Patrice a écrit par le passé :
Je profite de ce message pour poster sur le forum une question que je t'ai envoyée par e-mail mais qui mérite peut-être de faire l'objet d'un débat ( ??? ).
La Chronique de Saint-Maixent éditée et traduite par Jean Verdon, 1979, Paris, Les Belles Lettres, signale:
Le 5 des nones de mars [1118] l'église de Saint-Symphorien fut consacrée par Robert, évêque de Quimper [Corisopatum].
Y a-t-il une église Saint-Symphorien à Quimper ou bien y a-t-il une chance pour qu'il s'agisse de la Saint-Symphorien de Paule?
et encore :
Bon, ceci veut donc dire qu'au IXe siècle, des moines de Redon inventent "Corisopitum".
Et qu'au XIIIe siècle, un autre moine, à Saint-Maixent, qui a accès à des sources bretonnes et qui surtout, adore les archaïsmes géographiques, reprend cet invention à son compte et place le très réel évêque de Quimper Robert sur le siège de Corisopitum.
Ceci n'empêche pas que ce Robert à dédicacé en 1118 une église sous le vocable de Saint-Symphorien. Quelle peut donc être cette église? Il n'y en a pas 36 dans l'ancien diocèse de Cornouaille. Moi je ne vois que Paule...
Je suis assez tenté de suivre cette dernière opinion (quant à Corisopitum, il s'agit d'un faux débat qui a déjà fait couler beaucoup d'encre et sur lequel je ne crois pas utile de revenir ici).
Au demeurant, on ne peut inférer de la note du chroniqueur l'absence de sanctuaire antérieur dédié localement à Saint-Symphorien (ou Saint-Ciferian) : une reconstruction après la période un peu troublée des incursions scandinaves aurait obligé de toutes façons à une nouvelle consécration, sans parler d'un éventuel changement de statut de ce sanctuaire.
En outre, l'importance relative mais incontestable du site de Saint-Symphorien a pu s'inscrire dans la longue durée, de l'Antiquité au Moyen Âge.
J'ai proposé dans un travail intitulé "Robert d'Arbrissel, Raoul de la Fûtaie et Robert de *Locunan : la trinité érémitique bretonne de la fin du 11e siècle", Britannia monastica, n°10 (2006), p. 9-19. de reconnaître dans le toponyme associé à l'évêque Robert le nom du village de Loconan en Trébrivan, dans les parages immédiats de Carhaix.
Le catalogue épiscopal qui figure dans le cartulaire du lieu [Quimper], compilé au XIVe siècle, a été enrichi en 1417 d’une addition qui fait explicitement référence à la carrière érémitique de Robert et à la localisation de l’endroit où il s’était établi (Robertus episcopus qui fuit heremita apud Locuuan) ; mais la lecture du toponyme concerné a donné lieu à bien des discussions, dont l’enjeu dépasse la simple satisfaction érudite.
Il n’y aurait d’ailleurs pas lieu de revenir sur la lecture la plus récente et la plus assurée, Locuuan, si celle-ci ne posait pas plus de problèmes qu’elle n’en résout : c’est ainsi que Gildas Bernier avait proposé d’y voir le doublet en loc- du nom de la paroisse de Pluguffan ; tout récemment, Joëlle Quaghebeur a émis l’hypothèse qu’il pouvait s’agir de Loc-Amand, en Fouesnant. Pour mémoire, rappelons qu’Albert Le Grand avait identifié l’ermitage de Robert avec Locronan, hypothèse qui s’est révélée la plus durable et que l’on retrouve encore dans les ouvrages de Jean-Marc Bienvenu et Jacques Dalarun déjà cités ; cependant cette identification doit être rejetée avec vigueur.
En fait, il faut, comme c’est souvent le cas, élargir la problématique pour permettre de trouver un début de solution. Si le toponyme transcrit en face du nom de Robert dans le catalogue épiscopal doit effectivement être lu Locuuan, ce que personne ne conteste, il faut également constater que la source de cette transcription demeure inconnue. Or, il y a fort à parier que l’interpolateur a travaillé d’après une source écrite et d’accès restreint ; car s’il s’était agi d’une source orale et déjà largement diffusée au début du XVe siècle, nous ne serions pas aujourd’hui encore dans l’ignorance de la localisation précise de l’ermitage de Robert. Compte tenu de l’habituelle confusion entre n et u dont ont souvent été victimes les scribes du bas Moyen Âge à l’occasion de la transcription de pièces plus anciennes, il est possible de restituer la forme du toponyme qui nous intéresse en *Locunan, aujourd’hui le nom de lieu Loconan, en Trébrivan (Côtes d’Armor), où s’élève une chapelle dédiée à Notre-Dame de la Clarté, monument tardif comme c’est bien souvent le cas, mais qui a peut-être succédé à un édifice plus ancien. Dans la vallée située en contrebas du Minez-Loconan (la « montagne de Loconan »), se trouve un endroit idéal pour se retirer du « monde », car véritable « désert » au sens religieux du terme : le souvenir en est conservé par le toponyme le Nézert, qui est généralement associé à un ermitage de l’époque médiévale ; mais ce type de « solitude » s’accommodait en général assez bien d’un passage continuel à proximité, comme c’était le cas dans la haute vallée de l’Hyères.
Bien cordialement,
André-Yves Bourgès