• Sulpice Sévère : Vie de saint Martin, 14-15, Traduction de : Jacques Fontaine, 1996, Paris, Cerf
Texte:
Vers le même temps et dans la même oeuvre, il fit preuve d'une " vertu " non moins grande. De fait, il avait mis le feu, en certain village, à un sanctuaire païen tout à fait ancien et très fréquenté : des tourbillons de flammes étaient emportés par le vent qui les poussait vers une maison voisine, et même attenante à l'édifice. Dès que Martin s'en aperçut, il accourt rapidement, monte sur le toit de la maison et se porte à la rencontre des flammes qui arrivaient. Mais alors, spectacle extraordinaire, on put voir le feu se rabattre contre le vent, malgré sa violence, si bien que les éléments semblaient pour ainsi dire se combattre et entrer en conflit. Ainsi, par la " vertu " de Martin, le feu n'accomplit sson oeuvre que là où il en avait reçu l'ordre.
Dans un autre village, du nom de Levroux, Martin voulut démolir également un temple que la fausse religion avait comblé de richesses, mais la foule des païens s'y opposa tant et si bien qu'il fut repoussé, non sans violences. Aussi se retira-t-il à l'écart dans le voisinage immédiat. Là, pendant trois jours, vêtu d'un cilice et couvert de cendre, dans le jeûne et l'oraison ininterrompus, il adressait sa prière au Seigneur, afin que la vertu divine renversât ce temple, puisque la main de l'homme n'avait pu le détruire. Alors, soudain, deux anges armés de lances et de boucliers se présentèrent à lui comme une milice céleste, se disant envoyés par le Seigneur pour disperser la foule des paysans et assurer la protection de Martin, afin qu'il n'y eût aucune résistance durant la destruction du temple : il devait donc repartir achever pieusement l'oeuvre commencée. Il retourna donc au village et, tandis que les foules païennes le regardaient, sans bouger, démolir jusqu'aux fondations cet édifice impie, il réduisit en poussière tous les autels et les statues. A cette vue, les paysans comprirent qu'une puissance divine les avait frappés de stupeur et de panique pour les empêcher de résister par la violence à l'évêque : ils crurent presque tous au Seigneur Jésus, attestant publiquement à grands cris qu'on devait adorer le Dieu de Martin et délaisser des idoles incapables de se porter secours à elles-mêmes.
Je vais également rapporter ce qui se passa dans un canton du pays éduen. Tandis qu'il y démolissait également un autre temple, la foule des paysans païens en furie se rua sur lui. L'un d'eux, plus hardi que les autres, avait tiré l'épée et cherchait à l'en frapper, quand, rejetant son manteau, Martin présenta au coup sa nuque découverte. Le païen n'hésita pas à frapper, mais, ayant élevé sa main droite trop haut, il s'écroula à la renverse, et, terrassé par la crainte de Dieu, il demandait grâce. Voici encore une histoire toute pareille à la précédente. Un jour où l'on avait voulu lui donner un coup de couteau pendant qu'il détruisait des idoles, l'arme fut arrachée des mains de l'agresseur et disparut au moment même où il frappait. Mais en général, quand les paysans cherchaient avec hostilité à le dissuader de détruire leurs sanctuaires. Sa sainte prédication adoucissait si bien les âmes des païens qu'illuminés par la vérité, ils renversaient eux-mêmes leurs temples.