Les esclaves

[Pierre]

Salut Thierry,

Te voilà bien catégorique

Ouvres ton Kruta, page 508 (Cadenas).

En Celtique méditérranéenne, a été retrouvé le corps d'un femme enterrée avec ses entraves. (Si Dominique Garcia passe ?).


@+Pierre

[Adcanaunos]

A propos d'entraves issues de contextes antérieurs à la conquête, deux exemples me viennent immédiatement à l'esprit : une entrave et sa clef retrouvées dans les fossés de la ferme d'Herblay dans l'Oise, exploitée durant la Tène finale ; une entrave déposée en offrandes dans une fosse du site de Bâle-Gasfabrik, en Suisse, sous un gros tesson de panse d'amphore à vin (!). D'autres découvertes sur les oppida celtiques de Manching en Bavière, de Besançon (Parking de la Mairie) ou de Verdun-sur-le-Doubs (inédite)...
Tous ces sites ont importé des quantités plus ou moins importantes de vin romain, donnant corps aux termes du "marché" clairement établis par Diodore...
Ce que Goudineau a bien démontré (après d'autres, dans un article dont je retrouverai la référence), c'est que ces entraves n'étaient pas destinées au bétail, mais à des captifs humains. Partant de là, toutes les suppositions sont permises : esclaves, prisonniers de guerre, de droit commun ou adeptes du sado-masochisme ?
Dans un cas comme dans l'autre, examiner le phénomène à l'aune des notions de "civilisation" et de "barbarité" me semble bien déplacé. Il faudrait poser la question aux prisonniers de Gantanamo...

[Thierry]

Mais je suis très content qu'on évoque enfin des données matérielles parce que c'était un peu la démarche, poser une question, voir émettre une hypothèse pour faire débat et non, comme depuis le début, avoir à justifier contre vents et marées d'avoir pu poser une telle question, émettre l'hypothèse que les Gaulois (avant la deuxième moitié du 2° siècle av JC) n'avaient peut être pas d'esclaves et, corne de bouc, je ne pose pas la question en terme de jugement de valeur bien conscient de qu'une oppression en vaut bien une autre et que l'histoire nous donne l'exemple d'une succession de rapports de force......

Des entraves, très bien, je chercherai avec vous les précisions de contexte sachant que le traffic vin/esclave se met en place dès la deuxième partie du 2° siècle (voir peut être avant) et que le fait de faire des prisonniers pour les vendre au sud fait de certaines bandes pirato-commerciales des traficants d'esclaves mais que cela ne fait pas de toute la société environnante une société esclavagiste.....

La description donnée hier par ejds du monde esclavagiste d'époque impériale avec l'omniprésence des esclaves à tous les niveaux montre à quel point nous ne parlons pas des mêmes sociétés et il ne faudrait pas faire de généralisation en se disant que le monde antique est comme ça, point barre.

D'ailleurs même sur Rome, on pourrait causer.....des origines paysannes, de la crise d'identité de la République quand elle devient conquérante au delà de l'Italie, des Gracques, de l'émergence de la latifundia.....

[Adcanaunos]

On est bien d'accord...
Pour en rester aux entraves. Effectivement, aucune des découvertes citées n'est antérieure au milieu du 2e s. av. J.-C. (La Tène D1). En revanche, leur nombre et leur situation n'évoquent pas un épiphénomène, imputable à quelques "pillards" ou "collabos" en avance sur leur temps : en marge de la demeure rurale d'un riche propriétaire foncier à Herblay, dans les "poubelles" d'un riche commerçant (?) à Besançon Parking de la Mairie... Ces exemples, qui ne sont pas isolés, renvoient à la même caste sociale : une aristocratie rompue à la pratique de la guerre et amatrice de vin importé, qui savait visiblement exploiter toutes les ressources du cru...

[Adcanaunos]

Développons un peu...
Christian Goudineau et André Tchernia (spécialiste du commerce italique) voient dans les luttes intestines qui déchirent les Cités gauloises avant la Guerre des Gaules la principale source de biens offerts en contrepartie du vin romain: chaque bataille engendrait des centaines, des milliers de prisonniers, constituant autant de monnaies d'échange pour le précieux breuvage...
La chute brutale et inexpliquée de ce commerce après la conquête s'éclaire si l'on considère qu'un million de captifs ont été réduits par César en esclavage (selon Plutarque, Vie des Hommes illustres, XVI). Outre de précipiter le cours de l'esclave gaulois à Rome, l'arrivée massive d'une telle main d'oeuvre rendait l'échange bien moins lucratif pour les négociants romains, contraints de se replier sur leurs activités traditionnelles.
CQFD ?
En fait, cette rupture a des implications autres qu'économiques, que j'ai déjà eu l'ocasion de développer en d'autres pages ; mais ce point de détail nous éloigne du sujet...

[Thierry]

Le fait qu'il y ait eu, au moins à partir de la moitié du 2° siècle avJC, un traffic esclaves/vins me paraît indubitable mais on peut se poser la question de savoir si ce traffic est un avatar de guerrres intestines gauloises ou si ce traffic est au coeur des conflits....

