Célébration du triomphe de Caius Marius et Quintus Lutatius Catulus (101 av. J.-C.)
Après les victoires décisives remportées lors de la bataille d'Aquae Sextiae (fin octobre 102 av. J.-C.) et de la bataille de Vercellae (30 juillet 101 av. J.-C.), le Sénat proposa de décerner les honneurs de deux triomphes à Caius Marius. Le consul déclina cette offre et plaida pour que l'on célébrât un triomphe conjoint avec le proconsul Quintus Lutatius Catulus, ce qui fut accepté (Cicéron, Tusculanes, V, 19 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marius, 28 ; Tite-Live, Periochae, LXVIII). Suivant l'opinion de Plutarque, la posture de Caius Marius n'était aucunement motivée par une question de justice, mais parce qu'il redoutait la réaction des soldats de son collègue s'ils n'étaient pas associés à ces célébrations. D'ailleurs, dés la fin de l'ultime bataille, les soldats des deux consuls s'étaient vivement disputés sur la paternité de la victoire, le pillage des bagages des barbares et le partage des dépouilles, étendards et trompettes. Il fallut d'ailleurs recourir à la médiation de délégués de la colonie de Parma (Parme, province de Parme, Italie) pour que la situation de dégénérât pas (Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marius, 28).
Aucun ouvrage ancien n'a conservé le moindre souvenir de la célébration. Le caractère très codifié du triomphe et quelques rares indices permettent cependant d'en retracer les grandes lignes. Après avoir obtenus l'autorisation solenelle de faire leur entrée dans Rome, le cortège se formait traditionnellement au niveau du Champ de Mars et prenait la direction du Capitole par la voie Sacrée. Les trompettes militaires ouvraient la marche, suivi par le butin pris aux ennemis à savoir les armes, les enseignes, et autres dépouilles collectées. Le recueil de ces témoignages de la victoire, après les deux batailles décisives, a été décrit par Plutarque (Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marius, 23 ; 28). Les prisonniers de renom étaient ensuite exhibés. Ce fut assurément le cas du roi teuton Teutobodus, capturé à l'issue de la bataille d'Aquae Sextiae (Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, III, 4) et très certainement celui des rois cimbres Caesorix et Claodicos, faits prisonniers lors de la bataille de Vercellae. Un quinaire frappé à cette même époque par le questeur Caius Fundanius (RRC 326/2) semble se rapporter à l'un de ces prisonniers de renom. Au revers, on y voit la Victoire, tenant de la main gauche une palme, couronnant de la main droite un trophée d'armes, au niveau duquel on distingue un carnyx. Au pied du trophée est représenté un captif, nu et agenouillé. Après le butin défilaient les animaux destinés à être sacrifiés lors de la cloture de la cérémonie. Ensuite venaient le consul et le proconsul montés sur un quadrige (des quadriges ?), escortés par leurs légats et tribuns militaires. Une possible représentation de cette scène figure sur un denier frappé par ce même questeur Caius Fundanius (RRC 326/1). Au revers, on y distingue un homme, identifié comme étant Caius Marius, monté sur un quadrige, tenant de la main droite un carnyx, et de la main gauche un baton, qui pourraît être le sceptre d'ivoire. Devant lui, un autre personnage est représené tenant les rènes de la main gauche, et un carnyx de la main droite. Les consuls étaient suivis par leurs troupes, qui fermaient la marche.
Peu avant l'ultime bataille, Quintus Lutatius Catulus promit d'élever un temple à la Fortune et de lui consacrer la vitoire (Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marius, 27). Ce temple fut bel et bien édifié, sur le mont Palatin. Il fut décrit par Varron comme un tholos (rotonde) entouré d'une colonnade, édifié dans l'enceinte de sa demeure (De l'agriculture, III, 5). Cicéron (Discours de Cicéron pour sa maison, XXXVIII ; XLIII) et Valère Maxime (Faits et dits mémorables, VI, 3, 1c) indiquent qu'il fut construit à l'emplacement qui fut celui de la demeure de Marcus Fulvius Flaccus (1) et était orné des dépouilles des Cimbres. Ce monument fut finalement abattu au cours du consulat de Caius Calpurnius Piso et d'Aulus Gabinius (63 av. J.-C.), par le tribun de la plèbe Publius Clodius Pulcher (Cicéron, Discours de Cicéron pour sa maison, XXXVIII ; XLIII ; Plaidoyer pour M. Celius, XXXII).
