Val di Non et Val di Sole (province autonome de Trente, Italie)
Capitale:
Anaunium (Nanno, Ville d'Anaunia)
Anaunes
Localisation
Peuple très probablement rhète, dont le nom pourrait être celtique. Le territoire des Anaunes correspondait aux Val di Non et Val di Sole, soit la vallée du Noce, au niveau de l'actuelle province de Trentin en Italie. Leur métropole était très certainement Ἀναύνιον "Anaunium", l'actuelle Nanno (Ville d'Anaunia, province autonome de Trente, Italie), mentionnée par Ptolémée (Géographie, III, 1, 32).
Attestations et étymologie
Les Anaunes furent mentionnés sous la forme ANAVNORVM en 46 ap. J.-C., dans la Tabula Clesiana (CIL 05, 5050 ; AE 1983, 445), ANAAVNVS sur une épitaphe provenant de Djemila, dans la wilaya de Sétif en Algérie (AE 1923, 15) et ANAVNI sur les estampilles d'un potier ayant officié dans le Val di Non à la transition entre le Ier et du IIe s. ap. J.-C. (CIL 05, 8110,370a-f ; AE 1983, 439). Plus tard, ils apparurent indirectement sous la plume de Paulin de Milan, sous la forme in Anauniae partibus "dans les régions d'Anaunia" (Vie d'Ambroise, 52). Reprenant des analyses antérieures, X. Delamarre (2003 ; 2004 ; 2012) propose d'y reconnaître une forme participiale en -mno- de la racine anǝ-, qui se rapporte au fait d'"attendre", de "s'arrêter" ou de "se reposer". Ainsi, le composé *anǝ-mn-oi signifierait "sédentaires, établis", et serait un antonyme du nom des Alaunes, littéralement "errants, nomades".
Protohistoire
Entre le VIe et le Ier s. av. J.-C., le territoire prêté aux Anaunes appartenait à la sphère de la culture de Fritzens-Sanzeno, une culture matérielle du centre-est des Alpes, propre aux peuples rhètes. En témoigne la découverte d'un certain nombre d'inscriptions rhétiques dans le Val di Non, sur le territoire des Anaunes, lesquelles utilisent un alphabet spécifique dit "alphabet de Bolzano-Sanzeno". À Sanzeno, quatre inscriptions furent découvertes. Elles remontent à deux phases distinctes, respectivement datées du VIIe/VIe au milieu du Ve s. av. J.-C., pour la première, et du milieu du Ve à la fin du IIIe s. av. J.-C., pour la seconde. À Cles, l'inscription découverte est datée du VIIe-IVe s. av. J.-C. (S. Marchesini & L. Zaghetto, 2019). Tout au long de son histoire, la culture de Fritzens-Sanzeno a été très poreuse aux influences de ses voisins, Vénètes, Étrusques et Celtes. Les influences celtiques sont clairement détectables à partir du Ve s. av. J.-C., sur un plan matériel et religieux. Dés le IVe s. av. J.-C., ces influences sont devenues prédominantes, ce qui a abouti notamment à l'adoption d'un armement typiquement laténien. Ainsi, la nécropole laténienne de Sanzano, et les armes qui y ont été découvertes, sont datées de l'intervalle IVe-IIe s. av. J.-C. (Marchesini & Roncador, 2016). Notons enfin que plusieurs auteurs ont observé que la culture de Fritzens-Sanzeno a atteint son apogée lorsque s'est développée la culture des oppida en Bavière, soit entre le IIIe et le Ier s. av. J.-C. (Tecchiati, 1999 ; Roncador, 2017). S'agissait-il de simples influences culturelles, voire d'un phénomène d'acculturation, comme le suggère V. Kruta (2000) ? Les travaux de U. Tecchiati (1999), F. Marzatico (2001), S. Marchesini & R. Roncador (2016), R. Roncador (2017), etc. plaident pour pour des échanges commerciaux et culturels, suivis par des relations de type mariage et des apports de populations ayant migré en Rhétie depuis le Nord des Alpes et la plaine du Pô. Ces dernières dynamiques expliqueraient l'adoption d'éléments religieux celtiques, ainsi qu'une influence celtique sur la langue rhétique et l'onomastique. Ainsi, il est tout à fait possible que les Anaunes aient été des Celtes s'étant surimposés sur un substrat rhète, à moins qu'ils aient été des Rhètes celtisés.
