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Celtes et GermainsModérateurs: Pierre, Guillaume, Patrice L'allemand Leder, cuir, vient d'un mot celtique repré
senté par l'irlandais lethar, le gallois liedr. ------------------ Anecdote : En Bretagne, il y a encore une poignées de dizaines d'années, en temps ordinaires on se chaussait de botoù koad = chaussures en bois, et en temps plus cérémonieux, de botoù ler = chaussures en cuir. Mais en général, ceux qui avaient l'habitude de chausser leur botoù koad n'aimaient pas être obligés de mettre des botoù ler, car leurs pieds n'étaient pas faits pour çà , et qu'en général, ils y étaient fort mal à l'aise. JCE "Apprends tout et tu verras que rien n'est superflu".
Hugues de Saint-Victor.
Salut
DE ORIGINE ET SITV GERMANORVM ORIGINE ET TERRITOIRE DES GERMAINS, « LA GERMANIE » C. CORNELIVS TACITVS, dit TACITE [3] Ils prétendent aussi qu'ils ont eu Hercule , et c'est ce premier de tous les héros qu'ils chantent avant d'aller au combat. Ils ont un autre chant, appelé bardit, par lequel ils excitent leur courage, et d'où ils augurent quel succès aura la bataille ; car ils effraient ou s’alarment, selon la manière dont l'armée a entonné le bardit. Et ce chant semble moins fait de paroles que d’enthousiasme guerrier. On s'attache à le former des plus rudes accents, de sons rauques et brisés, en serrant le bouclier contre la bouche, afin que la voix répercutée s'échappe plus forte et plus retentissante.D'autre part, certains croient qu'au cours de son errance, interminable et purement légendaire, Ulysse aurait dérivé dans cette partie de l'Océan et débarqué en Germanie. Il aurait fondé et dénommé sur la rive du Rhin Asciburgium , qui est encore habité de nos jours. Un autel consacré à Ulysse et mentionnant aussi Laërte, son père, aurait été découvert au même endroit, tandis que des monuments et certains tumuli portant des caractères grecs existeraient encore aux confins de la Germanie et de la Rhétie. Tout cela, je n'ai l'intention ni de l'étayer par des preuves ni de le réfuter. Libre à chacun, comme il s'y sent porté, d'en douter ou de le croire. [5] Tout en offrant des aspects assez diversifiés, leur territoire est partout hérissé de forêts ou parsemé de marais inhospitaliers. Plus humide du côté des Gaules, il est plus exposé au vent dans le voisinage du Norique et de la Pannonie. Favorable aux grains, il repousse les arbres à fruits. L’élevage y abonde, mais les espèces en sont petites. Même le gros bétail ne porte pas au front les cornes majestueuses qui le caractérisent. On aime l’importance des troupeaux ; c'est le bien qu'ils estiment le plus.Les dieux (dirai-je irrités ou propices ?) leur ont dénié l'or et l'argent. Je n'affirmerais pas cependant qu'aucune veine de leur terre ne recèle ces métaux : qui pensa jamais à les y chercher ? Ces peuples sont loin d'attacher à leur usage et à leur possession les mêmes idées que nous. On voit chez eux des vases d'argent donnés en présent à leurs ambassadeurs et à leurs chefs : ils les prisent aussi peu que s’ils étaient d’argile. Toutefois les plus voisins de nous tiennent compte de l'argent et de l'or, comme utiles au commerce. Ils connaissent et distinguent quelques-unes de nos monnaies. Ceux de l'intérieur, plus fidèles à l'antique simplicité, trafiquent par échange. Les espèces préférées sont les pièces anciennes et depuis longtemps connues, comme les serrati et les bigati . L'argent est aussi plus recherché que l'or ; et le goût n'est pour rien dans cette préférence : elle vient de ce que la monnaie d'argent est plus commode pour des hommes qui n'achètent que des objets communs et de peu de valeur. [6] Le fer même n'abonde pas chez eux, si l'on en juge par leurs armes. Peu font usage de l'épée ou de la grande lance. Ils portent des piques, ou, comme ils les appellent, des framées à fer étroit et court. Cette arme est fort acérée et si maniable qu'ils arrivent, en fonction de la situation, à se battre avec cette même arme au corps à corps ou à distance.Les cavaliers se contentent du bouclier et de la framée ; les gens de pied ont de plus des javelots ; chaque fantassin en lance plusieurs et à d'immenses distances. Ils sont nus ou couverts d'un léger sayon : ils ne font point leur gloire de la parure ; ils distinguent toutefois leurs boucliers de couleurs variées et choisies. Quelques-uns seulement ont des cuirasses et à peine l'un ou l'autre porte-t-il un casque métallique ou de cuir. Leurs chevaux ne sont remarquables ni par la beauté ni par la vitesse. On ne les dresse pas même comme chez nous aux voltes et évolutions : ils les poussent en avant, où, pour toute manoeuvre ils les font tourner à droite pour former un cercle, mais avec tant d'ensemble, que pas un ne reste en arrière. En général, c'est l'infanterie qui constitue le noyau dur de l'armée ; aussi dans les combats en mêlent-ils avec la cavalerie. Des hommes capables de suivre à pied la rapidité des chevaux sont choisis pour ce service dans toute la jeunesse, et placés à la première ligne. Le nombre en est fixé ; il est de cent par canton (pagus). Entre eux ils s’appellent même les cent et, de simple expression d'un nombre, ce mot est devenu un nom et un titre d'honneur.La colonne d'attaque est formée de coins. Reculer, pourvu qu'on revienne à la charge, leur semble prudence plutôt que lâcheté. Même quand l'issue du combat est douteuse, ils ramènent les dépouilles des leurs. Revenir sans son bouclier est la pire des ignominies. Quiconque s'est ainsi déshonoré n'a plus caution religieuse d'assister aux cérémonies sacrées ni de paraître à l'assemblée. D'ailleurs, nombre de ces rescapés de guerre se pendent pour mettre fin à leur infamie. [7] Dans le choix des rois, ils ont égard à la naissance ; dans celui des généraux, à la valeur : et les rois n'ont point une puissance illimitée ni arbitraire ; les généraux commandent par l'exemple plus que par l'autorité. S'ils sont actifs, toujours en vue, toujours au premier rang, l'admiration leur assure l'obéissance.Du reste, punir, emprisonner, frapper même n'est pas permis sans les prêtres ; ainsi les châtiments perdent de leur amertume, et semblent ordonnés, non par le chef, mais par le dieu que ces peuples croient présider aux batailles. Ils ont des représentations et attributs divins qu'ils tirent de leurs bois sacrés et portent dans les combats. Mais le principal aiguillon de leur courage, c'est qu'au lieu d'être un assemblage constitué par le hasard, chaque formation à cheval, chaque coin d'infanterie, est composé de guerriers unis par les liens du sang et de la famille. Ceux qu'ils aiment se tiennent tout près ; ils peuvent entendre leurs femmes hurler et vagir leurs tout petits : ces parents sont pour chacun d'eux les plus sacrés des témoins. Ce sont leurs éloges qui comptent avant tout. Mères et épouses recueillent leurs blessés et ne s'effraient pas de compter et sonder leurs plaies, elles qui viennent, en pleine bataille, prodiguer vivres et exhortations. [8] On a vu, dit-on, des armées chancelantes et à demi rompues, que des femmes ont ramenées à la charge par l'obstination de leurs prières, en présentant le sein aux fuyards, en leur montrant