A propos de l'origine du druidisme, et de la relation entre histoire et mythe, je voudrais citer un passage du cahier "Le Druide" de l'association Source Glane. Ce passage étant plutôt long, ceux que la question intéresse devraient importer ce message sur leur ordi personnel avant de le lire…:
la vision cosmique fondamentale : structure et généalogie
"Il y a encore une cinquantaine d'années, et moins encore, l'anthropologiste anglais ou le sociologue français se posait, solidairement, deux ambitieux problèmes : celui de l'origine des faits religieux et celui de la généalogie des formes religieuses. De mémorables batailles se sont livrées autour du Grand Dieu et des totems (...) On a discuté sur la genèse de l'idée de Dieu : est-elle indépendante de celle de l'âme ou en est-elle sortie ? Le culte des morts a-t-il précédé celui des forces de la nature ? Graves et vaines questions. (...) Aujourd'hui, les chercheurs s'en détachent. La science des religions abandonne aux philosophes la question des origines comme l'a fait, un peu plus tôt qu'elle, la science du langage, comme l'ont fait toutes les sciences. Elle renonce aussi à prescrire a posteriori, si l'on peut dire, une évolution type, une marche obligée, aux formes religieuses du passé. Qu'on se place au XX° siècle ou six mille ans plus tôt, on ne remonte jamais loin dans la vie d'aucune portion de l'humanité ; on ne se trouve jamais que devant les résultats d'une maturation et d'accidents qui ont occupé des dizaines de siècles (...)" .
C'est en ces termes que Georges Dumézil remettait au philosophe le soin de penser la question de l'origine d'une pratique religieuse, et laissait en suspens celle de la généalogie. De fait, réduire l'explication d'une donnée religieuse à une évolution à partir d'un état antérieur n'apporte pas grand chose à la compréhension de la donnée elle-même. Lorsqu'on discute âprement de l'origine du druidisme, en versant au débat des arguments en faveur de telle ou telle hypothèse (mégalithique, britannique, continentale, orientale, atlante ou hyperboréenne !) on croit avoir prise sur le sujet alors qu'on s'en éloigne.
Ce défaut de l'historicisme en induit un second : la préoccupation de situer historiquement et géographiquement le point de départ, la source. Tendance qui est un héritage biblique et plus particulièrement chrétien, puisque cette religion ne peut fonder autrement la valeur de ses dogmes et de sa morale, que par la croyance en la réalité historique d'un évènement fondateur : le venu d'un messie ou d'un prophète. Outre que l'historicité d'un tel évènement est l'objet de vives et vaines controverses , elle a présenté les dangers que l'on sait : en réduisant à un moment et à un lieu unique la source de toute vérité universelle, elle est la cause naturelle des intolérances et des crimes perpétrés en son nom. Guénon lui-même ironisera sur cette erreur en soulignant la contradiction qu'il y a dans la double prétention à l'historicité et à la transcendance. Pour lui : "une telle erreur (...) témoigne d'une conception assez fortement "matérialisée" et de l'incapacité à s'élever à un ordre supérieur" . De fait, il y a là la marque d'une conception linéaire du temps, conception en quelque sorte anthropomorphique puisqu'elle réduit le temps du monde et des dieux à celui des hommes et signe une rupture avec la conception traditionnelle. Rupture qui est certes beaucoup plus une régression qu'on progrès .
Mircea Eliade a amplement montré que le temps des commencements est, en fait, a-temporel, c'est-à -dire hors de l'histoire. C'est une notion difficile pour nous Occidentaux. L'image du centre d'un cercle dont la circonférence serait le temps humain permet de s'en approcher : le rayonnement qui part du centre peut toucher indifféremment tous les points de la circonférence et, inversement, on peut accéder au centre (du moins celui qui est qualifié pour dépasser la contingence) à partir de n'importe quel point. L'intemporalité de cette manifestation première et exemplaire, de cette source de révélation, de cette vision originelle, telle que l'expriment les mythes fondateurs, la rend du même coup permanente : sa réalité n'est pas subordonnée aux vicissitudes et aux péripéties de l'histoire humaine.
Dès lors, le sentiment de désenchantement du monde n'est peut-être qu'une illusion ou le fruit d'une occultation, d'une incapacité à voir, elle-même conséquence de deux mille ans d'ignorance et de mensonge ?
Avec Dumézil, nous considérerons que la question du point de départ, de l'origine et par conséquent de la généalogie, ne doit pas être posé comme problème historique, mais comme problème philosophique : il ne s'agit plus de situer cette origine, mais de penser la nature même de cette origine. Mais cette pensée ne doit pas être une tentative de définition d'un objet qui reste difficilement conceptualisable. Il faut éviter le piège de la spéculation. Il s'agira plutôt d'apprécier cette nature : apprécier, c'est-à -dire dans un premier temps, saisir la modalité de cette vision originelle, essayer de décrire comment cela s'exprime et, dans un second temps mesurer sa valeur.