Salut à tous!
J'ai mis en forme ce soir les réflexions qui suivent: vous inspirent-elles?
Mare aux moustiques, abreuvoir de l'armée et marais saxon et celtoroman christianisé.
Poull hwibed, ?Coriosopitum (Quimper?), Saint-Mars-la-Jaille.
Essai.
Sur les quelque 1440 toponymes inventoriés par Michel Kervarec dans la commune de Rezé (Loire-Atlantique, 44), je n'en trouve qu'un seul qui soit apparemment clairement composé d'un terme désignant un ou des insectes. Il s'agit de l'Ouche-Moucheron. Si ce Moucheron n'est pas tout simplement un nom de personne (nom de famille actuellement représenté dans le nord est de la France: Moucheron, Mousseron (?), Mouqueron), propriétaire où occupant du lieu, on peut penser aux cinq Poulhibet de Basse-Bretagne cités par Albert Deshayes (interprétés comme: mare aux moucherons, mouchettes, moustiques).
L'examen du répertoire des toponymes de Bouvron (Loire-Atlantique, 44) - Dictionnaire des noms de lieux de Bouvron, de Hervé Tremblay - ne révèle que deux insectes ayant explicitement laissé leur nom – bien sûr dialectal – dans la toponymie. Les avettes (abeilles) y sont trois fois représentées et le guerzillon (grillon) une fois. On ne peut exclure pour "guerzillon" un sobriquet. Dans la région, on affuble de ce mot "gueurzillon" les gringalets ou les personnes de faillie mine.
Si Poulhibet ne représente pas "trou d'eau + mouchettes", on peut penser à un pléonasme breton-gaulois, avec le sens redoublé de "trou d'eau". Les cinq sites sont sur des ruisseaux ou rivières (eau courante donc et non eau stagnante propice à la présence des moustiques ou autres moucherons).
Y a-t-il pléonasme également, mais germano-gaulois, à Saint-Mars-la-Jaille? Le site du bourg, dans une dépression, est celui d'un marécage dans lequel court paresseusement une Erdre qui prend ses aises. Jaille est très probablement issu d'un des noms gaulois du marais (voir par exemple en occitan limousin).
(Réf. PBA p. 50) Les colonies saxonnes des îles de la Loire –les Saxons sont attestés vers 463 à Angers– furent-elles complètement détruites en 465? Elles auraient pu laisser leur nom germanique du marais à Saint-Mars-la-Jaille, accolé au nom celte conservé en roman, tout comme à (Petit- adjectif accolé au 17e s.) Mars, plus en aval sur l'Erdre, avec les restes de l'ensemble temenos et théâtre rural gallo-romain situés près du Vieux-Bourg dans les marais, monuments peut-être susceptibles d'attirer et fixer les "pirates" saxons, et à Saint-Mars-de-Coutais, au sud de la Loire, sur le Tenu, non loin du lac de Grand Lieu, de Deas (= Saint-Philbert-de-Grandlieu) et de la Loire.
Beaucoup plus tard et sous l'influence de l'abbaye Saint-Médard de Doulon, près Nantes, ces 'mar-' auraient été christianisés. Il fallait que Medardus se prononce alors déjà en roman Mard. Christianisés, sauf le nom de Petit-Mars, puisqu'une paroisse primitive y existait déjà avec une église sur une île de l'Erdre, sous le patronage de saint Denis. Néanmoins il fallut tout de même christianiser le ruisseau coulant aux abords sud du temenos-théatre par trop évocateur de l'anciennes religion: on le baptisa ruisseau de Saint-Médard, et on créa une nouvelle paroisse limitrophe à celle de Petit-Mars, mais sur une hauteur cette fois, la paroisse de Saint-Mars-du-Désert.
Quimper pourrait avoir eu comme nom antique Coriosopitum, possible "armée + point d'eau". Cf.:
1) Poulbet, Poulhuybet en 1566, poull = mare, hameau avec ruisseau (dénivellé de 20 m sur 600 m) et avec sentier-chaussée à cheval sur le ruisseau, en Guilligomarc'h (29).
