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Droit celtiqueModérateurs: Pierre, Guillaume, Patrice J'ai un article :
L’ancienne loi des Bretons d’armorique [ALBA] Depuis la fin du IV° siècle, de nombreuses communautés barbares avaient été établies en Armorique. Ces migrations s’étaient effectuées dans un contexte militaire, dans le sillage des usur-pateurs Maxime et Constantin III. L’Empire victorieux avait validé les lotissements accordés, à charge pour les soldats de défendre la cause romaine. Pour l’essentiel les nouvelles recrues venaient des extrémités occidentales de l’Empire, le Pays de Galles et l’Irlande. Ces sociétés tribales, des qentiles, ne participaient pas à la citoyenneté romaine et formaient sur le sol romain des îlots de barbarités. Durant la première moitié du V° siècle, l’Empire dut affronter en Armorique une grave insurrection. Les Bagaudes étaient ici particulièrement redoutables puisque renforcées par les soldats de l’Empire. En 445, le généralissime Aetius réussit enfin à triompher des rebelles. Son panégyriste Mérobaude décrit l’exploit du patrice, vante les bienfaits de la paix retrouvée, la paix qui donne des droits aux peuples “, la paix que garantissent de nouvelles lois « Elle soutient l’oeuvre de César, cette main qui lui fut si longtemps hostile, après qu’elle ait reçu des lois sous notre consul ». Le panégyriste d’Aetius évoque les guerres de Quirinus-Romulus qui s’achevèrent par la fusion des Latins et des Sabins dans la communauté des Quirites. S’inspirant du précédent fondateur qu’avait été la promulgation de la loi des XII Tables aux débuts de la République, l’Empire voulut sceller la paix par l’octroi d’une loi. La loi des XII Tables avait consacré l’égalité juridique entre les patriciens et les plébéiens. L’ALBA devait elle aussi aider à la réconciliation et favoriser l’intégration dans la patrie romaine. Les relations entre la communauté provinciale — les civils provinciaux — et les soldats barbares étaient particulièrement tendues. Cette situation n’était pas spécifique à l’Armorique. Un peu partout, les citoyens se plaignaient des exactions dont ils étaient victimes de la part des soldats, violations de propriétés foncières, usurpations des prés pour des pâturages illicites, extorsions de fonds, rançon-nements fiscaux. Toutes ces malversations, qui dégénéraient parfois en brutalités physiques, demeu-raient le plus souvent impunies. Les soldats jouissaient en effet de privilèges judiciaires et il était bien rare qu’un civil obtînt gain de cause lorsque l’affaire était jugée « au camp » par la hiérarchie du défendeur. L’ALBA prit acte de cette distorsion. Elle réalisa une adaptation du droit militaire romain aux problèmes particuliers posés par le voisinage des militaires barbares et des civils provinciaux. Les doléances des civils furent prises en compte même si les solutions prescrites témoignent souvent d’une certaine indulgence en faveur des soldats. Les civils, à l’instar des plébéiens d’autrefois, devaient se satisfaire d’une loi qui du fait même de son existence mettait un terme à l’arbitraire du iudex. L’ALBA récapitulait les différentes actions judiciaires, déterminait leurs conditions d’ouverture, se prononçait sur la légalité des modes de preuve et prescrivait des sanctions. Elle posait l’égalité juri-dique des provinciaux et des soldats. Par trois fois l’ALBA prescrit la peine de mort; par trois fois seulement, devrait-on dire, puisque le droit pénal de l’époque se montrait au contraire très sévère. La relative indulgence de l’ALBA appelle donc l’attention sur ces trois dispositions. Deux articles dispo-sent la mort du voleur, qu’il s’agisse d’un vol simple ou aggravé car perpétré de nuit ou par un chef de famille (capitaIis). Cette sévérité surprend au regard du droit classique qui, en cas de vol, incitait le juge à « ne pas dépasser la mesure des travaux publics (forcés) à temps ». Elle rejoignait pour le cas bien précis du vol de nuit l’antique solution des XII Tables. Elle s’accordait aussi aux dispositions des anciennes lois irlandaises qui admettaient le droit de tuer le voleur en cas de flagrant délit quand il ne disait pas son nom, quand la victime ne pouvait cerner son identité ou ne pouvait l’arrêter. La société gentilice méprise le voleur, du moins le fourbe qui n’opère pas à visage découvert. Celui-ci, parce qu’il tente d’esquiver les règles de la coutume et d’échapper au système vindicatoire, est « hors-la-loi » et doit être éliminé. À en croire les contemporains, les guerriers d’Armorique s’adonnaient à la rapine, une activité menée sans doute aux dépens des civils provinciaux peu enclins à résister aux bandes armées. Pour faire cesser le trouble à l’ordre public, Rome consacra leur coutume. Plus exactement elle la géné-ralisa, quitte à occulter son sens premier puisque dorénavant tout voleur, qu’il dissimulât ou non ses traits, encourait la mort. L’autre crime appelant la sanction capitale était la fornication. Toutefois I’ALBA opère une distinction entre la fornication « simple » qui laisse la possibilité à l’accusé de se disculper par la prestation de serment et la fornication aggravée passible de mort. La première a été commise avec une femme du peuple — une provinciale. En cas de défaut de serment, le tarif de l’amende était fixé à une esclave, le choix du genre indiquant bien la fonction compensatrice de l’ancilla. L’autre fornication impliquait « l’épouse ou la soeur ou la fille d’un autre », ce qui du point de vue d’un Romain désignait un autre chef de famille, un autre capitalis. Les rédacteurs de l’ALBA entendaient défendre une morale sexuelle qui interdisait toute femme appartenant à une maison guerrière. Les chroniqueurs romains et les sources ecclésiastiques se plaisent à dénoncer la licence sexuelle des Celtes, Gaulois, Bretons ou Irlandais. L’ALBA offre un regard différent, celui d’une société qui conserve scrupuleusement l’honneur des femmes. La matière était si sensible qu’à titre d’exception les autori-tés romaines déléguèrent même le droit d’éliminer le coupable. « Morte moriatur », qu’il meure de mort ~. Le fornicateur était forban, livré à la vindicte du premier venu. Quant à sa comparse, son destin n’intéresse pas l’ALBA qui n’empiète pas sur la juridiction domestique et coutumière du chef de famille. Les inclinations à la fornication étaient sans doute rendues sensibles par la rareté des femmes inhérentes à la société militaire. Sans doute les soldats de l’Empire tentaient-ils de pallier ces manques en concluant des mariages par achat. L’ALBA interdisait à l’époux d’entretenir une concubine et punis-sait celui qui après s ‘être uni en mariage à son esclave décidait de la vendre. La pratique explique que les pénalités dans l’ALBA soient souvent données en esclaves, l’ancilla valant comme épouse potentielle. Elle évoque celle qui avait cours dans l’Irlande médiévale où des concubines, femmes de contrat pouvaient être achetées pour un an quitte à devenir épouses si elles se révélaient fécondes. L’ALBA tente de réaliser l’adaptation d’une société tribale dominée par la coutume à une société étatisée gouvernée par la loi. Les communautés guerrières admettaient mal de devoir porter leur contentieux devant les autorités impériales. L’ALBA dut rappeler le caractère obligatoire de la compa-rution en justice, interdire le recours aux armes dans le prétoire et proclamer le principe de l’auto-rité chose jugée. Le serment fut l’occasion de frictions entre les autorités impériales qui entendaient promouvoir la foi jurée et les guerriers qui rechignaient à s’engager. À plusieurs siècles de distance, Giraud de Cambrie dénonce la perfidie des Irlandais qui n’hésitaient pas à se parjurer. La volonté individuelle est inefficace dans les sociétés tribales et l’on ne concevait guère de pouvoir s’engager pour des affaires relevant de la communauté. C’est la coutume qui fixait les règles de dévolution et la propriété ne pouvait être que familiale. L’ALBA s’efforça de convaincre ses nouveaux sujets de l’effet juridique du testament ou de la donation, de les accoutumer à la propriété individuelle. L’Empirer ce faisant, poursuivait son lent travail d’acculturation. Introduire la propriété privée, c’était ruiner la tradition et disloquer les puissantes parentèles. Tout a priori opposait les autorités impériales aux sociétés gentilices. Pour les détourner de la coutume et les familiariser aux concepts juridiques romains, Rome devait se fonder, afin de les dénaturer, sur les bases mêmes de la structure sociale. L’Empire tira parti de la structure clanique des gentiles. Il renforça le rôle du chef de famille (le capitaIis) et le déclara garant des siens. C’était d’ailleurs l’un des principes de la politique romaine de l’époque que de responsabiliser certains échelons de la société. Appliqué à la structure celtique, il pourrait être à l’origine d’une des institu-tions caractéristique de la Bretagne du haut Moyen Âge, les machtiern, les chefs-garants . L’investiture des chefs de famille se fit non sans quelque réticence et la loi montre qu’il y eut des irré-ductibles pour refuser d’apporter la garantie demandée, s’exposant ainsi aux pénalités prévues. Mais Rome savait tirer profit des vanités humaines. En prescrivant des amendes en esclaves, hommes ou femmes, elle faisait du procès l’occasion de renforcer la puissance du clan. À coup sûr l’esprit de chicane se développa au pays de l’ALBA et avec le procès à la romaine s’acheminait insidieusement l’idée d’une autre norme tandis que s’imposaient de nouvelles conduites. Certains regimbaient-ils encore à l’idée de comparaître devant le juge militaire? Le cours de la justice s’ouvrit aux majores natu. Aux côtés du juge, voire à sa place, siégeait une sorte de sénat local, un conseil tribal qui rassemblait les mieux-nés la noblesse guerrière que cette dignité attirait cette fois irrémédiablement dans le camp de Rome. Ainsi à la fin de l’Empire, la Gaule septentrionale se partageait en deux grands ressorts. À l’Est, où avaient été établies les populations franques, s’appliquait la loi salique, le premier des règlements militaires promulgué dans les années 350 pour les auxiliaires francs de l’armée romaine. Dans le grand district militaire de la Gaule du Nord-Ouest, c’est-à -dire dans les trois provinces soumises au duc d’Armorique, les Lyonnaises seconde, quatrième et troisième qui comptaient une trentaine de communautés bretonnes, l’ALBA régissait les relations entre militaires et provinciaux. Les temps mérovingiens virent l’avancée des Francs et le recul de 1’ALBA qui se retrancha en Armorique deve-nue depuis lors Britannia. Au début du VIII°siècle, le texte ancien parut archaïque et l’on s’occupa de rédiger une nouvelle version. Preuve, s’il en est, du succès des législations “vulgaires “de l’Empire. L’apprentissage de la loi fut sans doute en Armorique un des legs les plus importants de Rome. Bien plus tard, la romanisation de la coutume de Bretagne en sera sans doute le témoin. Soizick Kerneis Muskull / Thomas Colin
Comme l'eau modèle la terre, la pensée modèle le possible. http://muskull.arbre-celtique.com/ http://thomascolin.fr
Et bien voilà , c'est du même auteur
Ce qui me semble intéressant c'est d'arriver à départir ce qui relève du rappel à la loi romaine (y compris la plus archaique - on remonte aux douze tables, ici) et ce qui est adaptation de régles barbares... Mentionnons que les Barbares d'Armorique dont il est question ici sont pour l'essentiel, Irlandais ou Bretons, même s'il y a aussi de forts contingents de Sarmates.
D'après Léon Fleuriot, il faudrait un livre entier pour disséquer les 63 lois de l'ALBA.... sans aller jusque là les quelques pages qu'y consacre S. KERNEIS nous donne un éclairage intéressant à plus d'un titre.
Les voies de fait occupent plus de la moitié du texte. 21 articles sont consacrés aux infractions contre les personnes et 14 sont consacrés au vol. Il y a dans ces textes, et c'est ce qui caractérise pour les juristes, le droit "barbare", une minutie et un luxe de détail descriptif pour décrire, soupeser et sanctionner, l'arme, les circonstances, le descriptif des conséquences ("voit-on jusqu'aux entrailles, aperçoit-on les pampres du cerveau?"). On le constate, le souci du législateur de l'ALBA est de tenter "d'endiguer" une société extrêmement violente. La conjoncture des bagaudes et rebellions de tout poil n'y est pas étrangère et les sanctions sont différenciées et plus clémentes quand le contexte est celui d'une révolte....
Le terme "bagaudae" apparaît pour la première fois chez les chroniqueurs de la seconde moitié du IV° siècle à propos des soulèvements de 285-286. Il est d'origine celtique et signifie probablement guerriers, rebelles.
N.K. Chadwick et Fleuriot proposent de considérer les restes des troupes de Maxence et de Constantin III comme l'élément militaire organisé des baguaudes qui éclatent à nouveau au V° siècle. La paix revient en 417 mais la Baguaude se rallume en 435 et est réprimée par Aetius. Nouvelle flambée en 445... Ces troupes étaient entretenues par l'empire pour défendre les côtes de Calais à la Loire des incursions des pirates pictes, scots, saxons et frisons (paroxisme en 266-267 ; ils ont participé à l'édification des remparts urbains de l'époque. Défense organisée par Constance Chlore à la fin du III° siècle. Butinage sur Pierre-Roland Giot Muskull / Thomas Colin
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Ne pas confondre avec les "Bagad" qui sont eux aussi des bandes armées (d'instruments de "musique") qui ravagent la Bretagne armoricaine surtout en été.
Malgré leurs méfaits répétés dont vous pourrez juger dans le fil ci-joint, les législateurs sont pour l'instant impuissants... http://www.claudenadeau.net/humour.html Muskull / Thomas Colin
Comme l'eau modèle la terre, la pensée modèle le possible. http://muskull.arbre-celtique.com/ http://thomascolin.fr
Merci pour tes précisions sur les Bagad et les Bagaudes; les premiers ravageant bien plus que la Bretagne, l'été venu (Demande à Pierre qui en a vu récemment en territoire ch'ti...)
Les seconds mériteraient même un fil à part tant les Bagaudes semblent être un phénomène propre à la fin de l'empire en Gaule.... N'y aurait il pas ici un phénomène particulier, spécifique et révélateur d'un perpétuel esprit Paysan gaulois prompt à s'enflammer, a voir
Muskull, http://forum.arbre-celtique.com/viewtopic.php?t=2083 Je tiens à te rappeler que la Bretagne s'arrête au Couesnon. Non mais des fois. @+Pierre
Que de mauvaise foi !
La Bretagne, la vraie de vraie, ne s'arrête pas à cette rivière tellement folle qu'il a fallu lui passer une camisole de force ! En tout cas, je peux témoigner que Concarneau est plus connue que Lille ... aux Seychelles, à Madame Gaspard et autres lieux où vont les thoniers-senneurs de la Ville Bleue. Na. mikhail
@+Pierre
Dis donc, Pierre : tu parles pour ky ?
JCE "Apprends tout et tu verras que rien n'est superflu".
Hugues de Saint-Victor.
Salut les juristes,
N'étant pas au faite de ces choses, qu'en est-il ( = qu'en serait-il ?!), du "Droit celtique" ancien dans celles d'Hywel Dda ? ... et par transpiration, du "Droit breton" du Xè siècle ? Un droit du gauche ! JC Even "Apprends tout et tu verras que rien n'est superflu".
Hugues de Saint-Victor.
Je vous signale un nouvel article de Soizic KERNEIS à la revue historique de droit français et étranger - 2005, avr-juin p 155.
Les ongles et le chaudron, pratiques judiciaires et mentalités magiques en Gaule Romaine. Cet article fait suite à la découverte de tablettes de "defixio" à Trêves, une ville qui fut la capitale occidentale de l'Empire au IV° siècle. L'auteur s'attarde plus particuliérement sur une tablette révélatrice d'un curieux rituel. Un individu voue un autre à une sorte de malédiction en appelant le jugement d'un dieu, en l'occurence Lenus Mars vénéré dans la ville.... Il doit pour obtenir l'intervention divine s'en remettre au chaudron, c'est à dire une ordalie consistant à vérifier le bien fondé de sa plainte. On imagine le pire, et c'est seulement s'il survit qu'on passera à la suite des opérations..... Il s'agit là des "ongles" autrement dit la torture à laquelle on soumettra l'accusé si l'accusateur passe le cap de l'ordalie. On imagine là aussi une joyeuseté du genre, petits bâtonnets glissés sous les ongles auxquels on va mettre le feu.... On peut se poser la question de telles pratiques au coeur de ce qui fut une capitale romaine mais aussi, cité des Trévires, puissante nation gauloise. En fait la ville est cosmopolite aux IV° et V° siècles et, située à proximité des marches germaniques, elle accueille des contingents de tout poil et de toutes origines.... L'auteur pense que la pratique ordalique révélée ici n'est pas, contrairement à ce que l'on pense d'origine franque, mais révéle une influence celte qu'elle attribue à la présence attestée à Trêves à cette époque d'un fort contingent d'Attecotii, des Scots réputés pour leur violence et leur cruauté. Ces barbares ne sont pas citoyens de l'empire et ne reconnaissent d'ailleurs pas l'autorité de l'empereur, le seul moyen de juguler les différents existant entre eux et avec les citoyens aurait été de les soumettre au jugement divin en l'occurence un Mars Lenus, ancien dieu local dont le sanctuaire vient de tomber en désaffection (nous sommes en pleine période de christianisation) L'auteur explique que nous sommes en présence d'une ordalie qui sera admise et reprise par les francs mais qui est bien le fruit d'une sorte de synchrétisme juridico religieux romano-celtique. Quant à la pratique, elle n'est peut être pas si barbare qu'elle en a l'air... En effet l'ordalie du chaudron pouvait être "rachetée" par des offrandes et les tourments pouvaient être abrégés par des aveux, quant aux peines elles connaissaient des compensations pécuniaires..... La justice divine était volontairement terrifiante et devait amener bien souvent à de commodes compromissions, une façon pas toujours stupide de régler des conflits Où et quand ?
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