devant elles la captivité, que les Germains redoutent bien plus vivement pour leurs femmes que pour eux-mêmes. Ce sentiment est tel, que les cités dont la fidélité est le mieux assurée sont celles dont on a exigé, parmi les otages, quelques filles de haute naissance.Ils croient même qu'il y a dans ce sexe quelque chose de divin et de prophétique : aussi ne dédaignent-ils pas ses conseils, et font-ils grand cas de ses prédictions. Nous avons vu, sous le divin Vespasien, que Véléda pour beaucoup d’eux a longtemps tenu place de manifestation divine. Plus anciennement, ils ont aussi vénéré Albruna et bien d'autres encore ; et ce n'était point flatterie ni dans l'idée d'en faire des déesses. [9] Parmi les dieux, le principal objet de leur culte est Mercure , auquel ils croient conforme à certains jours d’immoler des victimes humaines. Quant à Hercule et Mars , ils les apaisent en leur offrant les animaux requis pour ces rites. Une partie des Suèves sacrifie aussi à Isis. Je ne trouve ni la cause ni l'origine de ce culte étranger. Seulement la figure d'un vaisseau (liburna), qui en est le symbole, annonce qu'il leur est venu d'outre-mer .Emprisonner les dieux dans des murailles, ou les représenter sous une forme humaine, semble aux Germains trop peu digne de la grandeur céleste. Ils dédient des bois sacrés, des forêts divines ; et, sous les noms de divinités, leur respect adore dans ces mystérieuses solitudes ce que leurs yeux ne voient pas. [10] Il n'est pas de pays où les auspices et la divination soient plus en crédit. Leur manière de consulter le sort est très simple : ils coupent une baguette à un arbre fruitier, et la divisent en plusieurs morceaux qu'ils marquent de différents signes, et qu'ensuite ils jettent pêle-mêle sur une étoffe blanche. Le prêtre de la cité, en cas de consultation officielle, le père de famille lui-même, si c'est une affaire privée, invoque les dieux, et, en fixant le ciel, il prélève à trois reprises un morceau, et fait son pronostic d'après le signe dont il est empreint. Si le sort veut qu'on s'abstienne, on ne consulte plus de tout le jour sur la même affaire ; s'il permet d'agir, on exige encore confirmation de la réponse par la prise d’auspices : car on sait aussi, chez ces peuples, interroger les cris et le vol des oiseaux. Un usage qui leur est particulier, c'est de demander même aux chevaux des présages et des révélations.La collectivité nourrit, dans les bois et les forêts sacrés dont j'ai parlé, des chevaux blancs que n'avilit jamais aucun travail profane. On les attelle au char sacré, et le prêtre, avec le roi ou le chef de la communauté, les accompagne en observant leurs hennissements et leurs bruits de naseaux. Il n'est pas d'augure plus décisif, non seulement pour le peuple, mais pour les grands, mais pour les prêtres, qui croient que ces animaux sont les confidents des dieux, dont eux ne sont que les ministres.Ils emploient encore une autre espèce de divination, quand ils veulent connaître quel sera le succès d'une grande guerre. Ils se procurent, de quelque manière que ce soit, un prisonnier de la nation ennemie, et, le mettant aux prises avec un guerrier choisi parmi eux, ils les font battre chacun avec les armes de son pays. La victoire de l'un ou de l'autre est regardée comme un jugement préalable. [11] Les petites affaires sont soumises à la délibération des chefs ; les grandes à celle de tous. Et cependant celles mêmes dont la décision est réservée au peuple sont auparavant discutées par les chefs. On se rassemble, à moins d'un événement subit et imprévu, à des jours marqués, quand la lune est nouvelle, ou quand elle est dans son plein ; ils croient qu'on ne saurait traiter les affaires sous plus heureux auspices. Ce n'est pas, comme chez nous, par jours, mais par nuits, qu'ils calculent le temps ; ils donnent ainsi les rendez-vous, les assignations : la nuit leur paraît marcher avant le jour.Un abus naît de leur indépendance ; c'est qu'au lieu de se rassembler tous à la fois comme s'ils obéissaient à un ordre, ils perdent deux ou trois jours à se réunir. Lorsque la foule le veut bien, ils prennent séance tout armés. Le silence est imposé par les prêtres, qui ont aussi à ce moment-là le droit de sévir. Ensuite le roi, ou celui des chefs que distingue le plus son âge, ou sa noblesse, ou sa valeur guerrière, ou son éloquence, prend la parole et se fait écouter par l'ascendant de la persuasion, plutôt que par l'autorité du commandement. Si l'avis déplaît, on le repousse par des grognements ; s’il est approuvé, on agite les framées. Un assentiment exprimé par les armes vaut le meilleur des applaudissements. [12] On peut aussi accuser devant l’assemblée ; et y poursuivre des affaires capitales. Les peines varient suivant les délits. On pend à un arbre les traîtres et les transfuges ; les lâches, les inaptes à se battre, ceux qui déshonorent leur corps, sont engloutis dans la tourbe des marais, recouverts de fascines. Cette diversité de supplices tient à l'opinion qu'il faut, en punissant, montrer le crime et soustraire à la vue l’objet d’ignominie.Il y a, pour les fautes plus légères, des châtiments proportionnés. Le coupable paye une amende d'un nombre de chevaux ou de têtes de bétail ; une partie est due au roi ou à la communauté, le reste à celui qui est vengé ou à ses proches. On choisit dans ces mêmes assemblées des chefs qui rendent la justice dans les cantons et les villages. Ils ont chacun cent fidèles tirés du peuple, qui leur servent de conseil et ajoutent à leur autorité. [13] Ils ne traitent aucune affaire publique ni privée sans être armés ; mais il n'est toutefois pas question que quiconque porte les armes avant que la collectivité ne l'en ait reconnu capable. Alors un des chefs, ou le père du jeune homme, ou un de ses parents, le décore, dans une telle assemblée, de la framée et du bouclier. C'est là sa robe virile ; ce sont là ses premiers honneurs : auparavant il était membre d'une famille, il devient membre de la collectivité.Une naissance illustre, ou les services éclatants d'un père, donnent à quelques-uns le rang de principaux dès leur adolescence ; les autres s'attachent à des chefs dans la force de l'âge et dès longtemps éprouvés ; et ce rôle de fidèles n'a rien dont on rougisse. Il a même ses distinctions, réglées sur l'estime du chef dont on forme la suite. Il existe entre les fidèles une émulation singulière à qui tiendra la première place auprès de son chef ; entre les principaux, à qui aura le plus de compagnons et les plus courageux. C'est la dignité, c'est la puissance, d'être toujours entouré d'une jeunesse nombreuse et choisie ; c'est un ornement dans la paix, un rempart dans la guerre. Et celui qui se distingue par le nombre et la bravoure de son escorte devient glorieux et renommé non seulement dans sa patrie, mais encore chez les peuples voisins. On le recherche par des ambassades ; on lui envoie des présents ; souvent son nom seul fait le succès d'une guerre. [14] Sur le champ de bataille, il est honteux au chef d'être surpassé en courage ; il est honteux à la troupe de ne pas égaler le courage de son chef. Mais un opprobre dont la flétrissure ne s'efface jamais, c'est de