Les sacrifices de couples de Gaulois et de Grecs au Forum Boarium
Les sacrifices de couples de Gaulois et de Grecs au Forum Boarium.
Les auteurs gréco-romains avaient coutume de souligner la barbarie des Celtes, notamment, en mettant en avant le maintien, chez eux, de pratiques religieuses accompagnées par l'immolation de victimes humaines (Cf. fiche : Les sacrifices humains chez les Celtes). Certains de ces auteurs ne parvinrent néanmoins pas à taire l'existence de sacrifices humains à Rome, d'une nature très singulière. Plusieurs sources antiques concordantes attestent du fait que pour apaiser leurs dieux, les Romains eurent parfois recours au sacrifice de couples de Gaulois et de Grecs, lesquels étaient enterrés vivants au forum Boarium, le "marché aux boeufs" (Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marcellus, III ; Questions romaines, 83 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXII, 57 ; Minucius Felix, Octavius, XXIX ; Pline, Histoire naturelle, XXVIII, 12 et Dion Cassius, Histoire romaine, I, fragment 159). Cette tradition est d'autant plus surprenante que, sur un plan théorique, les sacrifices humains n'existaient plus à Rome et ce de longue date.
• La première abolition des sacrifices humains
Le lieu où se tenait ce sacrifice ne devait certainement rien au hasard. En effet, le forum Boarium était dominé par un temple dédié à Hercule Victor, édifié dans la deuxième moitié du IIe s. av. J.-C. par Hermodore de Salamine. Selon la tradition, ce marché tirait son nom du fait que Hercule aurait laissé petre paisiblement les boeufs dérobés à Géryon sur ce terrain, pendant qu'il se reposait près du Tibre. Ceci attira la convoitise de Cacus, un géant tricéphale, fils de Vulcain (et collectionneur de têtes humaines), qui ne tarda pas à enlever quelques bêtes. Les deux demi-dieux s'affrontèrent dans un combat qui tourna en faveur d'Hercule, lequel sacrifia alors à Jupiter Inventor. En remerciement pour avoir délivré la région de ce demi-dieu pillard, le roi Évandre de Pallantée lui consacra un autel dans ce secteur, lequel fut à l'origine du culte rendu à Hercule Victor. C'est au cours de ce même passage d'Hercule à l'emplacement de la future Rome que, selon Denys d'Halicarnasse (Antiquités romaines, I, 38, 2-3) et Macrobe (Saturnales, I, 7), les sacrifices humains prirent fin. En effet, les ancêtres des Romains apaisaient jusqu'alors le dieu Saturne en lui sacrifiant des victimes humaines. Hercule apprit aux Romains à substituer les victimes humaines par des simulacres. Pour Denys d'Halicarnasse (Antiquités romaines, I, 38, 2-3), ce sont des mannequins qui furent dés lors utilisés et précipités pieds et poings liés dans le Tibre aux ides de Maius, soit le 15 mai (rituel toujours d'actualité de son temps). Pour Macrobe (Saturnales, I, 7), les têtes humaines offertes traditionnellement à Dis Pater (Pluton) furent remplacées par des simulacres, et les victimes destinées à Saturne, par des flambeaux, substitution facilitée selon lui, par l'usage du mot φῶτα signifiant tout autant "homme" que "flambeau".
• Le rétablissement, puis la seconde abolition des sacrifces humains
À plusieurs occasions, la tentation fut néanmoins grande de les rétablir, comme en témoigne le légendaire dialogue entre le roi Numa Pompilius (716-673 av. J.-C.) et Jupiter, retranscrit par Ovide (Fastes, III, 329-345) et Plutarque (Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Numa, XV, 5), dans lequel le roi trouve des moyens détournés pour honorer ce dieu, sans céder à son exigence de têtes humaines. Macrobe ajoute que les sacrifices humains furent rétablis du temps de Tarquin le superbe (535-509 av. J.-C.) en l'honneur des Lares et de la déesse Mania, puis de nouveau remplacés par des simulacres sur ordre du consul Lucius Iunius Brutus. En effet, le fondateur de la République romaine (509 av. J.-C.) recommanda de substituer les têtes humaines par des têtes d'ail et de pavot pour satisfaire l'oracle d'Apollon (Saturnales, I, 7).
