EXPOSITION AU MUSÉE DE NORMANDIE
Mythes et héritages des Normands en Sicile
Au seuil de la salle de l'Echiquier du château de Caen, qui accueille l'exposition "Les Normands en Sicile", on peut lire cette phrase nostalgique de l'auteur du Guépard, Giuseppe Tomasi di Lampedusa : "Quelle grande race que ces Normands ! Et le Seigneur aurait voulu que nous restions soumis, par-delà les siècles, à leur énergique sagesse !" Le romancier sicilien faisait allusion à la dynastie normande des Hauteville (1061- 1194) qui domina l'île pendant un siècle, mettant ainsi fin à l'occupation arabe.
Or cet épisode nordique, assez bref, loin d'avoir été oublié, s'est inscrit dans la culture savante et la mémoire populaire, au point d'être toujours vivant dans l'île. Les marionnettes siciliennes, qui retracent la lutte des "chrétiens" et des "sarrasins", sont classées par l'Unesco au titre du patrimoine mondial, et des fêtes populaires se déroulent encore chaque été dans une dizaine de villes siciliennes pour évoquer les mêmes combats. Comment ce mythe s'est enraciné, s'est développé et s'est transformé, telle est la matière première de l'exposition de Caen.
A la réalité historique, se superpose très tôt la littérature. Le cycle médiéval de La Chanson de Roland se greffe sur les faits et gestes des fondateurs de la dynastie normande, notamment Guiscard et Roger. Dans sa Divine Comédie, Dante les place aux côtés des guerriers qui ont combattu pour la foi, Charlemagne et Godefroy de Bouillon. Plus tard, à la Renaissance, un autre membre de la famille d'Hauteville, Tancrède, acteur réel de la première croisade, sera l'un des héros de La Jérusalem délivrée, du Tasse. Ce long poème épique aura un succès éclatant et durable : Voltaire en tira une tragédie, il inspira les peintres, classiques ou romantiques, et des musiciens comme Rossini. Il fut surtout mille fois adapté pour la littérature de colportage et ainsi diffusé dans toute l'Europe.
VOGUE MÉDIÉVALE
Cette confrontation entre l'Occident et l'Orient retrouva une vie nouvelle au XIXe siècle, quand les régions européennes à la recherche de leurs racines redécouvriront leur passé médiéval. En Sicile, des peintures murales retraçant l'histoire des Hauteville orneront alors les églises et les palais. Cette iconographie sera popularisée au point de servir de décor pour les charrettes. Une vogue médiévale va envahir l'architecture et le mobilier. Aujourd'hui, l'ancien palais des Hauteville, à Palerme, est le siège de la région autonome de Sicile.
A Caen, tableaux, sculptures, manuscrits enluminés, tapisseries, mobiliers et films témoignent de la permanence de ce mythe. Il manque seulement de moyens et d'espace pour se déployer dans une mise en scène plus ambitieuse.
Les Normands en Sicile, XIe-XXIe siècles, histoires et légendes,
Musée de Normandie, château de Caen, salle de l'Echiquier, Caen (Calvados). Tél. : 02-31-30-47-60. Tous les jours, de 9 h 30 à 18 heures, jusqu'au 15 octobre. De 2 ¤ à 3 ¤. Catalogue sous la direction d'Antonio Buttitta et Jean-Yves Marin, éd. des Cinq Continents-Musée de Normandie, 176 p., 29 ¤.
A voir également : "Siciliens", photographies de Melo Minnella, église Saint-Georges du château de Caen, même billet, mêmes horaires.
Emmanuel de Roux
Article paru dans l'édition du 03.09.06
Aux dires de certains bretons, ils auraient utilisé du camembert à prise rapide pour attaquer les forteresses "sarrasines".