Les figures du "mal" dans les mythes celtiques

[Muskull]

Bon
J'ai un peu l'air d'insister mais que pensez vous de mon post un peu plus haut sur les monstres androphages ?
Il y a plusieurs exemples quand même...

Pour moi, ce me semble en contradiction avec le mythe de l'île, qu'en pensez-vous ?

[Dulovios]

Eh bien Muskull, il semble que la question ne les inspire pas beaucoup et je ne sais quoi te répondre moi non plus...

Personnellement, je me suis demandé si le personnage d'Athirne, le sorcier maléfique d'Ulster, ne pouvait pas également représenter une certaine image du Mal.

De même, le semeur de troubles qu'est Bricriu "à la langue empoisonnée", ne pourrait-il pas, également, faire penser à une forme maléfique ?

Ils me font en tout cas tous deux penser au Loki de la tradition nordique qui pourrait, me semble-t-il, être aussi associé à une certaine idée du Mal.

Ceci dit, je crois que l'on peut dire également que la notion de Bien et de Mal dans la tradition celtique, n'est pas forcément comparable aux notions absolues correspondantes que nous connaissons -ou croyons connaître- dans la tradition judéo-chrétienne, et surtout chrétienne.

Notons toutefois que dans le Livre de Job le rôle de Satan est clairement défini, et de manière particulièrement cynique même, comme l'agent de Yahweh, comme l'"exécuteur des basses oeuvres". Comme l'a écrit Frédéric Soulié dans ses "Mémoires du Diable", Dieu n'est parfait qu'à la condition d'avoir créé le Diable :

Tu as dit cela, toi, Satan ?
-Et pourquoi non ? reprit le Diable; Dieu est parfait puisqu'il m'a fait; il n'est même parfait qu'à cette condition; car si le mal ne venait pas de moi, il faudrait qu'il vînt de lui, et au diable alors sa perfection.

La séparation entre un Bien absolu et un Mal absolu n'est plus aussi évidente qu'on pouvait le penser à priori, me semble-t-il.

Entendons-nous donc sur la notion même du Mal. Il s'agit du complèment indispensable du "Bien", de l'élément "noir" qui permet justement au "Bien" de se présenter aux hommes sous une forme immaculée et sans tache.

Le "Mal" est en quelque sorte, le "faire-valoir" du Bien, le "père fouettard" de saint Nicolas, l'explication, parfois simpliste, de tout ce qui ne tourne pas rond dans notre univers et également celui qui punit en lieu et place du "dieu bon".

Athirne est-il une incarnation d'un "Mal absolu" ou est-il le reflet d'une mauvaise évolution ou d'une mauvaise interprétation de la tradition, le druide utilisant ses pouvoirs de manière excessive et se croyant tout permis ? Il n'en est pas moins protégé par le pouvoir d'Ulster jusqu'à ce que ses excès nécessitent son élimination (mais il me semble qu'il y a deux versions de la mort d'Athirne).

Bricriu est-il une incarnation d'un "Mal absolu" ou est-il le perturbateur, celui qui pousse les héros à la confrontation autour du fameux "Morceau du Héros", celui qui permet de révéler le meilleur des héros mais également celui qui met en danger l'équilibre social et qui incarne finalement, de manière plus tardive, la déstabilisation, ce qui pousse finalement la société à abandonner la dangereuse tradition compétitive du "Morceau du Héros" ?

Les Fomoire ne sont-ils pas aux Tuatha ce que les Asura sont aux Deva, les Asura et les Deva ayant participé ensemble au "barattage de l'océan de lait" dont sera issu, notamment, l'Amrita, l'elixir d'Immortalité ?

En résumé, n'y a-t-il réellement que les Fomoire pour incarner le Mal dans la tradition celtique et cette notion de Mal s'oppose-t-elle à une notion manichéenne de Bien absolu, ou est-il plus vraisemblablement ce que le "faux" est au "vrai" et l'explication du côté noir du monde ???

Dulovios.