Dans sa synthèse, F. Van Haeperen (2008) souscrit à l'idée que la substitution de victimes humaines par des simulacres était un élément constitutif de la religion romaine, consistant à interprêter les paroles du dieu dans un sens favorable aux Hommes. Ceci explique donc la répugnance des auteurs romains quant à ces pratiques et renvoyaient les peuples qui s'y livraient au rang de "barbares". Dans ces ciirconstances, comment expliquer le retour de sacrifices humains à l'époque républicaine ? Dans quel contexte eurent-ils lieu ?
• L'ensevelissement de couples de Gaulois et de Grecs
Alors que la menace gauloise se fit plus pressente, des sacrifices humains d'un nouveau genre firent leur apparition à Rome. Confrontés à des dangers imminents, les Romains prirent l'habitude de tenter de conjurer la menace en etterrant vivants des couples de Gaulois et de Grecs au forum Boarium. Le fait que ces sacrifices aient eu lieu à l'endroit même où Hercule abolit les sacrifices humains ne doit très certainement rien au hasard, mais les sources antiques ne permettent pas de saisir les raisons de cette singularité. Dans quel cadre eurent lieu ces sacrifices ? Comment était prise la décision de procéder à de tels sacrifices ?
En 226 av. J.-C., la menace que les Gaulois faisaient peser sur Rome était telle que les magistrats romains chargèrent des prêtres de consulter les oracles conservés dans les livres sibyllins. De l'avis de Dion Cassius, l'un des oracles aurait indiqué qu'"un Grec et un Gaulois s'empareront de Rome" (Histoire romaine, I, fragment 159). Compte-tenu du contexte, cet oracle conservé dans les livres sibyllins fut perçu comme une menace exceptionnelle, ce qui justifia le recours à des sacrifices tout aussi exceptionnels pour conjurer le sort. Ainsi, un premier sacrifice de ce genre eut lieu en novembre 226 av. J.-C. (Plutarque, Vies des hommes illustres : Vie de Marcellus, III ; Dion Cassius, Histoire romaine, I, fragment 159 ; 163 ; Orose, Histoires contre les païens, IV, 13, 3-4). Après le désastre subi par les Romains lors de la bataille de Cannes (2 août 216 av. J.-C.), deux vestales se laissèrent séduire, manquant ainsi à leur devoir de chasteté. Cet évènement exceptionnel était de sombre présage, si bien que Quintus Fabius Pictor fut dépêché auprès de l'oracle de Delphes, pour déterminer la manière d'échapper au mauvais sort ; une nouvelle fois, le recours à des sacrifices humains fut recommandé pour apaiser les dieux, et plus particulièrement Apollon Pythien. Un second sacrifice de ce genre eut donc lieu en août 216 av. J.-C. (Plutarque, Vies des hommes illustres : Fabius Maximus, XIX ; Tite-Live, Histoire romaine, XXII, 57 ; XXIII, 11). Nous avons par Pline, qu'un troisième sacrifice de ce genre eut lieu en 145-144 av. J.-C., lorsque la vestale Tuccia fut accusée également accusée de s'être compromise avec un homme. Dans le récit de Pline, il n'est pas fait mention de la consultation des livres sibyllins, mais uniquement de la prière prononcée par le premier des quindecimvirs (Histoire naturelle, XXVIII, 12). Enfin, un dernier sacrifice de ce genre est attesté en 114-113 av. J.-C.. Une femme fut retrouvée morte foudroyée, ce qui fut perçu comme la conséquence du fait que des vestales avaient une nouvelle fois manqué à leur devoir de chasteté. Plusieurs hommes furent dénoncés pour avoir séduit trois vestales, et tous furent suppliciés. Pour conjurer ce mauvais sort, les livres sibyllins furent de nouveau consultés, et une nouvelle fois les decemvirs prescrivirent le fait de recourir au sacrifice d'un couple de Grecs et d'un couples de Gaulois pour appaiser les dieux (Plutarque, Questions romaines, 83 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXX, Fragment 63).