2) Toul Houibet, écrit Toullaubet (noter la graphie "au", cf. *sopit-) sur la carte de Cassini, en Duault (22). Le Toul, "trou", est probablement le vallon avec ruisseau (intermittent) signalé sur la carte de Cassini, 40 m de pente sur 600 m, permettant peut-être l'accès du bétail à un point d'eau sur un autre ruisseau, permanent celui-ci.
3) Poulhibet (je lis difficilement Ponthuibet ou Poulhuibet sur la carte de Cassini) sur le Blavet en Mûr-de-Bretagne (22), à une confluence doublée du passage d'une route ancienne (différente de la proche voie romaine Rennes-Carhaix), à la limite de Saint-Aignan.
4) Poulhibet (Pontubet, fausse lecture d'une graphie -ul- lue -nt-? sur la carte de Cassini, Poulhuibet en 1536) à un confluent, sur le Scorff, en Berné (56), là où les territoires de Guilligomarc'h, Berné et Plouay se rejoignent.
5) Poulhibet (Peuhibet sur la carte de Cassini, mauvaise lecture de Penhibet ou Poulibet?), à une confluence, à la jonction de Locmalo, Langoëlan et Ploërdut, sur le Scorff en Ploërdut (56).
Trois sites de confluences sur cinq occurrences donc.
L'interprétation par hibet < gaulois *sopit- "abreuvoir" peut raisonnablement dans ces cas concurrencer celle par breton c'hwibet "moucherons, mouchettes, moustiques". Il semblerait que les noms d'insectes ou de tout petits animaux soient peu productifs en toponymie –mais je pense à la romane–: parfois "mare aux sangsues", mention de guêpes, d'abeilles, en Charentes de "cagouilles" (escargots), de fourmis, de papillons.
Quimper, "confluent", fut-il Coriosopitum?
Les attestations ne sont malheureusement que médiévales.
B. Tanguy, dans son Dictionnaire des noms de Communes du Finistère; 1990, p. 186, interprète le mot corisopitensis qualifiant l'évêque de Quimper vers 1050 comme une forgerie dérivée de Coriosopitum lu dans la "Notice des provinces…" et y figurant suite à une erreur de copiste qui n'aurait su reconnaître coriosolitum (= en rapport avec la cité de Corseul). Il faut donc supposer :
1) que coriosolitum et coriosopitum désignent la même réalité,
2) que la forgerie "servit à légitimer l'ancienneté du siège épiscopal".
Mais où sont les éléments probants en faveur de cette éventuelle forgerie?
R. Giot suit B. Tanguy, p. 45 de Premiers Bretons d'Armorique (2003).
L. Fleuriot se demandait, parait-il, s'il ne fallait pas comprendre "l'abreuvoir de l'armée", suivi par A. Raude.
J. Quaghebeur, p. 85 de "La Cornouaille du 9eau12e s.", mentionne aussi le problème. Elle opinerait (p. 85) pour l'opinion de Waquet (l'évêché de Quimper aurait recouvert le territoire d'un pagus osisme – NDR: tardivement promu en civitas, avec chef-lieu promu lui aussi?), et remarque toutefois que les deux mentions "civitas coriosopotum" et "civitas osismorum" figurent dans un même manuscrit de Corbie. Faut-il donc lire "coriosolitum" en place de "coriosopotum" comme proposé par B. Tanguy? Mais alors la question de l'origine de l'évêché de Quimper et de son siège épiscopal reste entière, le territoire de l'évêché ne recouvrant que la partie méridionale de l'ancienne cité des Osismes.
En définitive, pour trancher, il faudrait, comme l'écrit R. Giot, découvrir une inscription, par exemple sur une borne leugaire ou milliaire, du nom antique de Quimper ou de son pagus.
Cordialement,
Gérard