Il y a juste 7600 ans, un lundi de février ils posèrent la première pierre.
La découverte d'un site préhistorique vieillit Marseille de cinq millénaires
Ce n'est pas très spectaculaire, prévient Ingrid Sénépart, archéologue de la ville de Marseille, mais c'est important sur le plan scientifique." La chercheuse parle de "phénomènes discrets" et le mot est juste tant le terrain est ardu à "lire", tant sont ténus les indices du passé.
Pourtant, la fouille réalisée sur 2 300 m2, en contrebas de la gare Saint-Charles, à Marseille, fera date dans la compréhension du néolithique en France. En effet, grâce à ces travaux réalisés par l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) avant que le quartier ne soit réaménagé dans le cadre de l'opération Euroméditerranée, Marseille a vieilli de cinq millénaires !
Bien sûr, les archéologues ont retrouvé des traces de l'occupation phocéenne, et notamment ce qui pourrait bien être la plus vieille vigne de l'Hexagone. Mais, en regardant sous les terrains grecs, ils ont surtout mis au jour les preuves d'un habitat beaucoup plus ancien et la première architecture néolithique en terre crue en France. Remontons 7 600 ans en arrière. Venue, par voie maritime, du Proche-Orient, une population d'agriculteurs et de bergers, les acteurs de ce que les préhistoriens appellent la révolution néolithique, s'installe sur ce qui est aujourd'hui la colline Saint-Charles. A l'époque, au lieu de se trouver à un jet de pierre de la Méditerranée, l'endroit en est distant de quelques kilomètres. Cela n'empêche pas les nouveaux arrivants d'aller s'approvisionner en coquillages, que l'on retrouve en nombre sur le site.
Mais, comme le précise Ingrid Sénépart, qui dirige les fouilles, cette nouvelle culture va laisser des traces autrement plus importantes dans le paysage : "Avec ces premiers agro-pasteurs, la Provence passe d'une économie de prédation - chasse, pêche, cueillette - à une économie de production. L'environnement s'anthropise. Avec l'élevage de moutons et de chèvres, les espèces végétales littorales laissent la place à des pelouses rases, des pâtures."
Une des grandes interrogations des préhistoriens concerne l'habitat de ces peuples. La fouille de la ZAC Saint-Charles apporte une réponse. Ce ne sont, sur le terrain, que quelques épais pâtons de terre, quasi indétectables par le profane. Cependant, pour les chercheurs, il s'agit de la preuve indiscutable que les hommes du néolithique bâtissaient des murs en terre crue, qui ont, avec les temps, en quelque sorte fondu.
Comme souvent en archéologie, cette découverte a bénéficié d'un gros coup de pouce de la chance, ainsi que le résume Jean-Paul Demoule, le président de l'Inrap : "La chance a fait que le site se trouve en dehors de la ville antique, dans une zone de vignoble, et que ni au Moyen Age ni plus tard y soit implantée une construction traumatisante pour les vestiges."
Ce fut aussi une chance que l'équipe dispose de chercheurs qui, ayant déjà travaillé sur des murs de terre crue (grecs ceux-là ), avaient l'oeil assez aiguisé pour reconnaître des structures très difficiles à déceler. Commencée en septembre 2006, la fouille devrait s'achever fin mai. Elle devrait permettre d'appréhender une nouvelle dimension des peuples du néolithique, certes agriculteurs et éleveurs, mais aussi bâtisseurs.
Pierre Barthélémy
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 443,0.html