Pour contribuer au débat sur la religion, la nature des dieux, et ce genre de choses, je voudrais vous soumettre un texte qui exprime le point de vue polythéiste d'aujourd'hui, à savoir celui d'Alain Daniélou, français devenu hindou. Ce texte n'engage que lui, mais il semble refléter celui des intellectuels hindous. Evidemment, les conceptions philosophiques de Daniélou, comme celles de Shankaracharya, ne sont pas partagées par l'ensemble des hindous. Le commun des gens a une conception plus simpliste de sa religion.
LA THEORIE DU POLYTHEISME
par Alain Daniélou, in Le Polythéisme hindou
éd. Buchet-Chastel, 1975
Le langage des symboles (pp. 19-21)
Pour représenter quelque chose en termes de quelque chose d'autre, on a besoin d'un système de correspondance. La mention d'un ordre de choses dans un autre ordre de choses ne peut se faire qu'à l'aide d'équivalents apparents ou arbitraires que l'on appelled es symboles. Pour représenter les moissons en termes de quantités, il nous faut des symboles : les nombres. Pour représenter les idées au moyen de sons, nous employeons des symboles : les mots. Pour représenter les mots graphiquement, nous avons besoin de symboles : les caractères. Un symbole est une représentation analogique, perceptible, d'une chose ou d'une idée. Le langage n'est qu'une forme particulière du symbolisme. L'écriture, probablement à l'origine toujours basée sur des idéogrammes, est essentiellement symbolique.
Un symbole peut être naturel ou conventionnel. La relation directe entre deux ordres de choses, l'intersection de deux mondes, de deux aspects de l'existence, est l'origine des symboles naturels.
Dans la théorie cosmogonique hindoue, le symbolisme est conçu comme l'expression d'une réalité, comme la recherche des points particuliers où différents mondes se croisent et où la relation entre des entités appartenant à des ordres de choses différents peut devenir apparente.
D'après la conception hindoue du monde, tous les aspects du manifesté proviennent de principes communs, et ont, pourrions-nous dire, des ancêtres communs. Il y a donc un parallélisme certain et des équivalences entre les sons, les formes, les nombres, les couleurs, les idées ainsi qu'entre les états subtils et transcendants et les formes du monde perceptible. Les phénomènes astronomiques peuvent être envisagés comme des symboles fondamentaux. Nous pouvons trouver en eux la figuration de lois universelles, une expression directe de la pensée qui crée le monde. Le vrai symbolisme, loin d'être inventé par l'homme, jaillit de la nature elle-même. La Nature n'est que l'expression, le symbole d'une réalité plus haute.
Ce que nous représentons comme des aspects du divin sont essentiellement les prototypes plus ou moins abstraits des formes du monde manifesté. Ces prototypes, par leur nature même, constituent les modèles d'après lesquels sont formés, à leur image, les aspects de l'univers perceptible. Chaque aspect divin nous apparaît donc comme ayant des affinités avec des formes, des nombres, des couleurs, des plantes, des animaux, des parties du corps, des énergies vitales, des constellations, des sons, des rythmes, des moments particuliers des cycles du jour, de l'année, des éons, etc.
Le panthéon hindou et sa théorie inconographique sont basés sur la supposition que de telles affinités existent réellement. C'est pourquoi un aspect divin peut être représenté et adoré& dans des formes extrêmement diverses et pourtant strictement équivalentes, telles qu'une image mentale, un diagramme géométrique (yantra), une sculpture anthropomorphique (mûrti), une formule parlée (mantra), un être humain particulier (mère, maître, etc.), un fruit, un animal, un minéral, etc. Chacune de ces formes peut être utilisée indifféremment comme un support à travers lequel rituel et méditation peuvent atteindre le principe dont elles sont l'image, l'aspect manifesté.