De l'avis des auteurs antiques, les Romains se trouvèrent contraints à de telles extrémités par des prodiges et autres évènements exceptionnels. Dans leurs récits, la gène est plus que palpable. Ainsi, l'enterrement rituel de couples de Gaulois et de Grecs au Forum Boarium fut qualifié par Tite-Live de minime romano sacro "cérémonie religieuse bien peu romaine" (Histoire romaine, XXII, 57). Comment faut-il interpréter ce passage de Tite-Live ? Signifie-t-il que ce rituel a été importé à Rome ou que celui-ci était marginal ? Plutarque précise qu'il était impi de sacrifier des êtres humains aux dieux, mais précise que les livres sibyllins ordonnèrent cependant ce type de sacrifice en l'honneur de Génies (Questions romaines, 83). Il est fort probable que d'autres sacrifices de ce genre eurent lieu, sans que les historiens de l'antiquité n'aient souhaité en conserver le souvenir. En effet, nous savons par Pline que de tels sacrifices eurent encore lieu à son époque, dans la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C. (Histoire naturelle, XXVIII, 12), et que dans la Vies des hommes illustres, après avoir évoqué ces pratiques, Plutarque indiquait que de son temps (transition du Ier et du IIe s. ap. J.-C.), au cours du mois de novembre, les Romains faisaient encore des sacrifices secrets, auquels le peuple ne pouvait assister (Vies des hommes illustres : Vie de Marcellus, III).
De nombreuses interprétations ont été proposées par les historiens modernes, que F. Van Haeperen (2008) estime être complémentaires. Il s'agissait d'un rite d'anéantissement des ennemis contre lesquels il convenait de protéger Rome et ce, bien que Grecs et Gaulois ne furent jamais en conflit simultanément avec les Romains. Selon ce point de vue, Grecs et Gaulois représentaient tout autant les deux grands ennemis du passé légendaire ou semi-légendaire de Rome. À l'aune du travail d'A. Fraschetti (1981), ce rite symbolisait l'expulsion du monde des vivants de ces personnes, livrées au monde des morts et de ses divinités. En outre, compte-tenu du conexte qui se dessine dans le récit de ces différents sacrifices, il s'agissait d'un rite visant à expier un prodige, après la consultation des livres sibyllins, consistant à détourner Rome d'un danger extérieur perçu comme imminent.
• Les sacrifices humains pratiqués par les Romains : des rites rares, mais pas exceptionnels.
Les sources antiques montrent qu'à différents reprises, d'autres sacrifices humains furent pratiqués dans le cadre de la religion publique. Ainsi, dans les différentes affaires mentionnées précédemment, il faut noter que lorsque des prodiges annonceurs de calamités furent décelés, des vestales furent systématiquement accusées d'en être responsables et les fautives furent également ensevelies vives. A. Fraschetti (1981) et F. Van Haeperen (2008) indiquent que les crimes qui leur étaient reprochés nécessitaient de restaurer la pax deorum par de tels sacrifices. Toutefois, ces mêmes auteurs observent que les auteurs antiques ne qualifient jamais ces rites de "sacrifices" et réservent cette désignation pour le seul ensevelissement de couples d'étrangers. Dans ce cas, il s'agissait de la peine encourue pour un crime, au terme d'un procès. Plusieurs témoignages antiques font également état du sacrifice par immersion des hermaphrodites, attesté entre le IIIe et le Ier s. av. J.-C., encore une fois sans désigner ce rite comme un "sacrifice". La naissance d'un enfant hermaphrodite était perçue en elle-même comme un prodige, qu'il convenait d'expier, une fois encore, pour restaurer la pax deorum (Van Haeperen, 2008). Aussi, les sources chrétiennes et un texte d'un auteur néoplatonicien font état de sacrifices humains effectués annuellement par les Romains lors des jeux organisés pour Jupiter Latiaris. Les travaux contemporains ont tendance à douter de la véracité de ces témoignages.
