Les différentes formes du nom de cette tribu qui habitait la région de l'actuel Senlis, dans l'Oise, appellent des questions que bien d'autres se sont posées dans le passé.
La forme Silvanectes est-elle une latinisation de Sulbanectes?
Ernest Nègre (Toponymie générale de la France) cite Augustomagus Silvanectum dès le Ier siècle ap. JC.
Pline l'ancien (mort en 79), dans ses naturalis historiæ, écrit Ulmanectes.
La dédicace des Silvanectes eux-mêmes à l'empereur Auguste, en 48, contient bien civitas Sulbanectium http://www.arbre-celtique.com/encyclope ... he-745.htm
Ptolémée, à la fin du deuxième siècle, parle des Υλμανεχτες, mais il mentionne plus loin les Ουεσιονες pour les Suessiones ; le S initial ne semble donc pas être restitué dans la prononciation grecque de l'époque. D'autre part, le Υ initial correspond à un U français.
Les lettres de l'alphabet sont des notations conventionnelles pour noter approximativement des sons, qui pour l'Antiquité, qu'elle soit latine ou gauloise, restent hypothétiques. De même, les Latins et les Grecs ont transcrit, avec leurs alphabets respectifs, des sons émis par des locuteurs gaulois.
Quelques hypothèses personnelles :
- 1/certains s initiaux ont pu être proches de h aspiré (d'où l'omission de la consonne par Pline et Ptolémée). Fleuriot (les origines de la Bretagne, p. 74) parle d'exceptions dans le maintient de l's gaulois, en citant Vendryes, revue celtique, t. 49, p. 304, dans la région alpine, c'est vrai. Il note aussi des exceptions en breton dans le passage de s à h. Une langue n'est jamais homogène, ni dans un dialecte donné, ni à fortiori sur l'ensemble d'un territoire (je prendrai simplement l'exemple du nom des Séquanes).
2/ le u français a très bien pu exister en gaulois (certains attribuent même à l'influence gauloise cette singularité française parmi les langues latines) et donc être tranxcrit Υ par Ptolémée. Ceci expliquerait aussi une interprétation latine par le mot silva, la région étant par ailleurs (encore actuellement) riche en forêts. Le passage de u à i est plus facile à expliquer que de ou à i (la transformation inverse i à u est connue en breton : voir le prénom Fulup)
3/ le V de Silvanectes ne semble pas transcrire un ou, mais une labiale que Pline et Ptolémée ont rendu par M et les Silvanectes par B dans leur dédicace.
On peut lire, dans l'encyclopédie de Diderot et D'Alembert, cette remarque sur le V latin insérée à la lettre U :Le Beauvaisis est attesté sous la forme pagus Belvacensis.
On se trouve donc sans doute dans un cas ou le v latin était bien prononcé V.
On en a la preuve pas quelques inscriptions (rares) qui mentionnent Minerba au lieu de Minerva, Sulbanectes au lieu de Sylvanectes.
Je souligne cette remarque sur l'empereur Claude, né à Lyon, qui a régné de 41 à 54, et sur ce besoin de noter un son inconnu dans l'alphabet latin.I. La lettre U étoit voyelle, & alors elle représentoit le son ou, tel que nous le faisons entendre dans fou, loup, nous, vous, qui est un son simple, & qui, dans notre alphabet devroit avoir un caractere propre, plutôt que d'être représenté par la fausse diphtongue ou.
De-là vient que nous avons changé en ou la voyelle u de plusieurs mots que nous avons empruntés des Latins, peignant à la françoise la prononciation latine que nous avons conservée : sourd, de surdus ; court, de curtus ; couteau, de culter ; four, de furnus ; doux, de dulcis ; bouche, de bucca ; sous, & anciennement soub, de sub ; genou, de genu ; bouillir, & anciennement boullir, de bullire, &c.
II. La même lettre étoit encore consonne chez les Latins, & elle représentoit l'articulation sémilabiale foible, dont la forte est F ; le digamma , que l'empereur Claude voulut introduire dans l'alphabet romain, pour être le signe non équivoque de cette articulation, est une preuve de l'analogie qu'il y avoit entre celle-là & celle qui est représentée par F. (Voyez I.) Une autre preuve que cette articulation est en effet de l'ordre des labiales, c'est que l'on trouve quelquefois V pour B ; velli pour belli ; Danuvius, pour Danubius.
Cette particulière variabilité dans la restitution d'un nom de peuple gaulois peut enfin avoir été due, en partie, à une accentuation sur la syllabe -nec-. Il est impossible de dire si une accentuation a pu se maintenir sur plusieurs siècles, mais on peut noter de Silvanectis en 511 et Sinleti à une date non précisée du même siècle, et par la suite l'appui sur la même syllabe, avec ou sans métathèse : Selnectensis en 770, Senletensum urbem au VIIIème siècle, suburbio Silnectensi en 1033, Silnectisà la même époque et Sinlectisau siècle suivant. (E. Nègre TGF)