Pour autant je pense que ce traffic ne touche en rien à la structure profonde de la société celte où la classe laborieuse est massivement majoritaire, où les structures d'exploitation restent petites et où, à mon avis, il n'y a nul besoin d'esclaves...

L'exportation elle, se comprend très bien. Rome connaît une profonde mutation aux lendemains des guerres puniques et un monde de paysans, citoyens soldats devient un empire où la grande propriété terrienne devient le modèle d'exploitation.....

Quand les Gracques cherchent à réformer le système de distribution des terres et à restaurer la petite propriété (vers 130 av JC si je me rappelle bien), il est déjà trop tard....le mode de production est devenu celui de la latifundia, grande consommatrice d'esclaves...... la grande masse des paysans romains devient oisive et urbaine ou .....militaire.

Pour moi, le monde celte est encore à cent lieux de cette structuration (quoiqu'il faudrait nuancer selon les peuples) ce qui fait, à mon sens, que l'esclavage s'il est connu, reste marginal ce qui n'empêche l'influence économique de Rome en terme de demande....

Maintenant l'exemple d'entraves dans une propriété dans l'Oise est troublant.....creusons....

[ejds]

L'horloge anaphorique

Esclave du temps par le débit de l’eau :

Le développement de l’esclavage dans l’industrie gallo-romaine

Nous connaissons mieux, grâce à de récentes études archéologiques, dans quelles conditions l’esclavage s’est répandu dans les ateliers de la Gaule romaine et, notamment, dans les fabriques de céramique. La vaisselle antique en terre cuite était de faible durée d’usage, parce que fragile, poreuse et s’avariant rapidement. C’est la raison pour laquelle on en a retrouvé de nombreux restes, entiers ou sous forme de tessons, dont la datation est facile et dont l’examen permet la meilleure étude des lieux de fabrication et des voies commerciales (1). [...]

Le prolétariat non spécialisé devait subir un traitement d’une rigueur toute méditerranéenne (2), puisque l’on a retrouvé des entraves dans les ruines de l’usine de La Graufesenque. [...]

L’organisation du travail au sein d’usines assez importantes occupant des dizaines, voire des centaines d’esclaves, posait un problème d’horlogerie. En effet, à cette époque où les moyens d’éclairage faisaient défaut, il fallait ne pas perdre un instant de jour pour le travail et, surtout dans les régions septentrionales de l’Empire, pendant les longs mois d’hiver, les maîtres devaient pouvoir prévoir avec une précision suffisante, chaque jour, le moment où le soleil allait se lever.

Dans le livre IX de son ouvrage sur L’architecture, Vitruve nous a laissé une description d’une horloge dite « anaphorique » (c’est-à-dire « montrant le lever des astres ») ou, encore, « horloge d’hiver » (par opposition aux cadrans solaires méditerranéens).
En résumé, le mouvement était créé par l’élévation d’un flotteur reposant à la surface d’un réservoir se remplissant en 24 heures et faisant faire un tour complet en un jour à un arbre horizontal et à un disque qui en était solidaire. [...]

Avec cette horloge, un veilleur de nuit pouvait donc prévoir avec une précision suffisante le lever du soleil et réveiller les ouvriers de l’usine, par exemple à coups de gong, quelques dizaines de minutes avant l’apparition de l’astre.
Quelques fragments de ce mécanisme, ancêtre de l’horloge pointeuse et de la sirène de l’usine, sont heureusement parvenus jusqu’à nous et ont permis de reconstituer l’horloge de Vitruve(3). L’un de ces fragments se trouve au Musée des Antiquités nationales de Saint Germain-en-Laye. Il s’agit d’un morceau de disque portant des perforations périphériques et le texte d’un calendrier qui a été découvert à la fin du XIXe siècle dans les ruines de Grand, ancienne ville gallo-romaine très importante. [...]

Ces observations permettent de supposer qu’il existait dans la campagne romaine une usine Lipp avant la lettre, exportant dans l’ensemble de l’Empire des horloges destinées non seulement aux fonctionnaires et aux prêtres, mais aussi, vraisemblablement, aux propriétaires d’esclaves qui avaient intérêt à tirer ces derniers à temps de leur sommeil pour ne pas perdre une des rares heures du jour en hiver.

(1) M. Picon, Céramique antique, Les dossiers de l’Archéologie, 1975, 9, et J.J. Hatt et J. Lasfargues, Des tessons par millions, Les dossiers de l’Archéologie, 1974, 6.
(2) H. Vertet, Pauvres potiers, pauvre misère, Les dossiers de l’Archéologie, 1974, 6.
(3) Tardy, La pendule française, t. I.

L’esclavage - Maurice Lengellé - Editions Que sais-je? 1992.

Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio) (Ier siècle av. J.-C.), architecte romain contemporain de Jules César. Son traité De architectura, unique ouvrage de l’Antiquité, constitua jusqu’au XIXe siècle le répertoire de la plastique architecturale fidèle à l’antique.
Description par Vitruve de l’horloge anaphorique, hydraulique astronomique et ... portative :

http://www.ens-lyon.fr/RELIE/Cadrans/Mu ... iqueGr.htm

e.