Attention, très long message !
Puisqu’il est question des thèses de M. Jean-Claude Even, et sa publication ne se trouvant pas facilement dans les librairies, je me propose d’en citer quelques passages importants, afin que chacun puisse en juger de lui même, et se faire une opinion.
C’est ainsi qu’on peut lire, dans un chapitre consacré au Graal :
« (...) Le thème du Saint Graal a été introduit presque simultanément dans les Romans arthuriens à une époque de foisonnement mystique chrétien intense, en pleines péripéties de la 3è croisade. L’argument était d’essayer de donner à la chrétienté une supériorité divine, civilisatrice et courtoise, par opposition aux musulmans, désignés sous le nom d’Infidèles et présumés barbares et de donner aux chevaliers d’Occident une raison suprême pour aller se battre afin de délivrer Jérusalem des mains impies(...) » (p. 80).
Il me semble que l’Eglise n’avait nul besoin d’invoquer un quelconque Graal pour aller délivrer les « lieux saints ». Il ne me semble pas, d’ailleurs qu’aucun roman du Graal ait pour cadre la lutte contre les Sarrazins, ou alors c’est à titre périphérique (je pense, de mémoire, à certaines histoires de Tristan).
Poursuivons :
« S’agissant de poèmes d’origine celtique, il a donc été établi que le Graal, qualifié à l’occasion de Saint, correspondait au Saint Calice, vase qui aurait servi au repas de la Cène, la veille de l’exécution du Christ et dans lequel aurait été recueilli un peu de son sang alors qu’il était en croix. » (p. 80).
L’origine celtique est mentionnée, mais vite éludée au profit de la thèse chrétienne, qui seule importe à M. Even, semble-t-il. En effet, rien sur le chaudron du Dagda ou sur les autres hypothèses. Or on sait que l’identification du Graal au calice de la Cène est assez tardice, et n’explique en rien les éléments de la légende. Mais le meilleur est à venir :
Après avoir cité, sans le commenter, Armand Hoog, préfacier de « Perceval ou le Roman du Graal », de Chrétien de Troyes, M. Even tente une explication rationnelle de la légende. Il établit une étymologie indo-européenne du mot calice en « k°lik- = coupe, vase », qui ne nous enseigne rien sur le Graal, car désormais c’est au calice qu’il s’intéresse. En particulier à l’un de ses sens :
« Mais le sens qui nous intéresse directement, différent de celui de coupe à boire, est celui donné par Frontinus, à savoir que le mot calix désigne également de façon très précise le premier tuyau d’un aqueduc, à savoir le tyau en bronze qui émane de la prise d’eau de la nappe phréatique et qui se déverse au canal ou au réservoir. «
S’en suit une longue citation (tirée des Dossiers de l’archéologie) sur le grand savoir technique des Romains en matière d’adduction d’eau, pour parvenir à la conclusion suivante :
« L’actuelle fontaine de Saint-Symphorien, à 600 mètres de Brécilien / Bressillien, représente donc la convergence et le recoupement localisés et très précis des thèmes sacrés liés à la Déesse Mère, protectrice de la source principale de l’aqueduc de Carhaix et vénérée en cet endroit dans un sanctuaire, par la suite christianisé sous forme de chapelle. Cette source, issue d’un captage d’une nappe phréatique possédait donc probablement, comme tout départ d’aqueduc, une prise d’eau en bronze nommée calix et un bassin collecteur recueillant l’eau avant que celle-ci soit dirigée vers la canal de l’aqueduc lui-même. Elle nous offre donc le schéma d’une coupe constituée par un calix et un cratère qui, de façon trascendantale (!) et mythifiée, sont les mots utilisés pour concurremment pour désigner le Graal.
Compte tenu des recoupements établis précédemment avec les thèmes arthuriens de Carohaise, Merlin, Viviane et Barenton, nous pouvons désormais dire que ce nymphée-sanctuaire situé au départ de l’aqueduc romain de Carhaix constitue le principe fondateur qui est à l’origine du thème littéraire du calice, lequel, par glissement sémantique de la symbolique religieuse, a permis une manipulation politico-religieuse par l’introduction d’un calice-coupe à boire dans les Romans, pour aboutir au thème du Saint-Graal, comme on le connaît essentiellement depuis lors ». (p. 83)
C’est donc clair comme de l’eau de roche : le thème du Graal n’est que la manipulation littéraire, par l’Eglise romaine, à des fins « politico-religieuses », du système de captage des eaux de la source Saint-Symphorien près de Brécilien, où se trouve la véritable forêt de Brocéliande !
Vous jugerez de la profondeur et de la hauteur de vue de cette thèse, parmi les plus originales qu’il m’ait été donné de connaître...
Tout l’ouvrage de M. Even est à l’avenant. Une grande documentation pleine de détails souvent intéressants (liste des évêques de la Lyonnaise IIIème, des Consuls romains entre 432 et 497, des Empereurs romains de Théodose Ier à Romulus Augustule, calendrier jour par jour de l’année 474, notices étymologiques, etc.), au service d’une thèse principale : la véritable forêt de Brocéliande, et la plupart des lieux arthuriens, se trouvent autour de Carhaix, Finistère.
Frédéric Creuzet