Bonne lecture
Lopi
Parmi les avatars de la déesse Athéna, Polumètis est une divinité guerrière, couverte de bronze et armée pour le combat. On la retrouve bien évidemment à Sparte sous le nom de « Chalkiokos » dont la fête est célébrée par les jeunes guerriers spartiates. La légende raconte que l’Athéna guerrière vient au monde en poussant un terrifiant cri de guerre. Elle est ainsi la déesse des combats et de la mêlée et se situe à un niveau supérieur au dieu de la guerre Ares, divinité de la fureur, du carnage et de la guerre… La vocation martiale d’Athéna se caractérise par son pouvoir de donner aux héros la technique et le souffle du combat. Il y d’abord le Cri, la voix d’airain (apa chakeon ) qui terrifie l’ennemi, véritable « Kiaï » antique. Sur le front du guerrier flamboie le « troisième œil », l’œil de bronze de la déesse, le regard mortel de l’Athéna Glaukopis. On peut cependant découvrir une filiation évidente entre Ares et Athéna avec Oxylos, fils du dieu de la guerre qui apparaît comme le Borgne et l’homme aux trois yeux. Ce symbole de l’œil de bronze se retrouve d’ailleurs chez les peuples nordiques. Il s’agit du « heaume de terreur » du dieu Odin (le dieu borgne) pièce de bronze ou de plomb que le guerrier plaçait entre ses deux yeux avant de monter au combat. Dans le cas d’Athéna il s’agit de « l’égide » mi-bouclier, mi-cuirasse qui recouvre le corps du guerrier afin de lui conférer les pouvoirs de la magie guerrière d’Athéna qui provoque l’effroi et la déroute chez les adversaires. L’œil, le cri, et le corps sont réunis dans une trinité, transfigurés par un nouvel organisme dont la « totalité » est une arme définitive. Il s’agit, à n’en pas douter, d’une véritable construction symbolique sur le concept « d’art martial ». Il apparaît en outre que cette « magie guerrière » doit exclusivement naître dans la « maison de bronze », lieu sacré « chalkioikos », lieu de l’éveil à l’égide et à l’œil de bronze qui ne peut être acquis qu’après avoir surmonté le « lochos », épreuve suprême de combat, de bravoure et d’intelligence… Il apparaît de plus en plus que certaines techniques de guerre étaient initiatiques et réservées à des confréries guerrières comme les Spartoi, les Phlégyens ou les Egéides. L’existence d’une « Hoplomachie sacrée » semble évidente, et traduit un fossé « technique » entre les unités d'élite comme le « Bataillon sacré » des Thébains, les « Hippeis» athéniens, les "Égaux " de Sparte et le reste des hoplites. La filiation probable entre les guerriers de l’Illiade et les confréries guerrières apparaît dans cette interrogation de l’historien Marcel Detienne « Une question, dès lors, s’impose : les « choisis » et les « chevaliers » de l’époque archaïque ne seraient-ils pas les épigones directs de ce commando des « meilleurs » guerriers de l ‘épopée ? » La question se pose alors de savoir comment se battaient les Grecs en dehors de la phalange ?J .Christoph Amberger, dans « The secret history of the sword-Adventures in ancient martial arts » fait référence à l’écrivain Lucian (120-190 av.JC) et à son livre “Toxaris et l’amitié”. Il s’agit de l’histoire de deux « Scythes romanisés » qui se retrouvent sans ressources à Almatis, une ville d’Asie Mineure. Il faut faire remarquer qu'un "scythe romanisé" est plus proche de la culture héllène que de la culture latine. Sissines, l’ami de Toxaris décide de participer à un combat de gladiateur pour 10 000 drachmes. La ville d’Almatis, éloignée de Rome, n’avait certainement pas les moyens d’entretenir des écoles de gladiateurs et ce type de combat singulier devait être la règle dans cette lointaine province. On note également qu’il s’agit d’un combat à mort, qui n’est pas soumis aux règles de la gladiature en ce qui concerne la vainqueur et le vaincu. On remet à Sissines une armure et une épée droite ainsi qu’un casque qu’il délaisse. Le choix d'une "épée grecque" et d'une armure par Sissines montre qu'il est vraisemblement à l'aise avec le combat en armes lourdes: l'hoplomachie. Son adversaire semble plus légèrement protégé, mais il est armé d’un « acinace », une épée originaire de Dacie et de Scythie à la lame recourbée vers « l’intérieur » ( a la manière d’une faux « scythe » est d’ailleurs