lui survivre et de revenir sans lui du combat. Le défendre, le couvrir de son corps, rapporter à sa gloire ses propres actes, voilà le véritable serment. Les chefs combattent pour la victoire, les fidèles pour le chef.Si le peuple qui les vit naître languit dans l'oisiveté d'une longue paix, plusieurs des jeunes gens de haute naissance s’en vont rejoindre d’autres nations déjà en guerre : tant le repos est insupportable à ces peuples, et tant on s'illustre plus facilement dans les dangers. De plus, on ne peut maintenir de nombreux fidèles sans le règne de la force et des armes. Car ce cheval de bataille, cette sanglante et victorieuse framée, sont un tribut levé sur la générosité du chef. Sa table, d'une somptuosité grossière, mais dispendieuse, tient lieu de solde. La source de sa munificence est dans le pillage et les guerres. Vous les persuaderiez bien moins de labourer la terre et d'attendre l'année, que de provoquer des ennemis et de chercher des blessures. C'est à leurs yeux paresse et lâcheté que d'acquérir par la sueur ce qu'ils peuvent se procurer par le sang. [15] Quand ils ne guerroient pas, ils consacrent quelques moments à la chasse et le plus clair de leur temps au repos. Ils ne pensent plus qu'à dormir et manger. Les plus braves et plus belliqueux ne font plus rien et abandonnent la charge de la maison, du foyer et des champs aux femmes, aux vieillards et aux plus faibles de la famille. Ils languissent dans l’oisiveté : étrange contradiction de caractère, que les mêmes hommes puissent à ce point aimer l'inaction et haïr le repos !Il est d'usage que les peuples réservent à leurs chefs un don en troupeaux et en grains, auquel on contribue par tête, et qui, reçu comme un honneur, subvient aussi à leurs dépenses. Mais rien ne flatte plus ces chefs que les présents qui leur sont envoyés des pays voisins par des particuliers ou pour raison officielle, comme des chevaux de choix, des armes de prestige, des phalères et des torques. Maintenant, nous leur avons même appris à recevoir de l'argent. [16] Aucun habitat de Germanie ne ressemble, on le sait bien, à une ville. Refusant même d'occuper des demeures contiguës, les familles vivent à l'écart les unes des autres et chacune à sa manière, selon qu'une fontaine, un champ, un bocage, ont déterminé leur choix. Les villages ne présentent pas, comme chez nous, des constructions groupées et mitoyennes. Tout un chacun se réserve de l'espace autour de sa maison. Est-ce pour pallier les conséquences d'un incendie, à moins que ce ne soit par ignorance des techniques de construction ?Ils n'emploient ni moellons ni tuiles ; rien que du bois grossièrement équarri, et ne s'embarrassent guère de donner un aspect avenant à une construction. Ils s'ingénient davantage à enduire certaines de ses parties d'une couche de terre si pure et si brillante qu'on dirait de la peinture produisant des rehauts de couleur.Ils se creusent aussi des caves souterraines, qu'ils chargent en dessus d'une épaisse couche de fumier. Ces resserres, qui atténuent la rigueur des frimas, servent d'abri pour l'hiver et de dépôt pour les récoltes. Si jamais des ennemis surviennent, ils ne razzient que ce qui est à découvert. Ce qui est caché sous terre reste ignoré ou leur échappe du fait même qu'il faudrait le chercher. [17] Ils se couvrent tous d'une saie qu'ils attachent avec une fibule ou, à défaut, une épine. Le reste du corps à découvert, ils passent des jours entiers près du feu de l'âtre. Les plus riches se singularisent par des habits qui ne sont pas flottants, comme ceux des Sarmates et des Parthes, mais serré et qui marque toutes les formes.Ils portent aussi des peaux de bêtes, sans trop de soins près des fleuves, plus recherchées dans l'intérieur, où le commerce ne fournit point d'autre raffinement. Là , ils choisissent des bêtes, les dépiautent, et parsèment et rehaussent ces dépouilles des taches variées de la peau des monstres qu'engendrent l'Océan extérieur et une mer que nous ne connaissons pas.La tenue des femmes n'est guère différente de celle des hommes, excepté qu'elles se couvrent le plus ordinairement de tissus de lin bigarrés de pourpre, et que la partie supérieure de leur vêtement ne s'étend point pour former des manches : elles ont les bras nus jusqu'à l'épaule, mais le haut de leur poitrine apparaît aussi. [18] Quoi qu'il en soit, les mariages là -bas sont pris au sérieux, et il n'est pas de trait dans leurs moeurs qui mérite plus d'éloges. Presque seuls entre les barbares ils se contentent d'une femme, hormis un très petit nombre de grands qui en prennent plusieurs, non par esprit de débauche, mais parce que plusieurs familles ambitionnent leur alliance.Ce n'est pas la femme, c'est le mari qui apporte la dot, et ce en présence des parents et des proches, qui soumettent ces cadeaux à leur appréciation. Ces présents ne sont pas choisis pour le plaisir des femmes ni destinés à parer une jeune mariée. Ce sont des boeufs, un cheval harnaché et un bouclier ainsi qu'un glaive et une framée. En présentant ces dons, on reçoit une épouse. Elle, de son côté, donne aussi à l'époux quelques armes. Voilà ce qui est considèré comme le lien le plus étroit, comme le sens caché du sacré, comme les dieux du mariage.Ainsi l’épouse ne doit pas se sentir tenue à l'écart des desseins de bravoure ni des aléas des guerres, car les auspices mêmes qui président à son mariage l'avertissent qu'elle vient partager peines et périls, qu'elle doit être tout aussi endurante et entreprenante dans la paix que dans la guerre.C'est là ce que lui annoncent les boeufs attelés, le cheval équipé, les armes qu'on lui donne. Elle apprend comment il faut vivre, comment il faut mourir : elle reçoit ce qui est à rendre intact et digne à ses enfants, pour qu'à leur tour, ses belles-filles puissent le recevoir et le transmettre à ses petits-enfants. [19] Aussi vivent-elle protégées dans leur pudeur, sans être corrompues par aucune séduction de spectacles, aucune incitation au cours de festins. Les hommes, tout autant que les femmes, ignorent les échanges secrets de lettres.Au sein d'une nation si nombreuse, l'adultère est rarissime. Le châtiment de l'épouse est immédiat et infligé par le mari : il lui coupe les cheveux à ras et, sous les yeux des proches, la jette toute nue hors de la maison et la chasse à coup de verges à travers tout le village. Quant à celle qui prostitue publiquement son honneur, point de pardon pour elle ; ni beauté, ni âge, ni richesses ne lui feraient trouver un époux. Les vices là -bas ne font rire personne, et corrompre et être corrompu ne sont pas de leur siècle.Quelques peuples, encore plus sages, ne marient que des vierges. La limite est posée une fois pour toutes à l'espérance et au voeu de l'épouse ; elle prend un seul époux, comme elle a un seul corps, une seule vie, afin que sa pensée ne voie rien au delà , que son coeur ne soit tenté d'aucun désir nouveau, qu'elle aime son mariage et non pas un mari. Borner le nombre de ses enfants, ou tuer un agnat relève de l'infamie. Là -bas, de bons mœurs sont plus efficients qu'ailleurs de bonnes lois. [20] L'enfance se ressemble dans toutes les maisons ; et c'est nus et sales que