Notes
(1) En 121 av. J.-C., Marcus Fulvius Flaccus et Caius Sempronius Gracchus échouèrent à se faire élire au tribunat de la plèbe. Tous deux créèrent de l'agitation, et furent finalement tués par le consul Lucius Opimius, avec l'accord du Sénat. En conséquence, la maison de Marcus Fulvius Flaccus fut rasée.
Sources littéraires anciennes.
Pseudo-Aurelius Victor, Des hommes illustres de la ville de Rome , I, 67 :"Caïus Marius, qui fut sept fois consul, était natif d'Arpinum, et d'une basse extraction ; il s'éleva par degrés jusqu'aux premiers honneurs ; lieutenant de Metellus en Numidie, il se porte son accusateur, obtient ainsi le consulat, et fait marcher devant son char de triomphe Jugurtha prisonnier. Nommé tout d'une voix consul pour l'année suivante, il bat les Cimbres dans la Gaule auprès d'Aquae Sextiae, puis les Teutons en Italie, dans la plaine de Raudium, et triomphe de ces deux peuples."
Cicéron, Discours de Cicéron pour sa maison, XXXVIII :"C'est la plus grande punition que nos ancêtres aient cru devoir infliger à des citoyens coupables de parricides ; et je la subirais comme eux, j'en porterais comme eux les marques, au risque de paraître aux yeux de la postérité, non le destructeur, mais le chef et l'auteur des conspirations et des crimes ! Comment, pontifes, la majesté du peuple romain souffrirait-elle cette honteuse contradiction ? le sénat subsiste, vous êtes à la tête du conseil public ; et la maison de M. T. Cicero, confondue avec celle de Fulvius Flaccus, serait à jamais comme elle un monument de la justice publique ? Flaccus, pour avoir troublé l'État avec C. Gracchus, fut mis à mort par l'ordre du sénat : sa maison fut rasée et le terrain confisqué : peu après, Q. Catulus y fit construire un portique avec le butin enlevé aux Cimbres. Mais ce brandon, cette furie de Rome n'eut pas plutôt pris, envahi, subjugué cette ville infortunée, sous les auspices d'un Piso et d'un Gabinius, qu'on le vit à la fois démolir le monument d'un grand homme qui n'était plus, et réunir ma maison avec celle du séditieux Flaccus ; résolu, par mépris pour le sénat qu'il opprimait, de faire subir à celui que les sénateurs avaient nommé le sauveur de la patrie, la même peine dont cet auguste corps avait flétri le destructeur de la patrie."
Cicéron, Discours de Cicéron pour sa maison, XLIII :"Et vous, Q. Catulus, c'est au père maintenant que je m'adresse, la maison de M. Fulvius, qui avait été beau-père de votre frère, a été convertie par vous en un monument de vos victoires, afin que le souvenir de l'ennemi de l'État fût pour jamais effacé. Si, lorsque vous éleviez ce superbe portique, on vous eût dit qu'un temps viendrait où un tribun du peuple, au mépris du sénat et de tous les gens de bien, abattrait, renverserait votre édifice immortel, non-seulement à la vue des consuls, mais avec leur aide et leur secours, et qu'au terrain consacré par vous il joindrait la maison d'un citoyen, qui, revêtu du consulat, aurait, sans autres armes que l'autorité du sénat, sauvé la république ; n'eussiez-vous pas répondu que rien de tel n'était possible qu'après la destruction de Rome ?"
Cicéron, Plaidoyer pour M. Celius, XXXII :"Je vous conjure donc, juges, et je demande en grâce que dans une ville où l'on vient d'absoudre Sext. Clodius, que vous avez vu pendant deux ans le ministre ou le chef de la sédition; qui, de ses propres mains, a livré aux flammes les temples sacrés, le dépôt des registres publics et du dénombrement du peuple romain ; un homme sans biens, sans honneur, sans espoir, sans asile, sans ressource, dont la bouche, la langue, les mains et la vie entière sont souillées d'opprobres ; qui a renversé le monument de Catulus, détruit ma maison, brûlé celle de mon frère ; qui sur le mont Palatin, aux yeux de tous les habitants de Rome, a excité les esclaves à y porter le fer et la flamme :oui, je demande en grâce que dans cette ville où Sext. Clodius vient d'être absous par le crédit d'une femme, Caelius ne soit pas sacrifié à la vengeance de cette même femme, pour qu'on ne dise pas qu'une incestueuse, après avoir soustrait au glaive des lois le plus infâme des brigands, a eu encore le pouvoir de perdre un jeune homme que tant de qualités honorent."