Histoire
● La conquête romaine
Les sources anciennes sont muettes au sujet des événements qui conduisirent à leur assujettissement. Cependant, le seul fait que les noms d'une grande partie des peuples du voisinage figurent sur l'inscription que supportait le trophée de La Turbie implique que les Anaunes ont très certainement été vaincus au cours des campagnes menées dans les Alpes par Drusus et Tibère (15 av. J.-C.).
● La romanisation
Après la conquête romaine, les Anaunes furent rattachés administrativement au municipe de Tridentum (Trente, province autonome de Trente, Italie) avec le statut de gentes adtributae. De ce fait, ils versaient annuellement un tribut à cette cité.
En 46 ap. J.-C., les Anaunes furent au coeur d'un vaste scandale, qui ne nous est uniquement connu par la Tabula Clesiana (CIL 05, 5050 ; AE 1983, 445). Contrairement aux Tridentins, les Anaunes n'étaient pas passés sous l'autorité romaine antérieurement à l'octroi de la citoyenneté romaine aux Transpadans. Pourtant, un certain nombre d'entre eux furent dénoncés pour avoir usurpé ce statut, ce qui leur permit d'accéder aux plus hautes fonctions et de se lier très étroitement aux citoyens de Tridentum. La révélation de cette usurpation de grande échelle posa un délicat problème pour les empereurs Tibère et Claude, puisqu'il était impossible de dénoncer cette imposture sans remettre en cause tous les liens et accords passés entre usurpateurs et citoyens, les mariages et les transactions, ce qui aurait immanquablement déstabilisé le municipe de Tridentum. Voulant préserver la paix sociale, Claude choisit de régulariser la situation des Anaunes et leur octroya la citoyenneté romaine.
Sources littéraires anciennes
Paulin de Milan, Vie d'Ambroise, 52 :"À Mediolanum également, nous avons reçu avec la plus profonde dévotion les restes des martyrs, Sisinius, Martyrius et Alexandre, qui de nos jours, c'est-à-dire après la mort d'Ambroise, ont remporté la couronne du martyr dans la persécution païenne dans les régions d'Anaunia. À cette époque, vint un certain aveugle, qui, en touchant le cercueil dans lequel les restes des saints ont été transportés, ce même jour a reçu la vue."
Sources épigraphiques
Inscription de Cles (Tabula Clesiana) (AE 1983, 445 ; CIL 05, 5050 ; ZPE-207-247) M(ARCO) IVNIO SILANO Q(VINTO) SVLPICIO CAMERINO CO(N)S(VLIBVS) IDIBVS MARTI(I)S BAI(I)S IN PRAETORIO EDICTVM TI(BERI) CLAVDI CAESARIS AVGVSTI GERMANICI PROPOSITVM FVIT ID QVOD INFRA SCRIPTVM EST TI(BERIVS) CLAVDIVS CAESAR AVGVSTVS GERMANICVS PONT(IFEX) MAXIM(VS) TRIB(VNICIA) POTEST(ATE) VI IMP(ERATOR) XI P(ATER) P(ATRIAE) CO(N)S(VL) DESIGNATVS IIII DICIT CVM EX VETERIBVS CONTROVERSIS PE<ND=T>ENTIBVS ALIQVAMDIV ETIAM TEMPORIBVS TI(BERI) CAESARIS PATRVI MEI AD QVAS ORDINANDAS PINARIVM APOLLINAREM MISERAT QVAE TANTVM MODO INTER COMENSES ESSENT QVANTVM MEMORIA REFERO ET BERGALEOS ISQVE PRIMVM A<B=P>SENTIA PERTINACI PATRVI MEI DEINDE ETIAM GAI PRINCIPATV QVOD AB EO NON EXIGEBATVR REFERRE NON STVLTE QVIDEM NEGLEXSERIT ET POSTEAC DETVLERIT CAMVRIVS STATVTVS AD ME AGROS PLEROSQVE ET SALTVS MEI IVRIS ESSE IN REM PRAESENTEM MISI PLANTAM IVLIVM AMICVM ET COMITEM MEVM QVI CVM ADHIBITIS PROCVRATORIBVS MEIS QVI[S]QVE IN ALIA REGIONE QVIQVE IN VICINIA ERANT SVMMA CVRA INQVISIERIT ET COGNOVERIT CETERA QVIDEM VT MIHI DEMONSTRATA COMMENTARIO FACTO AB IPSO SVNT STATVAT PRONVNTIETQVE IPSI PERMITTO QVOD AD CONDICIONEM ANAVNORVM ET TVLLIASSIVM ET SINDVNORVM PERTINET QVORVM