grandissent ces corps et ces membres dont la vue nous étonne. Chaque mère allaite elle-même ses enfants, et ne s'en décharge point sur des servantes et des nourrices. Le maître n'est pas élevé plus délicatement que l'esclave ; ils vivent au milieu des mêmes troupeaux, couchent sur la même terre, jusqu'à ce que l'âge mette l'homme libre à sa place, et que la vertu reconnaisse les siens. La vie sexuelle des jeunes hommes est tardive et leur assure meilleure vigueur virile. On ne hâte pas non plus le mariage des filles : elles ont, comme leurs époux, la vigueur de l'âge, la hauteur de la taille ; et d'un couple assorti et robuste naissent des enfants également vigoureux.Le fils d'une soeur est aussi cher à son oncle qu'à son père ; quelques-uns pensent même que le premier de ces liens est le plus saint et le plus étroit ; et, en recevant des otages, ils préfèrent des neveux, comme inspirant un attachement plus fort, et intéressant la famille par plus d'endroits.Toutefois on a pour héritiers et successeurs ses propres enfants, et l'on ne fait pas de testament. Si l'on n'a pas d'enfants, les premiers droits à l'héritage appartiennent aux frères, aux oncles paternels, aux oncles maternels. Plus on compte de proches et d'alliés, plus la vieillesse est entourée de respect : on ne gagne rien à être sans famille. [21] On est tenu d'embrasser les haines aussi bien que les amitiés d'un père ou d'un parent. Du reste, ces haines ne sont pas inexpiables. On rachète même l'homicide par une certaine quantité de gros et de menu bétail, et la satisfaction est acceptée par la maison tout entière : politique d'autant plus sage, que les inimitiés sont plus dangereuses dans l'état de liberté.Aucun autre peuple n'est porté avec plus de générosité aux festins et à l'hospitalité. On considère comme sacrilège de refuser à quiconque l'entrée de sa maison. Tout un chacun reçoit à sa table qu'il garnit en fonction de ses ressources. Quand ses provisions sont épuisées, le premier hôte en montre un second dans la maison voisine, et s'y rend de compagnie : les arrivants n'étaient pas invités ; peu importe, ils n'en sont pas reçus avec moins d'égards.Connus ou inconnus ont les mêmes droits à l'hospitalité. Si l'hôte, en partant, demande quelque chose, l'usage est de l'accorder ; on ne craint pas d'ailleurs de demander à son tour. Ces présents font plaisir, mais on n'en exige pas d’engagement, non plus qu'on ne croit en devoir. C'est un échange désintéressé de politesse. [22] Au sortir du sommeil, qu'ils prolongent souvent jusque dans le jour, ils se baignent, ordinairement à l'eau chaude, l'hiver régnant chez eux une grande partie de l'année. Après le bain, ils prennent un repas ; chacun a son siège séparé et sa table particulière.Ensuite viennent les affaires, souvent aussi les festins, et ils y vont en armes. Boire des journées et des nuits entières n'est une honte pour personne. L'ivresse produit des querelles fréquentes, qui se bornent rarement aux injures ; presque toujours elles finissent par des blessures et des meurtres. D'un autre côté, la réconciliation des ennemis, l'alliance des familles, le choix des chefs, la paix, la guerre, se traitent communément dans les festins sans doute parce qu'il n'est pas de moment où les esprits sont plus ouverts à de simples considérations ou ne s'enflamment davantage pour de grands desseins.Un peuple qui n'est ni fourbe ni roué ouvre le fond de son coeur dans l'ambiance permissive du lieu. Ainsi tous les esprits se livrent à nu. Le lendemain, on revoit ses positions, et l'un et l'autre temps justifie également son emploi : on délibère lorsqu'on ne saurait feindre ; on décide quand on ne peut se tromper. [23] Leur boisson est un breuvage tiré de l'orge ou du blé , et fermenté en quelque sorte comme le vin. Ceux qui vivent à proximité des fleuves achètent aussi du vin. Leur nourriture est simple : des fruits sauvages, du gibier frais ou du lait caillé. Ils calment la faim sans apprêts, sans condiments.Ils ne réagissent pas avec la même tempérance à la soif. Si on assouvit leur ivresse en leur accordant tout ce qu'ils veulent ingurgiter, ils seront bien plus facilement vaincus par leurs vices que par les armes. [24] Il ne connaissent qu'un seul genre de spectacle, toujours le même, lors de toute réunion. Des jeunes gens nus, pour lesquels c'est un divertissement, se jettent par saut entre des glaives et des framées tournées contre eux. L'exercice a produit l'adresse, et l'habileté embellit leurs gestes. Ils ne font pas cela pour en tirer profit ou recevoir un prix. Leur audace, si débridée soit-elle, n'est récompensée que par le seul plaisir des spectateurs. Ils connaissent les jeux de hasard, et (chose étonnante) ils s'en font, même à jeun, la plus sérieuse occupation ; si follement acharnés au gain ou à la perte, que, quand ils n'ont plus rien, ils jouent encore, dans un dernier coup de dés, leur personne et leur liberté. Le vaincu va lui-même se livrer à la servitude. Fût-il le plus jeune, fût-il le plus robuste, il se laisse enchaîner et vendre. Tel est, dans l’obstination leur travers : mais eux appellent cela de la loyauté. On se débarrasse de cette catégorie d'esclaves par le commerce, pour échapper soi-même à la honte de cette victoire. [25] Les autres esclaves ne sont pas classés et attachés comme chez nous aux différents emplois du service domestique. Chacun a son habitation, ses pénates, qu'il régit à son gré. Le maître leur impose, comme à des fermiers, une certaine redevance en blé, en bétail, en vêtements ; là se borne la servitude. Les soins intérieurs de la maison appartiennent à la femme et aux enfants.Frapper ses esclaves, ou les punir par les fers ou un travail forcé, est chose rare. On les tue quelquefois, non par esprit de discipline et de sévérité, mais dans un mouvement de colère, comme on tue un ennemi, à cela près que c'est impunément.Les affranchis ne sont pas beaucoup au-dessus des esclaves. Rarement ils ont de l'influence dans la maison ; jamais ils n'en ont dans le public. J'excepte les peuples soumis à des rois ; là ils s'élèvent au-dessus des hommes nés libres, au-dessus même des nobles. Chez les autres, l'infériorité des affranchis témoigne de l'importance de la condition d'homme libre. [26] Faire fructifier l'argent et s'enrichir en pratiquant l'usure sont des comportements inconnus. Cette attitude se maintient encore mieux que si ces pratiques étaient interdites.Quant aux sols cultivables, ils sont tour à tour réquisitionnés pour l'ensemble des cultivateurs en fonction de leur nombre. Ensuite on les attribue compte tenu du rang social de chacun. L'étendue des plaines rend le partage aisé.On change de terres en labour au cours des années et celles à cultiver demeurent en surnombre. Car ils ne rentabilisent pas la fécondité et l'étendue de leurs parcelles en s'évertuant à planter des arbres fruitiers, à délimiter des prairies et à irriguer des potagers. Tout ce qu'ils exigent de la terre, c'est une récolte.Aussi ne divisent-ils pas l'année en autant de saisons que nous. S'ils ont notion de l'hiver, du printemps, de l'été et des vocables pour les désigner, ils ignorent le nom de l'automne tout autant que ses bienfaits. [27] Leurs funérailles n'ont rien d'ostentatoire. Ils veillent seulement à brûler avec des bois déterminés les corps des grands hommes. Ils n'entassent sur le bûcher ni vêtements ni parfums. Le défunt est brûlé avec ses seules armes et, dans certains cas, avec son cheval.Un tertre de gazon constitue la tombe. Ériger un monument représente pour eux un hommage difficile et laborieux qu'ils méprisent et jugent pénible pour les défunts. Ils se laissent aller dans l'immédiat aux plaintes et aux pleurs. Souffrance et tristesse ne s'effacent que tardivement. Il sied aux femmes de manifester le deuil, aux hommes de se souvenir.Voilà donc tout ce que nous savons de l'origine et du mode de vie des Germains en général. Je vais parler maintenant des institutions et rites particuliers aux différents peuples, et dire lesquels sont passés de la Germanie dans les Gaules. A+
