Dans les Alpes, persiste le souvenir d’une population mystérieuse et ancienne qui tenait les sommets montagneux. Selon Joseph Henriet, ce peuple serait appelé par erreur « sarrasin » et il rappelle que d’autres populations déterminées se virent aussi attribuer différents noms : « Dans le canton du Valais et dans la région de Suse, les Sarrasins ont été baptisés Maures, Hongrois, Huns et Païens. A Arles, ces ennemis de la chrétienté furent appelés indistinctement païens ou Sarrasins, à Grenoble Maures ou infidèles, à Pedona (l’actuel Bourg Saint-Dalmas) Agarènes et, en Ligurie, Möi » (Henriet, 2002 : p.11)...
La seule remarque qu’on puisse formuler à ce stade concerne l’indoeuropéanisation des populations alpines aborigènes qu’Henriet semble relativiser. En effet, on ne peut pas mettre de côté l’implantation et l’enracinement des celtes, plus particulièrement les Allobroges et les Helvètes, tous deux d’ascendance indoeuropéenne. En ce qui concerne la théorie postulant la présence d’une population pré indoeuropéenne, cette hypothèse peut être difficilement mise en doute dans la mesure où Joseph Henriet nous livre de solides arguments. Cette population que l’on a appelé « Sarrasins des montagnes » a été confondue à tort avec les « sarrasins des mers ». Il est plus juste de la désigner sous le terme d’arpétare étant donné que sa langue était l’arpétara. Joseph Henriet nous explique qu’ « Arpétar est un mot d’origine néolithique (préindoeuropéenne) qui se décompose ainsi : AR signifie rocher, PE = sous et TAR = habitant. Les Arpétars étaient donc ceux qui habitaient sous les rochers, les montagnards. Premiers occupants de nos montagnes, ils s’expriment en arpétara. Le groupe des langues néolithiques auquel cet idiome appartenait marquait une nette évolution par rapport à la langue des chasseurs européens du Paléolithique et du Mésolithique composée tout au plus de quelques centaines de mots. Avant que ne se forment et que ne s’y imposent les langues indo-européennes, elles étaient les seules en usage sur la plus grande partie de notre continent et l’une des variantes, l’euskara, est encore parlée de nos jours par les Basques. Dans les Alpes, l’arpétara a disparu bien plus tard que dans la plupart des régions européennes, sans doute au début du dernier millénaire, vers le XIème siècle » (Henriet, 2002 : p.13). Quant au territoire de ce peuple, l’Arpitanie, il se situe dans « …la partie nord-occidentale des Alpes où la langue franco-provençale est restée vivante, région qui comprend grosso modo la Savoie, le canton du Valais et le Val d’Aoste » (Henriet, 2002 : p.122).
Selon Joseph Henriet, les arpétars furent les ancêtres des Salasses qu’évoquait Appien durant l’Antiquité : « Mais ce furent surtout les Salasses qui procurèrent des ennuis à Auguste, avec les Japides transalpins et encore les Ségestes, les Dalamates, les Dèses et les Péons qui sont établis loin des Salasses, lesquels habitent les sommets des Alpes, montagnes d’accès difficile offrant une seule voie de transit, étroite et accidentée ; pour ces raisons, ils étaient encore indépendants et ils prétendaient imposer des péages à ceux qui passaient à travers leurs terres » (Henriet, 2002 : p.14). De manière générale l’auteur pense « qu’une indéniable identité de comportement et certainement aussi une relative homogénéité culturelle et ethnique caractérisaient les habitants des Alpes depuis la préhistoire » (Henriet, 2002 : p.14). Parallèlement, il relativise l’apport celte en affirmant que pour les Romains, la population alpine était « distincte donc des gaulois de Gaule Cisalpine (l’actuelle Italie du Nord ou Padanie) ou transalpine (la France d’aujourd’hui) » (Henriet, 2002 : p.14). Si cette relativisation de l’apport celte est sujette à débat, il n’en reste pas moins que la thèse d’Henriet reste séduisante notamment à la lumière des chroniques antiques. Live aurait distingué les celtes vivant dans les plaines (à savoir les Allobroges, Insubres et Helvètes) des « montani galli » (Gaulois des montagnes) appelés encore « gentes alpinae » (peuples des Alpes). Polybe relatait de son côté qu’ « Après ces évènements, les Gaulois restèrent pendant un temps engagés dans des guerres civiles ; quelques populations alpines se réunirent pour opérer des expéditions contre eux, car elles étaient jalouses du bien-être qu’ils avaient atteint, qui contrastait avec leurs misérables conditions de vie » (Henriet, 2002 : p.15).