[mikhail]

Dulovios,

Merci de poser clairement cette question du bien et du mal.
Il me semble bien y avoir une différence importante de point de vue entre la tradition païenne, notamment celte, et la tradition chrétienne sur ce point.
Le diable est 'diabolus' celui qui se met en travers, paraît-il. Dans cette traduction, il est clair qu'il n'est pas que le mal mais surtout désordre, le chaos qui se créent spontanément, mais aussi le mal par malice, farce, voire méchanceté pure. Il y a des niveaux dans cet aspect de la notion de mal, moins présents dans la version chrétienne, 'manichéenne' qui ne connaît qu'un Bien absolu, encore qu'il soit plus souhaité que réel, et un Mal tout aussi absolu, le péché, le refus de l'amour de dieu, etc. Chaque fois que j'assiste à une messe (par obligation pure), je meurs d'ennui à l'écoute de cette phraséologie.

Nous sommes près de la physique et de l'épistémologie de Stéphane Lupasco, qui parle au sujet de la physique quantique d'actualisation ou de potentialisation.
L'actualisation (comprendre ici : la réalisation) du bien, potentialise le mal ; mais bien évidemment il ne peut y avoir d'actualisation totale du bien et corrélativement potentialiation complète du mal.
Le christianisme ne semble connaître que l'un ou l'autre, sans nuance --tout au moins dans le principe, dans le catéchisme ; la pratique étant nécessairement plus souple, voire jésuitique.
Stéphane LUPASCO : les trois matières.

'On' sera peut-être étonné de ce rapprochement entre la morale et la physique quantique ; pourquoi pas, puisqu'il illustre de façon pertinente, simple et claire le problème ?

milhail

[mikhail]

Il doit être bien présent à l'esprit que la société ne peut être "complète", réaliste, vivante, sans la présence de Loki, Athirne, Bricriu... sachant les conséquences inévitables de l'existence de ces trublions.

On trouve de tels personnages, avec plus ou moins d'actualisation ou de potentialisation, les bons sont parfois considérés avec horreur, et les mauvais jamais salauds complets, il leur reste une parcelle d'humanité, dans les ouvrages de science fiction d'Orson Scott Card.
Il s'agit de sa série (car il y en d'autres) "Le cycle d'Ender" suivant le surnom du héros principal : Andrew Wiggins 'Ender'.
- La stratégie Ender, J'ai lu
- La Voix des morts, J'ai lu
- Xénocide, J'ai lu
- Les enfants de l'esprit, J'ai lu millénaires
Cette trilogie de quatre livres en compte même un cinquième, moins intéressant.

Les deux premiers sont très bons, puis le souffle épique s'effiloche au profit de plus de philosophie... Alors n'achetez qu'un par un !
A noter que l'auteur a mené une vie riche et complexe ; il a vécu au Brésil, cela est clair dans le deuxième livre ; mais surtout c'est un prédicateur mormon. Ça existe ! Et en plus, c'est un fort bon écrivian de science fiction.
Pourtant je n'ai jamais lu de livres traitant avec autant de délicatesse et d'humanité de morale et de religion sans m'ennuyer, et avec un immense plaisir !

A vous de retrouver Athirne, Loki, Bricriu, voire Syrdon le Narte dans ces livres.

mikhail

[Muskull]

Bonjour

Orson Scott Card est effectivement un écrivain des plus intéressants.
Il y a aussi les romans d'Alvin le Faiseur, un remarquable essai de réalisme fantastique.

Merci de relancer le fil

En fait, ces statues de monstres androphages sont intrigantes et je n'arrive pas à les "situer" dans ce que l'on connait des celtes.
Plus tard, pas de problème, il y a la Tarasque et aussi ces "monstres" anguipèdes comme la Vuivre et Mélusine...
Ces derniers semblent d'ailleurs être une "diabolisation" de la "femme de l'autre monde".

Il y a bien les deux gardiens de l'arbre de vie mais ce me semble être d'un domaine différent.
Un figuration effrayante du temps qui tel Chronos dévore ses enfants ?
Une de ces entités de "sous terre" à qui l'on offrait sacrifices et libations ?

Toujours est-il que ces représentations devaient terrifier les "fidèles" de l'époque et font penser à un aspect dualiste, peut être tardif, dans la religion.

[Dulovios]

Merci pour ces nombreux messages Mikhaïl !

Muskull, je te souhaite donc, après cette relance du fil, une meilleure chance pour trouver une explication à tes "androphages" qui insipireront peut-être nos amis !

Alors, quid de ces "androphages" ???

Ceci dit, il me semble bien avoir rencontré la Tarasque dans mes recherches, en effet. Ce n'est pas une légende que l'on retrouve également en Normandie ? Faudra que je vérifie...

Dul.