En effet, nous savons par Pline qu'un sénatus-consulte fut rendu au cours du consulat de Cnaeus Cornelius Lentulus et de Publius Licinius Crassus (97-96 av. J.-C.) pour interdir les sacrifices humains. Les sacrifices en question n'avaient visiblement plus rien d'officiel, puisque Pline les assimilaient à de simples "traces de la magie" affectant encore l'Italie (Histoire naturelle, XXX, 12). F. Van Haeperen (2008) indique que les sacrifices relatés par Pline étaient très certainement accomplis dans le cadre de pratiques magiques qui relevaient de la sphère privée.
Sources littéraires anciennes
Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 38, 2-3 :"On dit aussi que les anciens sacrifiaient des victimes humaines à Saturne, comme on le faisait à Carthage tant que dura cette ville et comme on le fait encore aujourd'hui chez les Gaulois et chez certaines autres nations occidentales, et que Hercule, désirant supprimer l'usage de ce sacrifice, érigea un autel sur la colline de Saturne et inaugura les rites du sacrifice avec des victimes sans taches brûlant sur un feu pur. Et afin que le peuple ne puisse ressentir aucun scrupule pour avoir négligé ses sacrifices traditionnels, il lui apprit à apaiser la colère du dieu en fabriquant des simulacres d'hommes qu'ils jetaient dans le Tibre liés par les mains et les pieds, et ils les habillaient la même manière qu'eux. Hercule lui apprit aussi à les jeter dans le fleuve au lieu des hommes, pour que la crainte superstitieuse habitant tout leur esprit en fut extirpée, puisque l'apparence du rite ancien était préservée. C'est ce que les Romains continuaient à faire chaque année à mon époque après l'équinoxe du printemps, en mai, lors de ce qu'ils appellent les Ides (ils considèrent que ce jour marque le milieu du mois); ce jour, après avoir offert des sacrifices préliminaires selon les lois, les pontifes (c'est le nom qu'ils donnent au plus important de leurs prêtres), et avec eux les vierges qui gardent le feu perpétuel, les préteurs, et d'autres citoyens qui peuvent aussi être présent aux rites, jettent du pont Sacré dans le cours du Tibre trente simulacres fabriqués à la ressemblance des hommes, qu'ils appellent Argées."
Dion Cassius, Histoire romaine, I, fragment 159 :"Sous le consulat de Fabius Maximus Verrucosus, les Romains, et non les Dauniens, enterrèrent tout vivants, au milieu du forum, un Grec et une Grecque, un Gaulois et une Gauloise, par la crainte d'un oracle qui avait dit : un Grec et un Gaulois s'empareront de Rome."
Macrobe, Saturnales, I, 7 :"Ayant donc aperçu ce prodige, les Pélasges reconnurent le pays qui leur avait été prédit ; ils dépouillèrent les habitants de la Sicile, s'emparèrent de leur pays ; et, après avoir consacré la dixième partie de leur butin à Apollon, conformément à sa réponse, ils élevèrent à Dis Pater un petit temple, à Saturne un autel, et la fête de cette fondation fut appelée les Saturnales. On rapporte qu'ils crurent longtemps honorer Dis Pater en lui offrant des têtes d'hommes, et Saturne en lui offrant des victimes humaines, à cause de ces mots de l'oracle : " Offrez des têtes à Adès, et à son père des hommes ". Mais Hercule, passant par l'Italie en ramenant le troupeau de Géryon, persuada à leurs descendants de changer ces sacrifices funestes en d'autres plus propices, en offrant à Pluton, non des têtes d'hommes, mais de petits simulacres de têtes humaines, et en honorant les autels de Saturne, non par des sacrifices humains, mais en y allumant des flambeaux; attendu que le mot φῶτα signifie non seulement homme, mais aussi flambeau. De là vint la coutume de s'envoyer, pendant les Saturnales, des flambeaux de cire. [...] Ici, Albinus Caecina prit la parole : " Malgré cette permutation des sacrifices humains, que Praetextatus vient de mentionner tout à l'heure, je les retrouve, dit-il, postérieurement, durant les Compitales, pendant les jeux qu'on célébrait dans les carrefours