Salut,
Je pense que cette citation de F. Le Roux et Ch.-J. Guyonvarc’h, La société celtique, 1991, pp. 73-81, peut être une bonne base d’analyse. « 4. LA SOCIÉTÉ GAULOISE D'APRÈS CÉSAR Le dossier social, politique et religieux de la Guerre des Gaules, contenant et contenu, semble fatigué tant il a été traité et maltraité. Il a déjà fallu plusieurs séances de correction, et nous-mêmes avons déjà pris à notre charge trois examens successifs et concordants de ce vaste dossier (Françoise Le Roux, « Introduction générale à l'étude de la tradition celtique », Celticum 13, Rennes, 1967, p. 41-58 ; « Nouvelles recherches sur les druides, notes d'histoire des religions » XX, 57, in Ogam 22-25, 1970-73, p. 209-220 ; Françoise Le Roux & Christian-J. Guyonvarc'h, Les Druides, éd. 1986, Rennes, passim). Il faut encore et toujours en revenir au texte de base du De bello gallico, VI, 13 : « Dans toute la Gaule il y a deux classes d'hommes qui comptent et qui sont considérées. Car la plèbe est à peine mise au rang des esclaves : elle n'ose rien par elle-même et elle n'est consultée sur rien. Quand la plupart se voient accablés de dettes, écrasés d'impôts ou soumis aux vexations des puissants, ils se mettent au service des nobles : ceux-ci ont sur eux les mêmes droits que les maîtres sur les esclaves. Mais de ces deux sortes, l'une est celle des druides, l'autre celle des chevaliers. Ceux-là s'occupent des choses de la religion, veillent aux sacrifices, règlent les pratiques religieuses. Un grand nombre de jeunes gens viennent s'instruire auprès d'eux et ils sont chez eux en grand honneur. C'est eux qui, en effet, tranchent presque tous les conflits publics et privés ; si un crime a été commis, s'il y a un différend dans un héritage ou des délimitations, ce sont eux qui décident et qui fixent les indemnités et les compensations. Si un particulier ou un peuple ne s'est pas conformé à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices. Cette peine est chez eux la plus grave. Ceux qui sont frappés de cette interdiction sont comptés au nombre des impies et des criminels : on s'en éloigne, on fuit leur approche et leur entretien, craignant quelque effet funeste à leur contact. Il n'est jamais fait droit à leurs demandes et il ne leur est accordé aucun honneur. A tous ces druides en commande un seul, qui exerce sur eux l'autorité suprême. A sa mort, si quelqu'un d'entre eux se distingue par son mérite, il lui succède ; si plusieurs sont égaux, ils en décident par le suffrage des druides, et quelquefois par les armes. A un certain moment de l'année, ils se réunissent dans un lieu consacré dans le territoire des Carnutes qui passe pour être le centre de la Gaule. C'est là que, de partout, affluent tous ceux qui ont des différends, et ils se soumettent à leurs arrêts et à leurs jugements. On pense que leur doctrine a été inventée en Bretagne et que, de là , elle a été apportée en Gaule. Ceux qui veulent mieux la connaître partent là -bas pour s'instruire [...] « 14. Les druides s'abstiennent habituellement d'aller à la guerre et ils ne paient pas d'impôts comme les autres. Ils sont dispensés du service militaire et de toute charge. Attirés par de si grands avantages, beaucoup viennent de leur plein gré et ils sont envoyés par leurs familles et leurs proches [...] « 16. Toute la nation gauloise est extrêmement adonnée aux choses de la religion et, pour cette raison, tous ceux qui sont atteints de maladies graves, ceux qui sont exposés aux combats et ils se servent des druides pour pratiquer ces sacrifices. Car ils pensent que si une vie humaine n'est pas donnée en échange d'une vie humaine, il n'est pas possible d'apaiser les dieux immortels et ils ont des sacrifices de ce genre [...] « 18. Les Gaulois se disent tous issus de Dis Pater et ils prétendent que cela leur a été transmis par les druides. Pour cette raison ils évaluent toutes les durées, non par le nombre de jours, mais de nuits. Ils respectent les anniversaires, les commencements des jours et des années de telle manière que le jour succède à la nuit [...] « 21. Les Germains diffèrent beaucoup de cette coutume, car ils n'ont pas de druides qui s'occupent des choses de la religion et veillent aux sacrifices. » Que dire de plus ? Rien sans doute, si ce n'est que César, bon général et mauvais sociologue, a été somme toute un très acceptable — et très dangereux, ou tendancieux — témoin oculaire parce qu'il était contemporain des événements qu'il relate et aussi, précisément parce qu'il était général, il est un informateur sujet à caution. On a très souvent rejeté son témoignage sous des prétextes divers, parce qu'il aurait trop lu Posidonius ou, plus fréquemment encore, parce qu'il ne disait pas ce qu'il aurait dû dire pour que quelques historiens (les mêmes que nous avons nommés supra) ne fussent plus malades des origines de la France, déchirés entre la nostalgie du passé perdu et la fierté de la latinité. Mais dans le domaine qui est le nôtre, ce n'est pas la qualité du style ou une certaine élégance verbale qui importent, ce ne sont pas même les idées personnelles ou la perfection formelle de la pensée ; ce qui compte, c'est la rigueur de la description fonctionnelle et historique jointe à la compréhension de la notion traditionnelle des rapports de l'humain et du divin. Il n'est pas indispensable que le texte soit très long pour remplir les conditions requises ! Mais il faut qu'il les remplisse. Envisagée par ce critère rigoureux, la majeure partie de la si vaste rubrique du nom des Celtes — et des druides — chez les écrivains de l'Antiquité pourrait, s'il n'y avait une telle pénurie de documents, tomber sans inconvénients dans les oubliettes littéraires : rien n'est plus fastidieux, monotone et décevant que l'interminable notice des Celtae dans l'Altceltischer Sprachschatz d'Alfred Holder, III, 888-958, suivie de celle des Celtiberes, 959-975, de Galata, 1522-1620 et des Galli, Gallia et Gallicus, 1638-1962. Cela prouve que la compréhension du fait celtique n'était guère plus grande dans l'Antiquité qu'elle ne l'est maintenant. Le texte de César n'en est que plus précieux. César donc, qui n'avait pas lu le Manavadharmaśastra, décrit une société gauloise exactement structurée et organisée comme celle des Indiens védiques. Mais il y a une différence, qu'il