PARTEM DELATOR A<T=D>TRIBVTAM TRIDENTINIS PARTEM NE A<T=D>TRIBVTAM QVIDEM ARGVISSE DICITVR TAM ET SI ANIMADVERTO NON NIMIVM FIRMAM ID GENVS HOMINVM HABERE CIVITATIS ROMANAE ORIGINEM TAMEN CVM LONGA VSVRPATIONE IN POSSESSIONEM EIVS FVISSE DICATVR ET ITA PERMIXTVM CVM TRIDENTINIS VT DIDVCI AB I(I)S SINE GRAVI SPLENDI(DI) MVNICIPI(I) INIVRIA NON POSSIT PATIOR EOS IN EO IVRE IN QVO ESSE SE EXISTIMAVERVNT PERMANERE BENIFICIO MEO EO QVIDEM LIBENTIVS QVOD PLERI[S]QVE EX EO GENERE HOMINVM ETIAM MILITARE IN PRAETORIO MEO DICVNTVR QVIDAM VERO ORDINES QVOQVE DVXISSE NON NVLLI <A=CO>LLECTI IN DECVRIAS ROMAE RES IVDICARE QVOD BENIFICIVM I(I)S ITA TRIBVO VT QVAECVMQVE TANQVAM CIVES ROMANI GESSERVNT EGERVNTQVE AVT INTER SE AVT CVM TRIDENTINIS ALISVE RATA[M] ESSE IVBEA<M=T> NOMINAQVE EA QVAE HABVERVNT ANTEA TANQVAM CIVES ROMANI ITA HABERE I(I)S PERMITTAM
"Marcus Iunius Silanus et Quintus Sulpicius Camerinus étant consuls, aux ides de Martius (1), au prétoire de Baia, l'édit de Tiberius Claudius, Auguste, le Germanique, a été affiché qui est rapporté ci-dessous. Tiberius Claudius, César, Auguste, le Germanique, grand pontife, 6 fois revêtu de la puissance tribunicienne, salué 11 fois impérator, père de la patrie, consul désigné pour la 4e fois, dit : Puisque, à la suite d'anciennes controverses restées pendantes un certain temps déjà à l'époque de mon oncle Tiberius César, ce dernier avait envoyé Pinarius Apollinaris pour les régler, uniquement celles qui existaient entre les Comenses et Bergales, et que celui-ci, d'abord à cause de l'absence obstinée de mon oncle, puis aussi sous le principat de Gaius, a négligé, d'ailleurs pas stupidement, de produire un rapport sur ce que l'on n'exigeait pas de lui ; et puisque, par la suite, Camurius Statutus me dénonça que la plupart des terres et des forêts sont sous ma dépendance, j'ai envoyé sur place Iulius Planta, mon ami et mon camarade, qui, une fois mes procurateurs convoqués (ceux qui étaient dans une autre région et ceux qui étaient à proximité) a enquêté et pris connaissance de l'affaire avec le plus grand soin, je lui permets de décider et de se prononcer sur toutes les autres questions, telles qu'elles m'ont été présentées dans le commentaire rédigé par lui. Pour ce qui concerne la condition des Anaunes, des Tulliasses et des Sindunes, dont une partie est attribuée à Tridentum et une partie n'est même pas attribuée (on dit que le dénonciateur a prouvé cela) même si je me rends compte que ces populations n'ont pas une origine trop assurée pour avoir la citoyenneté romaine, toutefois, puisqu'on dit qu'elle a été en leur possession pour une longue période d'utilisation et qu'ils sont mélangés aux citoyens de Tridentum à un tel point qu'on ne pourrait pas les séparer d'eux sans de graves dommages pour ce splendide municipe, je leur permets, par un bienfait de ma part, de rester sous ce droit qu'ils ont estimé avoir, d'autant plus volontiers puisqu'on dit qu'un grand nombre d'hommes de ces populations font leur service militaire dans mon prétoire, que certains sont même devenus officiers et que plusieurs, admis dans les décuries, sont juges à Rome. Je leur concède ce bienfait de telle sorte que tout ce qu'ils ont entrepris et accompli comme des citoyens romains, soit entre eux soit avec les habitants de Tridentum ou avec d'autres, j'ordonne que ce soit ratifié, et que ces noms qu'ils ont eu auparavant comme des citoyens romains, je leur permets de les garder ainsi."
