Le contentieux relatif aux fortifications de Segeda [automne-hiver -154]
Le contentieux relatif aux fortifications de Segeda (automne-hiver 154 av. J.-C.)
Au terme des campagnes de Tiberius Sempronius Gracchus contre les Celtibères (180-179 av. J.-C.), le consul imposa aux populations vaincues un traité, qui les contraignaient notamment à ne plus édifier de nouvelles villes, à verser un tribut annuel à Rome et à fournir à cette dernière des contingents militaires. Certaines populations bénéficièrent cependant d'exemptions, portant sur les deux dernières exigences, parmi lesquelles les Segedenses, l'une des composantes des Bèles.
Durant l'année 154 av. J.-C., les Segedenses installèrent en périphérie de leur ville plusieurs populations du voisinage et engagèrent d'importants travaux de fortification autour de leur ville, Segeda (El Poyo de Mara, Mara, province de Saragosse, Espagne). Ces travaux, mais également ces déplacements de populations parurent suspects, et rapidement, le Sénat romain en eut vent et réagit (Appien, Ibérique, IX, 44 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XXXI, 39).
Dés l'automne 154 av. J.-C., espérant tuer tout projet de révolte dans l'oeuf, le Sénat délégua des commissaires auprès des Segedenses afin de les rappeler à l'ordre et exiger d'eux la démolition de l'enceinte. En outre, plusieurs contraintes supplémentaires leurs furent imposées, telles que le versement d'un tribut et la fourniture d'un contingent militaire. Les Segedenses, dont Cacyrus, l'un de leurs anciens, dénoncèrent ces mesures sans tarder. Tout d'abord, ils rétorquèrent que l'accord conclu avec Tiberius Sempronius Gracchus leur interdisait d'édifier de nouvelles villes, et non d'agrandir une ville existante. En outre, ils rappelèrent que ce même Gracchus les avait exempté du versement du tribut et de la fourniture d'un contingent. À nouveau, le Sénat leur fit savoir que les exemptions dont ils avaient bénéficié dans le cadre de ce traité, étaient une disposition qui pouvait être remise en cause selon le bon vouloir des Romains. Le Sénat fut particulièrement agacé par cette situation, considéra le traité comme rompu et dépêcha le préteur Quintus Fulvius Nobilior à la tête d'une armée de 30000 hommes (Appien, Ibérique, IX, 44 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XXXI, 5).
Cette intervention ne ramena pas la paix, bien au contraire. Le conflit qui prit naissance à cette occasion déstabilisa l'ensemble de la Celtibérie et inaugura la deuxième guerre celtibère (153-151 av. J.-C.).
Sources littéraires anciennes
Appien, Ibérique, IX, 44 :"Quelques années plus tard, une autre guerre importante éclata en Espagne pour la raison suivante : Segeda, une grande et puissante ville d'une tribu des Celtibères appelée Belli, fut incluse dans les traités conclus par Gracchus. Elle persuada certaines des villes plus petites de s'établir dans son propre territoire, et ensuite, s'entoura d'un mur de quarante stades de circonférence. Elle força également les Titthi, une tribu voisine, de s'associer à l'entreprise. Quand le Sénat apprit cela, il fit interdire la construction du mur, exigea le tribut imposé par Gracchus, et ordonna aux habitants de fournir un contingent pour l'armée romaine, parce que c'était l'une des conditions du traité conclu avec Gracchus. Pour le mur, ils répondirent que Gracchus avait interdit aux Celtibères de construire de nouvelles villes, mais non d'accroître celles qui existaient. Quant au tribut et au contingent militaire, ils dirent qu'ils en avaient été exemptés par les Romains eux-mêmes après le départ de Gracchus. C'était vrai, mais le Sénat, en accordant ces exemptions, ajoutait toujours qu'elles ne perduraient que selon le bon plaisir du peuple romain."
Appien, Ibérique, IX, 45 :"C'est pourquoi le préteur Nobilior fut envoyé contre elles avec une armée de presque trente mille hommes. Quand les Ségédéens apprirent son arrivée, leur mur n'étant pas encore fini, ils se sauvèrent avec leurs épouses et leurs enfants chez les Arévaques, et demandèrent à ces derniers de les recevoir. Les Arévaques acceptèrent et choisirent pour général un Ségédéen appelé Carus, qu'ils considéraient comme un homme de guerre. Le troisième jour après son élection, il plaça vingt mille fantassins et cinq cents cavaliers en embuscade dans une forêt dense et tomba sur les Romains pendant qu'ils la traversaient. La bataille resta indécise pendant longtemps, mais à la fin, il remporta une splendide victoire, massacrant environ six mille citoyens romains. Ce grand désastre fut ressenti douloureusement à Rome. Mais alors qu'il était engagé dans une poursuite désordonnée après la victoire, les cavaliers romains, qui gardaient les bagages, tombèrent sur lui et tuèrent Carus lui-même, malgré ses prodiges de bravoure, ainsi que six mille hommes avec lui. La nuit mit finalement un terme au conflit. Ce désastre se produisit le jour où les Romains ont l'habitude de célébrer la fête de Vulcain. C'est pourquoi, depuis cette époque, aucun général ne peut engager ce jour-là un combat de son plein gré."
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XXXI, 39 :"Il y avait en Celtibérie une petite ville du nom de Végéda ; comme elle avait pris beaucoup d'accroissement, on résolut de l'agrandir. Le sénat, jaloux de cet agrandissement, envoya des commissaires pour empêcher les constructions, conformément au traité qui portait, entre autres, que les Celtibériens, pour construire une ville, devaient demander la permission des Romains. Un des anciens, nommé Cacyrus, répondit qu'en effet le traité les empêchait de construire des villes, mais qu'il ne leur défendait pas de les agrandir; qu'ils n'avaient pas l'intention de fonder une ville nouvelle, mais de donner plus d'étendue à celle qui existait; qu'il n'agissait donc pas contre le traité ni contre le droit commun ; que d'ailleurs ils étaient prêts à obéir aux Romains et à leur fournir des secours en cas de besoin, mais qu'en aucune façon ils ne renonceraient à leur construction. Cet avis fut sanctionné par le peuple, et les envoyés le rapportèrent au sénat. Celui-ci rompit le traité et recommença la guerre."