le mot anglais pour décrire une faux »). Cette arme avait même obligé les armées de Trajan lors des campagnes daces, à renforcer les protections aux bras et aux jambes des légionnaires romains, qui étaient auparavant très vulnérables à ce type d’armes. Sissines est rapidement blessé à l’arrière de la cuisse. La tactique utilisée par son adversaire doit être proche des positions dites de « garde Thrace » : feinte d’attaque en tête pour provoquer une contre-attaque de l’adversaire, parade avec le bouclier ( on présume que le « Thrace » possédait un bouclier carré comme c’était l’usage) puis simultanément, posant le genou droit à terre il lance une attaque en ligne basse contre les jambes découvertes de Sissines et par une projection en arrière (diagonale droite…) il se soustrait à une contre-attaque tout en lacérant (crochetant) la cuisse arrière. Grièvement blessé Sissines choisit de camper sur sa position. Nous présumons qu’il abaisse sa garde pour provoquer une attaque du « scythe » vers sa tête- N ’oublions pas qu’il n’a pas de casque… Son adversaire semble à ce moment-là (trop) confiant dans sa victoire, mais une attaque en tête avec une acinace doit être portée à pleine force et le mouvement est bien anticipé par Sissines qui lance un coup d’arrêt sur la préparation du scythe, et lui passe son épée au travers du torse par le double effet du pouvoir pénétrant de son arme et par l’inertie de son propre poids additionné à celui de son adversaire. Ce combat nous montre que les deux combattants utilisaient une escrime véritablement savante telle qu’on la retrouvera à la renaissance. La spécificité des feintes et des attaques composées, le contrôle de la distance en fonction des cibles et la remarquable utilisation de la mesure et du temps par Sissines, démontre s’il en est que l’entraînement antique n’obéissait pas seulement à des considérations de combat en formation. Le sophiste Protagoras affirmait qu’il n’y avait pas d’art sans pratique ni de pratique sans art (Florilège, III,xxix, 80. Stobée) ainsi, la pratique savante des armes que démontre ce combat de duellistes « amateurs », implique l’existence d’un véritable art martial antique… Laissons le dernier mot à Démocrite lorsqu’il affirme que l’on ne saurait posséder ni la pratique ni la théorie sans les avoir apprises...Dans le chapitre « The dialectics of death » Ambirger fait remarquer que la philosophie grecque avec ses débats basés sur la volonté intellectuelle, ses jeux, tactiques et stratégies pour contraindre, diriger et piéger ses contradicteurs à beaucoup de points communs avec l’escrime. À propos de la philosophie grecque, John Burnett emploie d’ailleurs l’expression « d’escrime dialectique » pour définir les duels philosophiques qui opposent les académies savantes. Le débat d’idées dans la Grèce antique n’est pas sans danger et on pouvait payer de sa vie certaines affirmations. Anaxagore fut condamné à mort par parce qu’il affirmait que le soleil était une masse incandescente gigantesque. Il dut s’exiler d’Athènes malgré le soutien de Périclès et vécut en errant d’îles en îles, évitant sans relâche les trirèmes athéniennes. Il mourut à près de 70 ans lorsque son navire fit naufrage. Lorsque Socrate fut lui aussi confronté à la calomnie et aux menaces de la justice, l’exil était cependant impensable pour lui… C’est au contraire le refus de reculer, et le désir de combattre jusqu’au bout qui caractérise la morale et l’orgueil socratique ; c’est a dire transformer sa « mort » en triomphe pour la postérité. Ambirger fait justement remarquer que sous le vernis de « l’intellect » et de la civilisation, le comportement de Socrate retourne « dialectiquement » aux racines ataviques d’une Grèce sauvage… Son sacrifice renvoie à la bataille de Marathon et au défilé des Thermopyles ou le corps à corps sauvage, le sacrifice, et le combat à mort allaient « fonder » la civilisation et la philosophie grecque… La cité, en condamnant « le philosophe » fut contraint d’assassiner « le guerrier », une figure mythique renvoyant au dernier carré d’Asgard face aux légions du Ragnarök. Il est ainsi évident de constater que la mort de Socrate annonce la fin de la puissance athénienne. Ce qui meurt avec le philosophe