de la ville, et rétablis par Tarquin le Superbe en l'honneur des Lares et de Mania, conformes à l'oracle d'Apollon, qui avait prescrit - d'intercéder pour les têtes avec des têtes -. Et en effet, durant un certain temps l'on immola des enfants pour le salut des familles à la déesse Mania, mère des Lares; sacrifices, qu'après l'expulsion de Tarquin, le consul Iunius Brutus ordonna qu'on célébrât d'une autre manière. Il prescrivit, qu'au lieu de commettre le crime d'une sacrilège immolation, on offrit des têtes d'ail et de pavot, pour satisfaire l'oracle d'Apollon sur le mot tête. La coutume s'établit, lorsqu'une famille était menacée de quelque danger, de suspendre pour le conjurer, l'effigie de Mania devant la porte de la maison. Et comme c'était dans les carrefours qu'on célébrait des jeux en son honneur, ces jeux prirent de là le nom de Compitalia. [...] ""
Minucius Felix, Octavius, XXIX :"Les Romains enterraient tout vifs en de certaines cérémonies un Grec et une Grecque, un Gaulois et un Gauloise. "
Orose, Histoires contre les païens, IV, 13, 3-4 :"Deux ans plus tard, les pontifes, puissants dans leur pouvoir de faire le mal, souillèrent la misérable ville par des rites sacrilèges. Les decemvirs, suivant la coutume née d'une ancienne superstition, enterrèrent vivants un homme et une femme gaulois et avec eux aussi une femme grecque au Marché aux bestiaux [Forum Boarium] à Rome. Mais ce recours à la magie, qui était obligatoire, produisit un effet contraire à celui recherché. Car un horrible massacre de leurs propres hommes expia la mort épouvantable de ces étrangers."
Ovide, Fastes, III, 329-345 :"On sait que les cimes de la forêt de l'Aventin ont tremblé, et que la terre s'est affaissée sous le poids de Jupiter : le coeur de Numa tressaille, de tout son corps le sang se retire, et ses cheveux hérissés se raidissent. Revenu à lui, il dit : " Fais-moi connaître les sacrifices sûrs qui conjurent la foudre, ô roi et père des dieux d'en haut, si ces mains qui ont touché tes tables d'offrande sont pures, si la langue qui fait cette demande est pieuse elle aussi ". Le dieu approuva sa prière mais il dissimula la vérité par d'énigmatiques détours et des paroles ambiguës. " Coupe une tête ", dit-il ; Numa lui répondit : " J'obéirai ; je ferai couper un oignon arraché dans mon jardin ". Le dieu précisa : " la tête d'un homme " ; " tu prendras ses cheveux ", dit le roi. Le dieu exige une vie ; " celle d'un poisson ", dit Numa. Le dieu rit et dit : " Sers-toi de ces moyens pour détourner mes traits, ô mortel qui ne crains pas de converser avec les dieux. Mais, demain, lorsque le dieu du Cynthe aura présenté son disque entier, je te donnerai un gage sûr de souveraineté "."
Pline, Histoire naturelle, XXVIII, 12 :?On conserve encore, comme un témoignage immense, la formule que les Décius, père et fils, prononcèrent en se dévouant. On a la prière récitée par la vestale Tuccia, lorsque, accusée d'Inceste, elle porta de l'eau dans un crible, l'an de Rome 609. Un homme et une femme, Grecs d'origine ou de quelqu'une des autres nations avec qui nous étions alors en guerre, ont été enterrés vivants dans le marché aux boeufs; et cela s'est vu même de notre temps. La prière usitée dans ce sacrifice, laquelle est récitée d'abord par le chef du collège des Quindécemvirs, arrachera certainement à celui qui la lira l'aveu de la puissance de ces formules, puissance confirmée par huit cent trente ans de succès.?
Pline, Histoire naturelle, XXX, 12 :"Il existe certainement aussi chez les nations italiennes des traces de la magie, par exemple dans nos lois des Douze Tables et d'autres monuments, comme je l'ai fait voir dans un livre précédent. Ce n'est que l'an 657 de Rome, sous le consulat de Cn. Cornélius Lentulus et de P. Licinius Crassus, qu'il fut défendu par un sénatus-consulte d'immoler un homme ; ce qui prouve que jusqu'à cette époque on faisait de ces horribles sacrifices."
