Nous sommes souvent confrontés à des interprétations de noms au Ier ou 2è degrés, et confrontés par là même à des conflits entre rationnel et imaginaire.
J'ai donc retrouvé une introduction d'un auteur récent qui résume la question.
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Roger-Xavier LANTERI : BRUNEHILDE, la première reine de France.
Librairie Académique Perrin. 1995. France-Loisirs
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AVERTISSEMENT.
Tentons de régler sommairement cette question insoluble : comment écrire les noms mérovingiens ?
Plus de la moitié des Français et des Européens du Nord portent encore à la veille du troisième millénaire un nom frank aussi expressif qu'un totem de Peau-Rouge : Taureau assis, Cheval fou ou Cerf agile. Mais ils l'ignorent. Qui a conscience d'appeler un ami Fort comme un ours, en disant Bernard, ou Puissant dans la paix, en disant Frédéric ? Robert, c'est Illustre par la gloire', Gérard, c'est Fort au javelot (Gari-, arme de jet, et hard, fort), Roger, c'est Javelot de gloire (ou si l'on préfère personnaliser Lancier de gloire}, tous les Arnou, Arnoux, Arnoul, Arnold ont un aigle dans leur nom. Adolf Hitler connaissait le sens de son prénom (Noble Loup = Adal Woulf) puisque dans la semi-clandestinité des années vingt, il se faisait appeler Wolf.
Les noms des Germains étaient pétris dans la langue de tous les jours. En disant Brunehilde, ou plutôt Brouniakhildis, son nom exact, ils entendaient Déesse (de la guerre) en cuirasse. Toute chrétienne qu'elle était, elle portait un nom païen : Khildis est la déesse des batailles (victorieuses) et Brunia (ou plutôt Brounia) se dit, en français, la brogne (ou la broigne, mais la prononciation était la même en vieux français) : une cuirasse garnie de larges écailles de métal et de têtes de clou. L'auteur catholique Godefroid Kurth interprétera hardiment le symbole de la cuirasse. Pour lui, Brunehilde, c'est Déesse vierge.
Dans Sigisberkht, les Germains entendaient Illustre par la victoire, Eblouissant de victoire : berkht signifie brillant, illustre, éblouissant, éclatant, une épithète de lumière. Dans Khilperîkh, rikh signifie puissant. Le radical indo-européen a engendré, en français moderne, aussi bien roi que riche, et en allemand, entre autres, Reich. La France est toujours pour les Allemands la Puissance franke, Frankreich. Quand au premier élément, khilp, il a survécu en allemand, hilfe, et en anglais, help, secours. Au total, Puissant dans le secours. Khilperîkh explique son nom au poète latin Fortunat : Adjutor fortis, Fort secoureur. H y a du justicier dans ce nom, du Zorro, du Robin des Bois.
L'écrivain moderne est devant un triple choix :
1) Traduire comme dans le Dernier des Mohicans et noter le nom comme il était entendu par les Franks. Exemple : « Déesse-cuirassée en compagnie d'Eblouissant-au-Combat rencontre Corbeau-de-guerre ». C'est tentant.
2) Restituer le nom barbare selon son approximative prononciation. La même phrase s'écrit ainsi : « Brouniakhildis en compagnie de Khildeberkht rencontre Goundikhramn. »
3) Adopter la naturalisation extrême en français moderne : « Bru-nehaut en compagnie de Heudebert rencontre Contran. »
A partir de la Seconde Guerre mondiale, les Français, découvrant les voyages et l'information planétaire, ont cessé de franciser les noms étrangers. Au xrxe siècle, Jules Verne écrivait Michel (Strogoff) ; à la fin du xxe siècle, les journalistes disent Mikhaïl (Gorbatchev). Dans les manuels scolaires, Elisabeth d'Angleterre s'orna soudain d'un z : Elizabeth. Le poignard courbe du Proche-Orient, le cangiar (cf. Edmont About) devint ce qu'il n'avait cessé d'être, un kandjiar. Le Cambodge, par revendication nationale, se fit nommer le Kampuchea et les Canaques de Nouvelle-Calédonie les Kanaks.
Rendre aux noms leur authenticité barbare serait donc aller selon l'air du temps. Mais cet ouvrage a l'ambition de faire connaître largement cette période essentielle et passionnante de l'histoire de l'Europe. Pourquoi est-elle occultée ? Parmi d'autres raisons : l'abondance de noms qui écorchent la gorge et tracassent la vue. Nous opterons donc pour une quatrième manière, la moins excessive : adapter simplement les noms pour les rattacher à un passé connu, et signaler, le plus souvent possible, la forme première et la signification. Nous écrirons Brunehilde, Chilpérich, Chlothaire. Et comme le g était toujours dur, nous l'ornerons d'un h pour éviter qu'on ne prononce Sijebert quand il s'agit de Sighebert.
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JCE