-vicoise.com/monde/archeo2.htm

Le sel apportait la richesse
L’usage du sel était destiné pour l’alimentation des hommes et des animaux d’élevage, mais aussi pour la conservation des aliments (viande, poisson…) par salaison ou saumure, ainsi qu’en moindre quantité en tannage, verrerie, sidérurgie, orfèvrerie et médecine.
Une cartographie des sources salées et sites de production du sel en Europe à l’âge du fer permet de mieux comprendre l'indépendance commerciale et économique acquise vis-à-vis des sites à sel du littorale maritime.
Par ses dimensions hors du commun, le « Briquetage de la Seille » correspond ainsi à une production destinée à alimenter un marché au rayonnement très étendu et situé bien au-delà d’une demande locale.
Comme l’atteste le voisinage des centres « princiers », de puissants aristocrates devaient contrôler et protéger la production du sel et sa diffusion.

Le sel apportait non seulement richesse, pouvoir et qualité de vie aux sauniers de la Seille mais aussi aux mineurs de Hallstatt :

http://info.france3.fr/dossiers/france/3322135-fr.php

e.

[ejds]

Archéologie. Il y a 2 500 ans, la Moselle vivait de l'exploitation massive du sel gemme:

Après Archéologia, l'Archéologue, le Monde... chez Libé rien de nouveau, ou l'art d'assaisonner les pages frileuses d'un peu de culture réchauffée : :?

Le passé celte et salé du sol lorrain
Par Sylvie BRIET
mardi 13 septembre 2005 (Liberation : 06 : 00)
Marsal (Moselle) envoyée spéciale

http://www.liberation.fr/page.php?Article=323195

40 km au sud-est de Metz, la Seille s'étire paresseusement, bordée de prairies et contemplée par les seules vaches. Ce cours d'eau, inerte en cette fin d'été, connut des temps plus glorieux : il fut au coeur d'une intense activité qui fit vivre la région durant plusieurs centaines d'années et culmina au VIe siècle av. J.-C. : l'exploitation du sel par les Celtes, puis par les Gaulois, qui en ont produit jusqu'à plus de 10 000 tonnes par an. Car à une soixantaine de mètres sous terre, ce qui géologiquement n'est pas profond, on trouve un gisement de sel gemme vieux de plus de 200 millions d'années, qui s'étend de la Franche-Comté à la Lorraine. Il affleure à la surface, se concentre dans les mares ou les étangs et les sources salées de la vallée le rendent facilement exploitable. Depuis quatre ans, un programme archéologique mené par Laurent Olivier révèle peu à peu l'importance de cet énorme complexe industriel qui a façonné la région.

Les noms des rivières ­ le long desquelles pousse parfois la salicorne, une plante de milieux marins ­ et des villages racontent l'histoire : la Seille, Château-Salins, Saulxures, Salonnes ou Marsal. Petit village fortifié par Vauban, Marsal est construit sur une hauteur pas très naturelle : il repose ­ et d'autres villages avec lui ­ sur une couche de tessons d'argile qui atteint de10 à 15 mètres d'épaisseur. Ce sont les briquetages utilisés par les ancêtres des Gaulois pour l'extraction le sel. Sans l'accumulation de ces bris de terre cuite sur le sol envasé, les villages n'auraient jamais pu être construits. Pourtant, on ignorait tout du procédé d'exploitation.

«Anomalies.» C'est pourquoi, en 2001, Laurent Olivier, conservateur au musée national des Antiquités de Saint-Germain-en-Laye, organise une prospection géomagnétique, par hélicoptère puis à pied. Des chercheurs allemands, anglais et américains participent à cet ambitieux programme. Ensemble, ils établissent des cartes qui indiquent précisément les zones avec «anomalies» : les endroits où fonctionnèrent des fourneaux sont plus magnétiques. Les archéologues savent donc où creuser. Cette année encore, sur le site de Salonnes, une petite dizaine de fours sont ainsi apparus, dans un sol jonché de restes de moules à sel : «Le sol naturel est à 10 mètres sous nos pieds», explique Laurent Olivier, qui commence à reconstituer la fabrication des pains de sel.

