Hannibal prend Clastidium (novembre / décembre 218 av. J.-C.)
Le ralliement manif des Gaulois à la cause punique contraignit Publius Cornelius Scipio à faire reculer ses troupes au-delà de la Trébie, sur des positions les rendant invulnérables aux attaques de cavalerie (Polybe, Histoire générale, III, 68). Hannibal détacha sa cavalerie pour attaquer l'arrière-garde romaine et prendre possession des territoires situés entre la Trébie et le Pô, soit le territoire des Anares. Il était néanmoins dans l'incapacité d'attaquer dans la foulée les positions romaines, tant son armée peinait à se ravitailler (Polybe, Histoire générale, III, 68 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 48).
Le recul de Publius Cornelius Scipio exposa Clastidium (Casteggio), principale ville des Anares, où les Romains avaient installé d'importants magasins de blé depuis 223 av. J.-C.. Dans ces circonstances, Hannibal décida d'attaquer en priorité cette ville, pour approvisionner ses troupes. Contre toute attente, Dasius de Brindes, commandant de la garnison de Clastidium, se laissa corrompre sans difficulté (contre 400 écus d'or) et livra la ville aux Carthaginois (Polybe, Histoire générale, III, 69 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 48). La garnison fut faite prisonnière et très bien traitée, puis libérée, ce qui permit aux Carthaginois de conclure une alliance avec les magistrats de Clastidium, et certainement avec l'ensemble des Anares (Polybe, Histoire générale, III, 69).
Malgré ces déconvenues, le vent sembla tourner en faveur des Romains. En effet, le Sénat intima l'ordre au consul Tiberius Sempronius Longus de quitter Ariminum (Rimini), pour rejoindre son collègue Publius Cornelius Scipio, sur les bords de la Trébie. Ce secours permit aux Romains de stabiliser ponctuellement le front (Polybe, Histoire générale, III, 68 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 51). Au même moment, l'alliance que venaient de conclure les Carthaginois vola en éclat, puisqu'il apparut rapidement que les Anares jouaient un double-jeu.
Polybe, Histoire générale, III, 68 :"Annibal, à la nouvelle de ce mouvement, fit aussitôt partir sa cavalerie numide, puis tous les autres escadrons, et bientôt se mit en marche lui-même à la tête de son armée. Les Numides entrèrent dans le camp, qu'ils trouvèrent désert, et y mirent le feu. Cette circonstance servit merveilleusement les Romains. Si l'ennemi, dans sa poursuite, eût atteint leurs bagages, pressés en rase campagne par la cavalerie, ils auraient perdu beaucoup de soldats. Mais ils eurent le temps de franchir la Trébie ; quelques soldats seulement de l'arrière-garde furent surpris ; on tua les uns, on fit les autres prisonniers. Publius, après avoir passé la rivière, s'établit sur les collines les plus voisines, entoura son camp d'un retranchement et d'un fossé, et attendit l'arrivée de Tibérius et de ses troupes. Dans l'intervalle, il s'occupa de guérir sa blessure, afin de figurer, s'il le pouvait, dans la prochaine bataille. Pour Annibal, il plaça son camp à quarante stades des ennemis, et les Gaulois, qui habitaient la plaine, dès lors unis aux Carthaginois, leur fournirent en abondance les provisions nécessaires, prêts à partager avec eux leurs travaux et tous les périls. A Rome, quand on connut les détails du récent engagement de cavalerie, le premier mouvement fut la surprise, tant le dénouement de cette affaire était imprévu ; mais on trouva mille raisons pour ne pas accepter ce combat comme une défaite. On accusa la précipitation du général, la mauvaise volonté des Gaulois devenue assez manifeste par leur récente défection. Enfin, tant que l'infanterie était debout, debout aussi, pour ainsi dire, devaient être les espérances : telle était l'opinion générale. Aussi, quand Tibérius fut arrivé, et que suivi de ses légions il traversa Rome, on s'imagina que la vue seule d'une telle armée déciderait de l'issue de la lutte. Chemin faisant, Tibérius ramassa dans Ariminum les soldats qui avaient juré de s'y trouver, et poussa en avant, pressé de s'unir à Publius. Dès qu'il l'eut rejoint, il s'établit dans un camp auprès de lui, et rafraîchit ses troupes qui depuis Lilybée jusqu'à Ariminum avaient marché durant quarante jours. Il s'occupa en même temps de faire tous les préparatifs nécessaires à un combat, et visita souvent Publius, tantôt l'interrogeant sur le passé, tantôt délibérant avec lui sur l'avenir"
Polybe, Histoire générale, III, 69 :"En ce moment Annibal, grâce à quelques secrètes manoeuvres, reçut les clefs de Clastidium des mains d'un habitant de Brindes, qui en était gouverneur pour les Romains. Devenu maître de la garnison et des nombreuses provisions de blé rassemblées dans la place, il distribua des vivres à ses troupes, et renvoya les soldats captifs sans leur faire aucun mal ; il voulait par là donner un exemple de sa future conduite, pour que les Gaulois, que les circonstances avaient tenus dans le parti des Romains, n'allassent pas par crainte, désespérer de sa clémence. Enfin, il récompensa le traître magnifiquement, afin de gagnera ses intérêts les chefs des villes."
Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 48 :"Hannibal ne fut point trompé comme au Tessin ; il détacha d'abord les Numides, puis tous ses cavaliers, qui certes auraient jeté le trouble dans l'arrière-garde romaine, si, trop avides de butin, les Numides ne se fussent répandus dans le camp abandonné. Tandis qu'attentifs à fouiller çà et là, ils perdent les instants en recherches presque infructueuses, l'ennemi leur échappe des mains, ils le voient qui a passé la Trébie, et qui assoit son camp ; quelques traînards seulement, arrêtés en deçà du fleuve, tombent sous leurs coups. Le consul, hors d'état de supporter un second déplacement, à cause des souffrances qu'il venait d'éprouver, et résolu d'ailleurs à attendre son collègue, qu'il savait rappelé de la Sicile, choisit, près de la rivière, l'endroit qui lui parût le plus convenable pour former des lignes stationnaires, et les fortifia avec beaucoup de soin. Hannibal s'arrêta à peu de distance : mais, si la victoire de sa cavalerie lui avait inspiré de l'orgueil, il cédait à la crainte de la disette, de jour en jour plus affreuse dans une armée engagée sur le territoire ennemi, sans vivres, sans provisions ; il envoie donc un parti du côté de Clastidium, où les Romains avaient de nombreux magasins de blé. Le bourg allait être attaqué, lorsqu'on eut l'espoir de réussir par la trahison ; elle ne se fit point payer chèrement ; quatre cents écus d'or suffirent pour gagner Dasius de Brindes, commandant de la garnison, qui livra la place à Hannibal. Les Carthaginois trouvèrent là des approvisionnements, tant qu'ils restèrent sur la Trébie. La garnison prisonnière ne fut en rien traitée avec rigueur ; Hannibal voulait, dans les commencements de son entreprise, s'attirer une réputation de clémence."
Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 51 :"À son arrivée à Lilybée, le consul congédia le roi Hiéron et sa flotte; et, après avoir laissé un préteur pour défendre les côtes de la Sicile, il passa en personne dans l'île de Malte, alors au pouvoir des Carthaginois. À peine avait-il mis pied à terre, qu'on lui livra Amilcar, fils de Gisgon, commandant des troupes, avec un peu moins de deux mille soldats, la place et l'île entière. Quelques jours après, il revint à Lilybée; et, là, tous les prisonniers faits par le consul ou par le préteur furent vendus à l'encan, à l'exception des personnages d'une naissance illustre. Lorsque Sempronius crut avoir assez pourvu, de ce côté, à la sûreté de la Sicile, il se dirigea vers les îles de Vulcain, où il y avait, disait-on, une flotte carthaginoise ; mais il n'y trouva point un seul ennemi. Déjà, sans doute, ils étaient partis pour ravager les côtes de l'Italie, et leurs dévastations sur le territoire de Vibo avaient jeté la terreur au sein même de Rome. À l'instant où le consul regagnait la Sicile, il reçoit la nouvelle de leur descente, et une lettre du sénat, qui lui apprend l'arrivée d'Hannibal en Italie, et l'appelle au plus tôt au secours de son collègue. Agité de tant d'inquiétudes diverses, il fait sur-le-champ embarquer l'armée, qu'il envoie à Ariminum par la mer supérieure; il charge le lieutenant Sextus Pomponius, à qui il laisse vingt-cinq vaisseaux longs, de veiller à la défense du territoire de Vibo et de la côte maritime de l'Italie ; il complète au préteur Marcus Aemilius une flotte de cinquante bâtiments. Après toutes ces dispositions en Sicile, lui-même, avec dix navires, longe la côte de l'Italie, pour se rendre à Ariminum : de là, il s'avance avec son armée vers la Trébie, et vient se joindre à son collègue."