Corent : découverte d’une « taverne » gauloise
Depuis 2005, les archéologues de l’Université de Lyon travaillent, sur l’oppidum du Puy-de-Corent, à la fouille d’un quartier d’habitation organisé « à la romaine », avec son sanctuaire, ses espaces voués aux activités publiques, artisanales, commerciales ou à l’habitat. La campagne en cours a livré une nouvelle surprise : une gigantesque cave à vin, liée à une sorte de taverne publique destinée au stockage, à la vente et à la consommation du précieux breuvage…
Une vaste ZAC aux allures de forum romain
En 2007, la fouille du quartier qui s’étend au nord du sanctuaire a mis en évidence un grand complexe bâti de plus de 1000 m2, entièrement dédié au commerce et à l’artisanat. Il se compose d’une place centrale bordée de grandes halles en bois, abritant des ateliers et des boutiques dont le sol était jonché de centaines d’outils et déchets d’artisanat, témoignant d’activités variées : travail du bronze, fabrication de bijoux, frappe de monnaies, travail de l’os, des peaux et des textiles …
Disséminés sur la place, des centaines de monnaies originaires de toutes les régions de la Gaule, des jetons de comptabilité en céramique, retaillés dans des tessons de vases, des poids et éléments de balance, montrent qu’elle a accueilli une intense activité commerciale.
Ce vaste « marché », qui peut être comparé à un forum romain, comportait plusieurs zones d’activité : des dizaines de milliers d’ossements de bœufs, déchets de découpe pour l’essentiel, attestent l’existence d’une boucherie située dans la partie Ouest du complexe.
Cave géante
L’angle nord-est de la place abrite une activité de toute autre nature. Il est occupé par un bâtiment sur poteaux de plus de vingt mètres de long, édifié sur une grande cave creusée dans la roche volcanique. Cette dernière présente une forme allongée et des dimensions exceptionnelles, qui la distinguent des caves domestiques fouillées sur d’autres oppida : plus de seize mètres de longueur pour deux mètres de largeur et autant de profondeur, soit une capacité de plus de soixante mètres cube ! Ce chiffre pourrait être supérieur, si l’on considère que son tracé, qui se prolonge au-delà des limites du chantier, n’a pas été fouillé entièrement.
Le mobilier retrouvé dans la cave suggère qu’elle était spécifiquement dédiée au stockage du vin. En effet, son remplissage était principalement composé de tessons d’amphores, dont le poids cumulé avoisine déjà la tonne et demi ; brisées pour la plupart, elles ont été rejetées en une seule fois lors de l’abandon du bâtiment, vers 50 avant notre ère.
Quelques récipients complets, couchés au fond de la cave, semblent avoir conservé leur position d’origine. Une amphore pesant entre quinze et vingt kilos, ce dépôt correspond à un minimum de cent récipients. Ce chiffre peut être porté à plusieurs centaines d’unités, si l’on tient compte des pertes.
Les abords immédiats de la cave ont livré d’autres indices faisant état d’une consommation du vin sur place : fragments de cruche et de passoire en bronze, vaisselle en céramique ou en verre importés de toute la Méditerranée, cols d’amphores « sabrés » à la manière gauloise ─ l’un d’eux a même conservé son bouchon ! La partie du bâtiment donnant sur la place était parsemée de monnaies et de nombreux jetons de compte en céramique : une trentaine d’entre eux, empilés dans une même fosse, semblent témoigner de transactions commerciales effectuées à cet emplacement.
Échoppe publique ?
Ce faisceau d’indices désigne un bâtiment voué à l’entreposage, mais aussi, à la vente et à la consommation sur place du vin contenu dans les amphores. La taille inhabituelle de la cave et sa situation en bordure de la place plaident pour un aménagement à caractère public, même s’il a pu être géré par des vendeurs privés. Il pourrait même s’agir de marchands romains, dont l’activité en Gaule est signalée par Jules César. Cette hypothèse est renforcée, à Corent, par l’usage précoce de techniques de construction et de nombreux objets liés aux modes de vie méditerranéens (vaisselle de table, tuiles, parures, instruments d’écriture et de chirurgie…).
Le goût des Gaulois pour le vin importé d’Italie, souligné par les textes anciens, a été confirmé depuis longtemps par l’archéologie. À Corent, sur l’ensemble du quartier fouillé entre 2005 et 2007, le volume d’amphores retrouvées s’élève déjà à plus de trente tonnes ! Le commerce des vignobles de la côte tyrrhénienne (Campanie, Latium et Étrurie) portait sur des milliers d’hectolitres, acheminés par navire jusqu’aux côtes de la Provence, puis sur des embarcations plus légères, via le cours du Rhône et de l’Allier, jusqu’au pied de l’oppidum de Corent. La découverte d’amphores complètes à proximité du pont de Longues suggère l’existence d’un port à cet emplacement.
Dans le monde romain, l’existence de caves publiques, de tavernes et autres débits de boisson est connue de longue date - certains plans d'entrepôts à vin découverts à Rome présentent même un plan très similaire à celui de la cave de corent. Cette découverte permet, pour la première fois, d’affirmer qu’ils existaient dès l’époque gauloise. En Gaule comme en Italie, ils sont caractéristiques d’un urbanisme évolué, mis en place par des sociétés qui entretenaient d’étroits contacts, tant commerciaux que culturels.
En marge de cette découverte, la fouille des habitats édifiés en périphérie de la place livre de nouvelles richesses : une bague en or ─ qui vient s’ajouter aux autres bijoux précieux déjà découverts dans ce quartier ─, des pièces de char, des armes, des monnaies… L’ampleur et la qualité des vestiges, qui s’accroissent d’année en année, conduisent une majorité de spécialistes à voir dans l’oppidum de Corent la capitale du peuple arverne avant la conquête romaine, occupée entre les années 130 et 50 av. J.-C.
cf. article paru dans "La Montagne", édition du 17/8/2008 :
http://luern.fr/M_2008.pdf