nous est facile de comprendre et de corriger : la société indienne est à quatre termes, celle de César en Gaule est à deux termes. Pour le proconsul en effet seules comptent deux classes d'hommes : - les druides (qui correspondent aux brahmanes), ou, étymologiquement, do-ro-wid-es, dru-uid-es « les très savants » ; - les equites ou « chevaliers » (qui correspondent aux Kśatriya). Mais les Vaiśya ne sont nulle part en Gaule. César ne nomme aucune troisième classe productive. Il ne connaît que le plebes, dont il dit dédaigneusement qu'il est écrasé par le poids des dettes et des impôts et que nihil per se audet, « il n'ose rien par lui-même »; pas un mot pour les artisans et les agriculteurs qui cependant, devaient former une importante majorité de la population gauloise. César décrit exactement comme troisième terme celtique ce qui, en Inde, est le quatrième terme inférieur, et son plebes a pour répondants les Shūdra. Il faut corriger cette bipartition apparente qui pourrait être celle d'un grand patricien romain voyant le monde, de Rome ou des autres pays, partagé en patriciens et en plébéiens. Le reste, artisans ou agriculteurs, aurait formé la foule des clientes et des servi, en gros des esclaves, dont l'importance sociale, religieuse ou politique était nulle. Il existe assez de traces archéologiques du travail de l'artisanat celtique entre le Xe et le Ier siècle avant notre ère pour que la correction soit universellement acceptée. Il n'empêche que cette vision fausse de la troisième « classe » gauloise a été presque toujours décisive dans l'évaluation de la société celtique : aristocratie, voire théocratie, riche, puissante, orgueilleuse et arrogante, querelleuse aussi, écrasant de son mépris et de ses impôts une population laborieuse que l'occupation romaine aurait libérée de la plupart de ses servitudes. En 1967 nous avions admis que la troisième classe celtique continentale aurait pu, pour des raisons économiques déjà beaucoup plus complexes que celles qui régissaient l'Irlande médiévale, et dépendant des relations commerciales de la Gaule avec les Grecs et les pays méditerranéens, être écrasée et ramenée au niveau des serfs (Introduction générale, op. cit., p. 39, note 34). Nous ne croyons plus, maintenant, qu'il faille admettre, avant la conquête romaine, une évolution sociale si rapide. Elle serait en contradiction avec la fixité des conceptions religieuses celtiques préromaines. Identiquement nous apporterons une correction d'ensemble à Georges Dumézil (Idées romaines, Paris, 1969, p. 159), qui a écrit ceci : « La société celtique se présentait exactement avec les mêmes divisions : c'est ce qu'il est facile de vérifier en combinant les renseignements que donne César sur la société gauloise (altérée seulement en bas de la hiérarchie) et les traditions irlandaises médiévales (présentant une hiérarchie altérée par le haut, par suite de la déchéance du druidisme). César a rencontré en Gaule deux classes, celle des druides et celle des equites, fortement constituées ; le reste de la société, ruiné et démoralisé par les dettes, ne comportait plus d'organisation. Dans l'Irlande médiévale, les derniers textes « païens » eux-mêmes réduisent le service du druide à n'être qu'un métier parmi les autres (charpentiers, etc.), mais l'ensemble de la littérature, de la chrétienne comme de la païenne, s'accorde à distinguer ce qu'il y a d'hommes libres (aire, pl. airig, cf. indo-iranien ārya), tout ce qui participe entre autres à l'élection du roi, en deux grandes classes elles-mêmes subdivisées : la noblesse militaire (flaith) et les bó-airig, c'est-à -dire ceux des airig qui se définissent par la possession de bó, des vaches, les éleveurs. On entrevoit ainsi, pour l'ancien monde celtique, avant toute corruption, une société à trois classes : druides, equites et éleveurs. » Il est facile de constater que la déchéance du druide, dans l'Irlande chrétienne du haut Moyen Age, qui est celle, indistinctement, de tous les documents, est historique et non mythique. Le druide des textes mythologiques et épiques, quelquefois même didactiques ou hagiographiques, est loin d'être déchu. Seul le druide théologien ou sacrificateur a disparu des scénarios mythiques. Il est de toute façon impossible de classer chronologiquement les textes « païens » par rapport à leur contenu puisque ce contenu est anhistorique et hors du temps. Quant à César, nous renvoyons à ce qu'il va en être dit ci-après. Donc, une fois la correction faite, la description de César devient d'une redoutable précision et, dans sa brièveté relative, d'une minutieuse exactitude. Il n'est pas jusqu'à la remarque finale sur l'absence de druides chez les Germains qui ne soit intéressante dans De bello gallico, VI, 21 : l'inexistence d'une classe sacerdotale organisée chez ces derniers, au contraire des Celtes, creuse le fossé de la différence fondamentale et foncière qui fait de la tradition celtique la seule tradition occidentale comparable à celle de l'Inde. Et César rend là à la Gaule, involontairement peut-être mais en tout cas très concrètement, le plus bel hommage qu'un homme de l'Antiquité pouvait lui rendre. Cela suffit à rendre caduques, immédiatement et pour l'éternité, toutes les divagations modernes et contemporaines, universitaires, pseudo-universitaires ou plus simplement naïves, sur la sauvagerie et la « cruauté » des Gaulois (nous rappellerons comme bon exemple de cette prose parue dans le magazine Ça m'intéresse n° 14, avril 1982, sous le titre « Mais qui étaient vraiment nos ancêtres les Gaulois ? » p. 12-17, celui que nous avons déjà cité supra. Il est digne de passer à la postérité). Le thème est inusable. Mais une ethnie ne peut être accusée de barbarie à cause de la forme traditionnelle qui est la sienne. Quant à la cruauté... notre siècle a au moins fait aussi bien, sinon mieux ! La société gauloise décrite par César rejoint encore le Manavadharmaśastra dans les évaluations sociales respectives des druides et des equites. Ceux-ci se voient accorder quelques lignes de description alors que les druides ont droit à deux alinéas entiers. Voyons en quoi la description consiste : (De bello gallico, VI, 15) : « L'autre classe est celle des chevaliers. Ceux-ci, quand il le faut et que quelque guerre éclate (ce qui, avant l'arrivée de César, arrivait à peu près chaque année, soit qu'ils prissent l'offensive, soit qu'ils eussent à se défendre), prennent tous part à la guerre, et chacun, selon sa naissance et sa fortune, a autour de soi un plus ou moins grand nombre de serviteurs, et de clients. C'est le seul signe de puissance qu'ils connaissent. » César constate — et nous ne pouvons faire autrement que d'avaliser la constatation — que les equites font la guerre et ne font rien d'autre, ce qui est évidemment conforme et comparable au service que l'Inde attendait d'un Kśatriya. Ce n'est pas là toute la théologie de la deuxième fonction mais c'est au moins son résumé. C'est en Irlande que nous apprendrons le reste, sinon l'essentiel de l'éthique guerrière des Celtes. Mais, nous l'avons parfois écrit et nous aurons certainement encore très souvent l'occasion de l'écrire, on ne relit jamais