Plutarque, Questions romaines, 83 :"Pourquoi les Romains, instruits que les Bletonésiens avaient immolé une victime humaine, mandèrent-ils les magistrats de ce peuple barbare, pour les en punir, et qu'ils les renvoyèrent absous, après qu'ils eurent appris d'eux qu'une loi de leur pays leur permettait ces sortes de sacrifices ? Pourquoi leur défendirent-ils d'offrir à l'avenir de telles victimes, tandis qu'eux-mêmes, peu d'années auparavant, avaient enterré, tout vivants, dans le marché aux boeufs, deux hommes et deux femmes, les uns grecs et les autres gaulois ? N'était-ce pas une grande inconséquence que de faire eux-mêmes ce qu'ils jugeaient criminel dans des Barbares ? Regardaient-ils comme impie de sacrifier des hommes aux dieux, et comme nécessaire d'en immoler aux génies ? Croyaient-ils coupables ceux qui faisaient ces sacrifices, d'après leurs lois et leurs usages, et ont-ils cru devoir eux-mêmes le faire, lorsque leurs livres sibyllins le leur ont ordonné ? On raconte à ce sujet qu'une jeune fille nommée Elbia, qui voyageait à cheval, fut frappée de la foudre. On trouva le cheval étendu mort, sans son harnais, et Elbia la moitié du corps découvert, comme à dessein, tandis que ses souliers, ses anneaux et son voile étaient épars de côté et d'autre, et sa langue hors de sa bouche. Les devins déclarèrent que ce prodige annonçait sur les vierges sacrées un grand opprobre qui serait découvert, et que partageraient des chevaliers romains. Peu de temps après, l'esclave d'un chevalier étranger dénonça trois vestales, nommées Émilie, Licinie et Martia, qui s'étaient laissé corrompre, et qui vivaient depuis longtemps dans un commerce criminel avec leurs séducteurs, du nombre desquels était Hutétius, maître de l'esclave dénonciateur. Elles furent convaincues et punies du dernier supplice. Mais le cas ayant paru atroce, les prêtres eurent ordre de consulter les livres sibyllins. Ils y trouvèrent des oracles qui prédisaient ces crimes, avec les malheurs qui en seraient la suite, à moins que, pour les prévenir, on ne sacrifiât à des génies deux Grecs et deux Gaulois, qu'on enterrerait tout vivants dans le lieu même."
Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Fabius Maximus, XIX :"Comme la fête de Cérès tombait dans ces jours-là, il crut qu'il valait mieux en omettre tout à fait les cérémonies et la procession, que de faire trop connaître, par le petit nombre et par l'abattement des assistants, la grandeur des pertes qu'on avait faites. Les dieux, suivant lui, aimaient qu'on les honorât dans la joie. Cependant il exécuta tout ce que les devins ordonnèrent pour apaiser les dieux, et pour conjurer les présages sinistres. Fabius Pictor son parent, fut envoyé consulter l'oracle de Delphes ; deux Vestales s'étaient laissé séduire : l'une d'elles fut enterrée vive, selon la coutume ; l'autre se donna la mort."
Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Marcellus, III :"Ils donnèrent une autre preuve de leur effroi par les sacrifices extraordinaires auxquels ils eurent recours : jusqu'alors ils n'avaient rien admis, dans leurs institutions, d'étrange ni de barbare ; leurs opinions sur la Divinité, conformes à celles des Grecs, respiraient la douceur et l'humanité. Mais à l'approche de cette guerre, forcés d'obéir aux oracles des livres Sibyllins, ils enterrèrent tout vivants, dans le marché aux boeufs, deux Grecs et deux Gaulois, de l'un et de l'autre sexe, auxquels ils font encore aujourd'hui, dans le mois de novembre, des sacrifices secrets qu'il n'est pas permis au peuple de voir."
Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Numa, XV, 5 :"Suivant d'autres, ce ne sont pas ces dieux qui lui apprirent cette expiation : seulement, par leurs charmes magiques, ils firent descendre Jupiter. Le dieu irrité dit à Numa : " Il faut, pour faire l'expiation, des têtes... " - " d'oignons ", interrompit Numa ; - " d'hommes, " continua Jupiter. Numa voulut encore éluder cet ordre cruel : " Avec leurs cheveux ? " demanda-t-il. - " Avec de vivants... " répondit Jupiter ; - " anchois, " se hâta de dire Numa. C'est Égérie qui lui avait suggéré le stratagème. Jupiter s'en retourna avec des dispositions favorables, ce qui fit donner à ce lieu le nom d'llicium ; et les réponses de Numa furent la règle de l'expiation."
Tite-Live, Histoire romaine, XXII, 57 :"Ce qui effraya encore, outre de si grands désastres, ce fut, entre autres prodiges, que, cette année-là, deux Vestales, Opimia et Floronia, avaient été convaincues d'inceste : l'une fut, selon la coutume, enterrée vivante à la porte Colline, l'autre s'était donnée elle-même la mort ; Lucius Cantilius, scribe pontifical, de ceux qu'on appelle aujourd'hui " petits pontifes ", complice de Floronia, fut, sur le comitium, battu de verges par le grand pontife jusqu'à ce qu'il expirât sous les coups. Ce sacrilège ayant été, comme c'est fréquent au milieu de tant de désastres, tourné en prodige, on invita les décemvirs à aller consulter les Livres, et l'on envoya à Delphes Quintus Fabius Pictor demander à l'oracle par quelles prières, quelles supplications, les Romains pouvaient apaiser les dieux, et quelle serait la fin de si grands désastres. Cependant, sur l'indication des livres du Destin, on fit plusieurs sacrifices extraordinaires : entre autres, un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque furent enterrés vivants au marché aux boeufs, dans un endroit clos de pierres, arrosé déjà auparavant du sang de victimes humaines, cérémonie religieuse bien peu romaine."
Tite-Live, Histoire romaine, XXIII, 11 :"Cependant Q. Fabius Pictor, qui avait été envoyé à Delphes, revint à Rome et lut la réponse écrite de l'oracle. L'oracle disait à quels dieux il fallait adresser des supplications et d'après quels rites. Puis il ajoutait : " Si vous vous soumettez à ces ordres, Romains, votre position en deviendra meilleure et plus facile ; les affaires en iront plus à votre gré, et, dans ce combat entre Hannibal et vous, la victoire restera au peuple romain. Lorsque la république sera hors de tout danger, et dans un état prospère, envoyez à Apollon Pythien une offrande bien méritée ; payez-lui un tribut prélevé sur le butin, sur les dépouilles, sur le produit de la vente, et gardez-vous de l'orgueil " Fabius ayant lu cet oracle qu'il avait traduit du grec, il ajouta qu'aussitôt après avoir quitté le temple il avait offert des libations d'encens et de vin à tous les dieux, et que la prêtresse d'Apollon lui avait ordonné de monter sur son vaisseau, avec la couronne de laurier qu'il avait en consultant l'oracle et pendant le sacrifice, et de ne pas la déposer avant d'être arrivé à Rome. Qu'il avait exécuté tous ces ordres avec un soin religieux, et déposé la couronne sur l'autel d'Apollon. Le sénat décréta que ces sacrifices et ces supplications seraient accomplis au plus tôt, et avec la plus grande exactitude. Pendant que tout cela se passait à Rome et en Italie, Magon, fils d'Amilcar, avait apporté à Carthage la nouvelle de la victoire de Cannes."
Sources
• A. Fraschetti, (1981) - "Le sepolture rituali del Foro Boario", in : M. Torelli et al. (coord.), Le délit religieux dans la cité antique, Actes de la table ronde de Rome (6-7 avril 1978), Publications de l'École Française de Rome, Rome, pp.51-115
• F. Van Haeperen, (2008) - "Sacrifices humains et mises à mort rituelles à Rome : quelques observations", in : A. Musin et al. (Eds.), Violence, conciliation et répression : Recherches sur l'histoire du crime, de l'Antiquité au XXIe siècle, Presses universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve, pp.243-262
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique