Je retransmets un article très clair sur la Matière de Bretagne, disponible à : http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/lettr ... t/mat2.htm
De la Matière de Bretagne…
C'est un véritable écheveau que l'on s'apprête à saisir lorsque l'on aborde la Matière de Bretagne… Matière, en effet, puisque l'on dispose d'une masse de textes, complets ou non, de différentes époques, de différentes origines, en différentes langues, et d'inspiration, de contenus ou de propos différents.
Quel élément peut-on, par conséquent, mettre en avant pour fonder la cohérence d'un tel ensemble ?
Le personnage d'Arthur est central, il est vrai, et indispensable à cet univers : toute aventure, si elle ne commence pas à sa cour, y est rattachée d'une façon ou d'une autre ; de là , le fait que l'on peut légitimement parler de "légende arthurienne", de "mythe arthurien", voire de "roman arthurien". Mais il faut avouer que le personnage d'Arthur n'est lui-même directement et activement impliqué que dans un nombre limité d'aventures. Ainsi, il représente souvent davantage un garant (fiable ou fautif selon le cas) ou un témoin tutélaire de tout un univers qu'un véritable acteur. Si c'est sur les différentes prouesses engagées par chacun des héros que l'on veut insister, on parlera de "Cycle du Graal", ou de "Romans de la Table Ronde".
Mais on s'interdira alors malheureusement d'en voir la parenté avec les différentes versions de Tristan et Iseult ou les Lais de Marie de France, dont le Lai du Chèvrefeuille qui en constitue l'une des plus anciennes mentions. De plus, tant le Graal que la Table ronde sont absents en tant que tels des récits celtiques qui servirent d'archétypes.
Aussi convient-il de saisir cet héritage dans toute sa complexe unité, de lui donner un nom qui lui soit familier puisqu'avec Jean Bodel on peut donc considérer que "ne sont que trois matières à nul homme entendant/ de France, de Bretagne et de Rome la grand". C'est-à -dire que la Matière celtique se distingue de la Matière carolingienne (Chanson de Roland…) et de la Matière antique.
Chrétien de Troyes, dans son prologue de Lancelot, indique que son commanditaire, Marie de Champagne, lui a fourni à la fois "matière" - la trame de l'histoire - et signification - le sens qu'elle voulait donner à celle-ci - et que la tâche du poète consiste à élaborer une "molt belle conjointure"…
A défaut de l'éclaircir, ceci marque au moins le lien entre l'origine celtique attestée de ces récits et ce qui a pu être élaboré à partir de là par différents auteurs ou inspirateurs, sans passer sous silence la corrélation entre la forme et le fond de ces récits, les évolutions structurelles, le passage de la poésie à la prose ou l'origine même du terme "roman"…
A. D'une généalogie l'autre : une filiation sinueuse
La filiation celtique est en effet attestée par le témoignage même d'auteurs comme Marie de France qui ne manque jamais l'occasion de noter que, des récits qu'elle nous propose, "li Bretun firent un lai"… (voir Guigemar, Equitan, Lanval, Laüstic). Par ailleurs, les titres mêmes des récits nous parleront bientôt de Gallois, etc.
Pour autant, cette filiation se présente sous la forme d'une superposition de strates qui peuvent difficilement être abordées chronologiquement du fait que les récits ont été véhiculés par oral pendant plusieurs siècles et transcrits à des époques diverses et dans un ordre parfois aléatoire… C'est donc davantage sur les motifs ou schèmes que l'on s'appuiera pour distinguer les étapes marquantes successives.
Cette Matière celtique a été étudiée de façon assez systématique par Jean Marx et on se reportera toujours utilement à ses travaux. Mais, comme point de départ, on évoquera l'ensemble de représentations et de croyances que Georges Dumézil a si judicieusement défini comme constituant une 'idéologie'.
En effet, les peuples celtiques appartiennent à la "communauté indo-européenne". C'est dire que plus qu'à des éléments "raciaux" ou simplement politiques, ils ressortissent à un même système linguistique, religieux, artistique lequel a trouvé dans l'Irlande ancienne un véritable conservatoire, du fait de l'absence de romanisation et d'une christianisation tardive mais rapide qui a absorbé d'un seul coup un corpus païen très ancien.
Des chercheurs tels que F. Le Roux et Ch-J. Guyonvarc'h ont consacré l'essentiel de leurs recherches à l'étude, dans leurs langues originale, ces récits dont l'archaïsme permet de distinguer un état premier de ces croyances.
De l'Inde védique à l'Irlande, dans cette façon de penser le monde des dieux et celui des humains, les hommes "libres" se répartissent selon trois fonctions ou classes : la fonction sacerdotale (incluant non seulement les prêtres mais aussi les médecins, les poètes et musiciens, les juristes et généalogistes…), la fonction guerrière et la fonction productrice (artisanale et agricole).
Le roi, personnage clé de cette société, est issu de la deuxième fonction mais investi par l'autorité de la première : il se trouve donc, pour le meilleur ou pour le pire, représenter un point de conjonction entre le religieux, domaine dans lequel il n'exerce cependant aucune fonction, et l'historique ou le 'sociétal' comme on le dirait aujourd'hui…
Première étape importante, donc les récits mythologiques ou héroïques qui nous décrivent assez fidèlement cette conception du monde. Ils n'ont pu être transcrits que suite à l'introduction de l'écriture, c'est-à -dire aussi du Christianisme, par des moines irlandais qui, à plusieurs siècles d'écart, se sont efforcés de compiler et de consigner le plus fidèlement possible des récits que parfois ils ne comprenaient plus. Cela étant dit, leur "ignorance" est souvent une garantie de respect pour un corpus dont ils savent qu'il fait partie intégrante de leur identité. Ces sources, transmises par des manuscrits de diverses époques mais transcrites pour la première fois vers le VIIème ou le VIIIème siècle, ont pu être exploitées jusqu'au XVIIIème siècle par un auteur tel que Séathrún Céitinn et compilées jusqu'à la fin du XIXème. Enfin, on observera que les manuscrits qui nous sont restés contiennent toujours plus d'un récit en même que chaque récit apparaît le plus souvent dans plusieurs manuscrits d'époques différentes…
à suivre...