assez les auteurs anciens. Et on ne prête jamais assez d'attention aux mots qu'ils emploient. Il est en effet très important que César, qui, bien évidemment, ne se dit pas « sociologue » et ne parle pas de « société », définit des hommes les uns par rapport aux autres. Pour nommer la classe sociale il emploie le mot genus, génitif generis dans son sens évolué de « classe, genre » (Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, éd. 1959, p. 270b) et non gens, gentis qui aurait pu lui servir à rendre la notion de « clan » ou de « nationalité » celtique. C'est dire si la définition est intéressante et précise, en même temps que fonctionnelle et classificatoire. - César décrit ainsi, sans suivre un ordre hiérarchique que nous rétablissons pour notre commodité : - une classe sacerdotale qui a en charge toute l'administration du sacré (druides) ; - une classe militaire qui est en fait l'aristocratie dirigeante (equites). - une classe « populaire » selon lui presque réduite en servitude et n'ayant pratiquement aucun droit (plebes). Mais, chez César, rien n'est gratuit, surtout pas les nuances de vocabulaire : - la classe sacerdotale est nommée d'un mot celtique : druides (sous la forme la plus authentique et la plus ancienne). César, qui a dit quelquefois sacerdotes quand il s'est agi de définir l'essence de la classe sacerdotale, a employé exceptionnellement le mot celtique, marquant la forte originalité de ce qu'il décrivait ; - la classe militaire est nommée d'un mot latin, equites, que l'on peut rendre par « chevaliers ». César emploie ce mot parce qu'il a constaté que l'aristocratie gauloise combat essentiellement à cheval et qu'il existe une ressemblance, au moins formelle, avec les equites, les chevaliers romains, membres d'un ordre qui, à l'origine, servait dans la cavalerie (Dictionnaire étymologique de la langue latine, op. cit., p. 200a). Même si les passages qui les concernent respectivement sont de longueurs très inégales (quelques lignes pour les equites, un très long paragraphe pour les druides), les deux premières classes sont décrites positivement, solidaires, associées l'une à l'autre et en opposition à la troisième, brièvement décrite négativement, en dehors de toute indication fonctionnelle. Le terme qui désigne cette troisième classe est précis : plebes, génitif plebei, forme de la cinquième déclinaison latine et non plebs, forme plus récente, de la troisième déclinaison. Le sens exact est « plèbe, ensemble des citoyens qui ne sont pas nobles » et que l'on a certainement eu tort de prendre dans l'acception plus récente de « multitude, populace » (Dictionnaire étymologique de la langue latine, op. cit., p. 513b-514a). Le mot a étonné, sinon choqué parce que, dans l'absolu, rien n'est plus aristocratique et moins « plébéien » que la société celtique. Mais, lorsque César écrit plebes paene servorum habetur loco, il ne dit au fond nullement que le plebes est réduit en esclavage, il rend plutôt compte des conséquences d'une évolution parvenue à un terme critique. C'est le lieu de rappeler ici la très vieille conception irlandaise, si évidente qu'elle se passe de démonstration, du soer « libre » et du doer « non libre ». Le doer est lié à un prêteur par un contrat de tenure ou un prêt de bétail impliquant une dépendance financière. N'est légalement libre de ses décisions et de ses mouvements, dans un pays où la seule richesse foncière n'est pas la terre mais le bétail, que celui qui ne doit rien à autrui. Toute dette, quelle qu'elle soit, aliène la liberté. C'est sans nul doute un tel système ou un système analogue que César a vu fonctionner en Gaule, sans peut-être très bien en comprendre le principe. Contrairement à ce qu'a cru L. Constans dans une note de sa traduction (p. 185, note 1), cela n'a rien à voir avec le servage médiéval, issu de la féodalité, qui attachait l'homme à la terre, qu'il ait ou non contracté des dettes. Il n'y a aucune confusion possible et nous rejoignons par là la norme indo-européenne : ni à Rome ni en Grèce ni dans l'Inde ni en Germanie ni chez les Celtes les esclaves et les inférieurs, Shūdra ou paria ne font partie de la société. Ils en sont minutieusement exclus et tenus à l'écart. La conclusion est que plebes désigne effectivement et réellement chez César la troisième classe productrice des artisans et des éleveurs-agriculteurs en tant que « citoyens non nobles ». Le détail capital est ici que César ne définit pas cette classe fonctionnellement comme les deux autres. Il n'en propose qu'une définition catégorielle. Autrement dit, la troisième classe n'existe en Gaule que par rapport aux deux autres, ce qui correspond rigoureusement à la conception indienne des trois varna : seuls les druides et les equites participent au gouvernement de la société, seuls comptent aussi, du point de vue traditionnel, l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel, qui constituent la plénitude de la souveraineté (voir notre article, « La Souveraineté celtique : autorité spirituelle et pouvoir temporel » in Connaissance des religions, V, l, juin 1989, p. 23-32 ; il nous faut toujours renvoyer, pour les principes de base, aux deux ouvrages fondamentaux, c'est-à -dire celui de René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, éd. Véga, Paris, 1947, 118 pages, et celui d'Ananda K. Coomaraswamy, Autorité spirituelle et pouvoir temporel dans la perspective indienne du gouvernement, éd. Archè, Milan, 1985, 156 pages). La constatation est le corollaire de ce que nous avons énoncé plus haut, à savoir que les deux premières classes, ne peuvent pas subsister sans la materia prima et le travail de la troisième. En conséquence, ce n'est pas chez César que nous trouverons une description détaillée du fonctionnement triparti de la société gauloise. Ne paraissent sur la scène et ne jouent un rôle que la classe sacerdotale et la classe guerrière. La troisième classe productrice, dont on pressent l'importance économique, est absente des événements de la Guerre des Gaules. Nous verrons d'ailleurs un phénomène analogue se produire dans l'épopée irlandaise du cycle d'Ulster. Cela n'est pas la preuve de leur inexistence ou même de leur importance négligeable puisque ce sont les événements qui sont contingents et non le mythe. Deux dénominations secondaires employées par César à propos des chevaliers méritent aussi qu'on en fasse mention. Ce sont, dans De bello gallico, VI, 15, côte à côte, un mot gaulois et un mot latin : ita plurimos circum se ambactos clientesque habet. Les deux mots ne sont pas interchangeables et encore moins synonymes. Les ambacti sont, étymologiquement, « ceux qui entourent » cependant que, dans la loi romaine, le cliens est opposé et subordonné au patronus {Dictionnaire étymologique de la langue latine, op. cit., p. 127a). Il s'agit donc, très vraisemblablement, d'une part, dans le cas des ambacti, de compagnons ou de commensaux, inférieurs en richesse mais non pas en dignité, et qui font partie eux-mêmes de la classe des equites; d'autre part, dans le cas des clientes, d'hommes libres liés à un « patron » par une dette ou un contrat. » Tacite cite toutefois des sacerdotes chez les Germains. A+
e.
bonjour, j ai regardé l'émission d'Arté samedi soir. Dans le premier documentaire, j ai été étonné de voir que le "roi" Arioviste portait un torque à son cou. Hors, cet objet n'est-il pas un ornement spécifiquement celtique.
C'est dommage qu'il n'est pas été évoqué, au préalable, les relations qui existaient préalablement à l'occupation romaine entre tribus germaniques, gauloises et Belges...N'est-il pas vrai que les Belges étaient de remarquables combattants du fait de leurs incessants conflits contre des tribus germaniques voisines... Je jure par le dieu que jure ma tribu
Salut,
Je pense que le torque n'est pas exclusivement celtique, des Germains et des Thraces l'ont porté ainsi que des Gaulois romanisés. Jean-Paul Brethenoux. Sedullos Lemouico immi exobnos in catue ! ΣΕΔΟΥΛΛΟΣ (Graecum est, non legitur !)
"Honorer les dieux, ne pas faire le mal, s'exercer à la bravoure."
En réponse, je cite Henri Hubert : Voir à ce propos les peuples celto-germaniques listés dans l'encyclopédie. http://www.arbre-celtique.com/encyclope ... es-327.htm Dernière édition par Jacques le Mar 24 Juil, 2007 15:37, édité 1 fois.
Oui, Ce qui n'empêche qu' Arioviste porte un nom celtique, a épousé une Gauloise, et parle le gaulois... Il y a les Germains de César, et les vrais Germains Et que dire d'Arminius (*are-minio-), vachement germanique comme nom. Mais comme je sais que tu as lu le dernier Buchsenschutz. Une frontière Nord-Sud, ou Est-Ouest, That is the question ? Notez aussi que la "prêtresse/sorcière" avait dans son sac à malices un ...... Oursin fossile (Curieux, non ?) @+Pierre Pierre Crombet
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Salut, Pierre,
en fait je n'ai pas lu en entier le dernier Buchs, simplement consulté. Ma réponse ne concernait pas la "celticité" d'Arioviste mais le fait que le torque a été porté par des individus appartenant à d'autres cultures et d'autres civilisations. On oublie trop souvent qu'il y a d'autres peuples que les Celtes, les Romains et les Grecs. Jean-Paul Brethenoux. Sedullos Lemouico immi exobnos in catue ! ΣΕΔΟΥΛΛΟΣ (Graecum est, non legitur !)
"Honorer les dieux, ne pas faire le mal, s'exercer à la bravoure."
A lire impérativement C'est plein de trous de poteaux, d'oppida, et autres merveilles enfouies... Le plus gros morceau étant sur l'habitat et l'urbanisation... Un véritable bonheur pour les Véliocasses C'est du tout bon (enfin presque, il a mis Limonum à Limoges (page 164) ) http://www.arbre-celtique.com/encyclope ... z-4847.htm @+Pierre Pierre Crombet
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Tu te souviens en avril, je t'ai dit que j'avais plein de retard dans mes lectures et bien, ça c'est pas arrangé !
Je l'ai acheté à Chauvigny parce que Buchs, c'est du solide, je l'ai donc parcouru, à plusieurs reprises. Du très bon travail qui prend même en compte des éléments irlandais ! Bon, je finis Les druides de Brunaux et je m'y mets. Jean-Paul Brethenoux. Sedullos Lemouico immi exobnos in catue ! ΣΕΔΟΥΛΛΟΣ (Graecum est, non legitur !)
"Honorer les dieux, ne pas faire le mal, s'exercer à la bravoure."
Ben, j'suis largement en retard moi aussi bien que ce bouquin ait l'air vraiment sympathique pour tous les Véliocasses en recherche d'oppidum...
En ce moment, le lis plutôt de la SF, mais ça fait partie des prochaines acquisitions programmées, promis...
Je reviens sur le teste d'Henri Hubert que j'ai cité, et qui s'insère bien dans le sujet Celtes et Germains :
Qui connaît les textes antiques dont Henri Hubert suggère l'existence ? D'autre part, le texte de présentation de la série d'Arte sur les Germains http://www.arte.tv/fr/histoire-societe/ ... 6288.html# laisse à penser que des peuples non-germaniques vivaient au-delà du Rhin, en particulier des peuples celtiques qui avaient des relations avec les Belges ? (cf les peuples de Germanie à nom celtique cités par l'encyclopédie http://www.arbre-celtique.com/encyclope ... es-327.htm et les chefs « germains » à nom celtique et parlant gaulois tel Arioviste )
Salut, Jacques,
Pour les auteurs dont parlait Hubert, il faut consulter Les Gaulois du Nord de la Gaule de Stephan Fichtl qui a rassemblé différents extraits. Jean-Paul Brethenoux. Sedullos Lemouico immi exobnos in catue ! ΣΕΔΟΥΛΛΟΣ (Graecum est, non legitur !)
"Honorer les dieux, ne pas faire le mal, s'exercer à la bravoure."
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