L'eau saumâtre était concentrée par ébullition dans des récipients en argile, le sel mouillé formait une croûte à la surface de l'eau et les hommes le récoltaient. Puis le transvasaient dans des moules en terre cuite poreuse pour former des pains de sel. Tous les déchets argileux restaient sur place et donnent aujourd'hui une idée de l'impressionnant dispositif : durant des centaines d'années, de gigantesques usines de sel ont fonctionné le long de la Seille. La production dépassait les besoins régionaux, ce qui implique des réseaux de commercialisation. «Ce site était sans doute l'un des plus importants d'Europe. Nous avons trouvé de nombreuses traces d'habitat et des nécropoles.» Jo Kovacik, un archéologue américain de l'équipe, est tombé par hasard, près de Marsal, sur une série de tombes apparemment directement liées à l'exploitation du sel. Des squelettes d'hommes essentiellement, avec une particularité : tous les crânes sont retournés face vers le sol, on ignore pourquoi. Des anthropologues étudient la question.

Deux grandes périodes se détachent pour l'activité du site : entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.-C., puis une vraie période industrielle au cours des IIe et Ier siècles av. J.-C. Mais il est probable que le sel a été exploité dès les débuts de la sédentarisation. Car si les chasseurs-cueilleurs trouvaient le sel dans la viande, une fois installés, les hommes en avaient un besoin vital pour conserver les aliments et nourrir le bétail. «Celui qui contrôlait son exploitation disposait d'un grand pouvoir : il pouvait avoir une armée. Comme les métaux précieux, le sel jouait un rôle économique important, note Laurent Olivier. D'ailleurs, nous avons trouvé des traces d'habitat riche, des éléments de parure, de la vaisselle d'importation méditerranéenne, des tombes à char qui ont selon moi un rapport direct avec le sel : les gens qui exploitaient le sel étaient riches.»

Déforestation. Cette industrie à grande échelle a eu des impacts sur l'environnement que Laurent Olivier s'efforce de retracer : les déchets ont constitué les soubassements des villages, mais la déforestation a été importante à l'époque : les fours consommaient énormément de bois. C'est sans doute l'exploitation du sel qui a transformé la vallée en zone marécageuse. Le paysage a été drainé, asséché et canalisé au XVIIIe siècle. Les salines ont alors définitivement disparu. Le produit des fouilles, qui sont prolongées de cinq ans, est destiné au musée du Sel de Marsal, qui occupe une ancienne caserne de Vauban.

e.

[Thierry]

C'est l'article que je viens de remonter dans le fil d'à côté....

On a vraiment l'impression que parfois ça ne sert strictement à rien de poster.


"Rien de nouveau, rien de nouveau", l'article de Libération correspond à un point donné à la presse dans le cadre de fouilles d'envergure et il a le mérite, le grand mérite d'aborder un sujet extraordinairement méconnu et de le mettre en lumière....

Pour le surplus, cet article met l'accent sur l'ampleur de l'exploitation du sel par les Gaulois puisque les seuls déchets de cette exploitation sont à l'origine d'un "plateau" artificiel qui est aujourd'hui le sous sol d'une demi-douzaine de commune.

Cette information à mon avis est tout sauf anodine et doit être répétée. Elle permet de réaliser que les Celtes ne sont pas, avant toute chose des guerriers fantasmatiques mais les représentants d'une civilisation matérielle, agricole, industrielle et commerciale.

Bonjour chez vous.

[Muskull]

D'autant plus que au Hallstatt, les "premiers princes celtiques" présentaient des symptomes osseux révèlant d'anciens mineurs.
Cela a été mis en évidence lors de l'exposition "L'or du Hallstatt" que j'ai déjà signalé je ne sais où.

[Pierre]

je ne sais où.

http://forum.arbre-celtique.com/viewtop ... 8714#18714


@+Trouvtous

[lopi]

des princes travailleurs!
Oui, le site dont l'article parle est très impressionnant. Une vraie ruche. Et pas de trace textuelle d'un tel site!