c’est la notion de « parrhesia », un concept issu des guerriers scythes et qui veut littéralement dire « parler comme un Scythe », mais qui prendra le sens de « courage ». C’est à Platon que nous devons le développement du concept de la « parrhesia socratique »dans son dialogue « sur le courage ». Le dialogue de Platon met en scène 4 personnages qui vont essayer de définir ce qu’est pour eux « la parrhesia ». il y a ainsi deux fils de personnalités illustres qui eux-mêmes n’ont rien fait de particulier, et deux anciens généraux vainqueurs de plusieurs batailles. Le concept de parrhesia à un rapport étroit avec l’éducation et le problème se pose de savoir en quoi constitue une bonne éducation ? Ils décident alors d’aller voir un célèbre expert en arts martiaux, un certain Stesilaus qui enseigne l’hoplomachie, le combat avec armes de guerre. Stesilaus est un véritable artiste martial puisqu’il est désigné comme un athlète, un acteur, un artiste et un technicien… Nous savons par ailleurs que l’hoplomachie était enseignée par certains philosophes sophistes si l’on en croit le témoignage de Platon dans « Euthydème ». L’analyse du texte grec semble montrer que les spectacles « techniques » de combats en armes étaient chose courante à Athènes, ainsi le terme « tôn toiùton désigne bien selon Croiset, Chambry et Robin, ces démonstrations d’arts martiaux pour le public. Le combat en armes est aussi désigné sous le terme de « mathèma » du verbe apprendre qui désigne les règles auxquelles obéissent les « arts ». Il s’agit donc pour les Grecs d’une forme d’art au même titre que les autres arts… L’hoplomachie est donc un art martial. Le texte nous apprend aussi que Socrate fréquente beaucoup les palestres et les gymnases ou ont lieu ces démonstrations d’hoplomachie. Le texte de Platon met en jeu le problème de l’éducation, dont le rôle est en premier lieu la défense de la cité : « Nos fils, pour leur part, s’engagent à nous obéir ; nous examinons cette question : que doivent-ils apprendre ou pratiquer pour devenir meilleurs ? Or il se trouve que quelqu’un nous a recommandé cet apprentissage affirmant qu’il est bien pour un jeune d’apprendre à combattre en armes. » Le premier argument pour la pratique d’un art martial vient de Nicias qui affirme que ces exercices sont aussi valables d’un point de vue physique que ceux du gymnase. Il s’agit aussi, avec l’équitation, dit-il, d’un art pour les hommes libres. Le fait de placer l’hoplomachie au même rang que l’art prestigieux de l’équitation montre qu’il s’agit d’un art « élitiste ». L’art martial est donc par vocation aristocratique. Nicias ajoute que l’hoplomachie est important pour l’art de la guerre en formation afin d’exercer le mental et de garder le rang, mais c’est cependant que « la plus grande utilité de cet apprentissage, c’est lorsque les rangs sont rompus et qu’il faut désormais se battre en combat singulier. »La guerre de formation entre phalanges, quel que soit le vainqueur, finit toujours par une mêlée violente rapidement suivit d’une poursuite ou d’une fuite. Dans ces deux cas, la formation n’a plus lieu d’être. L’objectif sera de retarder les poursuivants pour les perdants et d’empêcher l’ennemi de fuir pour les vainqueurs. Les combats singuliers violents et rapides arrivent dans cet espace indéterminé entre le choc des phalanges, l’éclatement et la fuite de l’adversaire. Cet espace-temps qui ne dure que quelques minutes « chaotiques » est le lieu d’une forme de combat « ante et anti-hoplitique » comme le désigne Vidal Naquet dans « le chasseur noir et l’origine de l’éphébie athénienne ». Ainsi pour Vidal Naquet, le duel et le combat singulier est une institution symétrique et inverse de l’institution hoplitique. C’est aussi le sens de la cryptie spartiate, le côté « sauvage » s’opposant à la civilisation de la « phalange » :" Bien avant la réforme hoplitique, nous dit-il, en Grèce et à Rome, les Indo-européens avaient connu la fonction guerrière sous un double aspect : celui de l’ordre qui sera un jour celui de la phalange et de la légion, celui du désordre et de l’exploit individuel. ». Thème que l’ont retrouve sous la plume de Dumézil dans son étude sur la fonction guerrière chez les Indo-européens.