Cicéron, Tusculanes, V, 19 :"Jugez-vous que Marius fût moins heureux, quand il partagea généreusement la gloire de la défaite des Cimbres avec Catulus son collègue, qui était presque un autre Laelius, tant il lui ressemblait ; que quand, fier de ses succès, après la guerre civile, et plein de ressentiment contre le même Catulus, il répondit plus d'une fois à ceux qui intercédaient pour lui : - Qu'il meure - ?"
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XXXVIII, 2 :"Quintus Lutatius Catulus, qui avait remporté un triomphe éclatant sur les Cimbres, et qui était très aimé de ses concitoyens, fut publiquement accusé d'un crime capital par un tribun. Redoutant le danger d'une fausse accusation, il se rendit auprès de Marius et implora son secours. Marius avait été autrefois l'ami de Lutatius, mais devenu alors son ennemi, à cause des soupçons qu'il avait conçus contre lui, il ne répondit que par ces mots : - Il faut mourir ! - Catulus, désespérant de son salut, et voulant mourir sans recevoir d'outrages, termina ses jours par un moyen tout particulier. Il se renferma dans une chambre fraîchement peinte, et, ajoutant aux émanations de la chaux par du feu et de la fumée, il s'asphyxia par la respiration d'un air corrompu."
Eutrope, Abrégé de l'Histoire romaine, V, 1 :"Cependant les Cimbres et les Teutons, dont les troupes étaient encore considérables, passèrent en Italie. C. Marius et Q. Catulus les combattirent de nouveau, mais avec plus d'avantage du côté de Catulus ; car, dans la bataille que leur livrèrent ensemble les deux consuls, on leur tua, soit dans l'action, soit dans la fuite, cent quarante mille hommes, et l'on en prit soixante mille. Des deux armées romaines, il ne périt que trois cents soldats. Trente-trois drapeaux furent enlevés aux Cimbres, deux par l'armée de Marius et trente-un par celle de Catulus. Ainsi finit cette guerre ; on décerna le triomphe aux deux généraux."
Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, III, 4 :"Aussi l'ardeur des combattants fut-elle si grande, et on massacra tellement d'ennemis que dans la rivière ensanglantée les Romains victorieux ne burent pas moins de sang que d'eau. Le roi Teutobodus lui-même, habitué à sauter successivement sur quatre ou six chevaux, put à peine en monter un pour s'enfuir. Il fut pris dans un bois voisin et constitua le plus beau spectacle du triomphe. Sa taille gigantesque s'élevait au-dessus des trophées conquis sur lui."
Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marius, 23 :"Après la bataille, Marius ayant choisi parmi les armes et les dépouilles des Barbares les plus belles, les mieux conservées, les plus propres à relever la pompe de son triomphe, fit entasser tout le reste sur un grand bûcher, et en fit aux dieux un sacrifice magnifique. Toute son armée environnait le bûcher, couronnée de laurier : lui-même, vêtu de pourpre et ceint à la romaine, prit un flambeau allumé, et, l'élevant de ses deux mains vers le ciel, il allait mettre le feu au bûcher, lorsqu'on vit venir à toute bride quelques-uns de ses amis, dont l'arrivée fit faire un grand silence, dans l'attente des nouvelles qu'ils apportaient. Dès qu'ils furent près de Marius, ils sautèrent à terre, et courant l'embrasser, ils lui annoncèrent qu'il était consul pour la cinquième fois, et lui remirent les lettres qui lui annonçaient sa nomination. La joie vive que causa cette nouvelle mit le comble à celle qu'on ressentait déjà d'une si grande victoire. Toute l'armée témoigna le plaisir qu'elle en avait par des cris de triomphe, qu'elle accompagna du bruit guerrier des armes ; et les officiers ayant de nouveau couronné Marius de laurier, il mit le feu au bûcher, et acheva le sacrifice."
Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marius, 28 :" Les soldats de Marius pillèrent le bagage : mais les dépouilles, les étendards et les trompettes furent portés, dit-on, au camp de Catulus : ce qu'il allégua comme une preuve certaine que la victoire était son ouvrage. Il s'éleva à cette occasion une vive dispute entre ses troupes et celles de Marius ; afin de la terminer à l'amiable, on prit pour arbitres les ambassadeurs de Parme, qui étaient alors au camp. Les soldats de Catulus les menèrent au milieu des morts restés sur le champ de bataille, et leur firent voir qu'ils étaient tous percés de leurs piques ; il était facile de les reconnaître, parce que Catulus avait fait graver son nom sur les bois des piques de tous ses soldats. Cependant on fit honneur à Marius de ce succès, soit à cause de sa première victoire, soit par égard pour sa dignité. Le peuple même lui donna le titre de troisième fondateur de Rome, parce qu'il avait délivré sa patrie d'un aussi grand danger que celui dont les Gaulois l'avaient autrefois menacée. Lorsque les Romains, au milieu de leurs femmes et de leurs enfants, se livraient dans leurs repas domestiques aux transports de la joie la plus douce, ils offraient à Marius, en même temps qu'à leurs dieux, les prémices de leurs mets, et lui faisaient les mêmes libations ; ils voulaient ne décerner qu'à lui seul les deux triomphes ; mais il refusa de triompher sans Catulus ; il crut devoir se montrer modeste dans une si grande prospérité : peut-être aussi craignait-il les soldats de Catulus, bien déterminés, si l'on privait leur général de cet honneur, de s'opposer au triomphe de Marius."
Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marius, 48 :"Catulus Lutatius, celui qui avait été collègue de Marius au consulat, et avait partagé avec lui les honneurs du triomphe, employa ses amis pour intercéder auprès de Marius ; mais ils n'en purent tirer que cette parole. terrible : - Il faut qu'il meure -. Catulus s'enferma dans une chambre, et y fit allumer un grand brasier, dont la vapeur l'étouffa. Les corps de ceux à qui l'on avait coupé la tête étaient jetés dans les rues, et foulés aux pieds ; et cette vue, au lieu d'exciter la compassion, glaçait tous les cours d'effroi."
Tite-Live, Histoire romaine (Periochae), LXVIII :"Mais Catulus et C. Marius parviennent à opérer leur jonction. Ils livrent la bataille et la gagnent. Cent quarante mille ennemis restent, dit-on, sur le champ de bataille ; soixante mille sont faits prisonniers. Marius est reçu aux applaudissements de toute la ville ; on lui offre deux triomphes ; il se contente d'un seul. Les nobles, qui d'abord n'avaient pu voir, sans jalousie, un homme nouveau élevé à de si grands honneurs, avouent eux-mêmes qu'il a sauvé la république."
Valère Maxime, Faits et dits mémorables, VI, 3, 1c :"La haine si vive que les anciens avaient naturellement à l'égard des ennemis de la liberté se manifestait par la destruction des murs et des toits où les coupables avaient vécu. Aussi après avoir massacré M. Flaccus et L. Saturninus, les plus séditieux des citoyens, on renversa leurs maisons de fond en comble. (Ans 632, 653.) Quant à la place occupée par celle de Flaccus, après être restée longtemps vide en souvenir de son châtiment, elle fut ornée des dépouilles des Cimbres par Q. Catulus."
Valère Maxime, Faits et dits mémorables, IX, 12, 4 :"Avec plus de force d'âme le général Q. Catulus eut une fin plus tragique. Le sénat l'avait associé à C. Marius dans le triomphe des Cimbres. Par la suite, pour des dissentiments politiques, il reçut du même Marius l'ordre de mourir. Il fit chauffer à grand feu une chambre enduite de chaux vive, s'y enferma et s'y laissa périr. L'affreuse mort à laquelle il fut réduit est la plus grande tâche qui souille la gloire de Marius. (An de R. 666.)"
Varron, De l'agriculture, III, 5 :"Ce sentier conduit à un tholus, espèce de salon en rotonde, entouré de deux rangs de colonnes isolées. Il en existe un semblable dans la maison de Catulus, si ce n'est que des murs pleins remplacent la colonnade."