"(De la main) de Lucius Arrenus Maurianus, anaune."
Inscription de Cresin (CIL 05, 8110,370e) [L(VCI) AR]RE(NI) MAVR(IANI) [ANAV(NI)]
"(De la main) de Lucius Arrenus Maurianus, anaune."
Inscription de Cresin (CIL 05, 8110,370f) [L(VCI) AR]RE(NI) MA[VR(IANI) ANAV(NI)]
"(De la main) de Lucius Arrenus Maurianus, anaune."
Inscription de Mezzolombardo (CIL 05, 8110,370a) [L(VCI) ARRE(NI)] MAVR(IANI?) ANAV(NI)
"(De la main) de Lucius Arrenus Maurianus, anaune."
Inscription de San Vigilio (CIL 05, 8110,370b) L(VCI) ARRE(NI) MAVR(IANI) ANAV(NI)
"(De la main) de Lucius Arrenus Maurianus, anaune."
Inscription de Sanzeno (CIL 05, 8110,370d) L(VCI) ARRE(NI) MAVR(IANI) AN(AVNI)
"(De la main) de Lucius Arrenus Maurianus, anaune."
Inscription de Trente (AE 1983, 439) L(VCI) ARRE(NI) MAVR(IANI) ANAV(NI)
"(De la main) de Lucius Arrenus Maurianus, anaune."
Inscription de Djemila / Cuicul (AE 1923, 15) D(IS) M(ANIBVS) ET PERPETV(A)E SECVRITAT<I=E> VAL(ERIVS) VALENTINVS CIVIS ANA[A]VNVS PRO<BA=VI>TVS AN(N)OR<V=O>(M) VIGINTI MILITAVIT ANNOS DECE(M) VIXIT ANNOS TRIGINTA
"Aux Dieux Mânes et à la sécurité perpétuelle. Valerius Valentinus, citoyen anaune, incorporé à vingt ans, qui servit dix ans dans l'armée (et) qui vécut trente ans."
Sources
• X. Delamarre, (2003) - Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 440p. • X. Delamarre, (2004) - "Gallo-Brittonica : transports, richesse et générosité chez les anciens celtes", Zeitschrift für celtische Philologie, n°54, pp.121-132
• X. Delamarre, (2012) - Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne, Errance, Paris, 384p. • V. Kruta, (2000) - Les Celtes - Histoire et dictionnaire, Laffont, Paris, 1020p. • S. Marchesini & R. Roncador, (2016) - "Celts and Raetians in the central-eastern Alpine Region during the Second Iron Age : multidisciplinary research", in : I. Armit et al., (ed.), Cultural Encounters in Iron Age Europe, Archaeolingua, Series Minor, Budapest, pp.267-284
• S. Marchesini & L. Zaghetto, (2019) - "The Situla in Providence. A comprehensive analysis of inscription and decorative program", in : S. Hye & U. Tochterle (eds), UPIKU : TAUKE. Festschrift fur Gerhard Tomedi zum 65. Geburtstag, Bonn, pp.329-341
• F. Marzatico, (2011) - "I Reti in Trentino: Il Gruppo Fritzens-Sanzeno", in : G. Ciurletti & F. Marzatico (eds), Die Räter/I Reti, ArcheoAlp 5., Servizio Beni Culturali/Uffi cio Beni Archeologici, Trento, pp.467-504
• R. Roncador, (2017) - Celti e Reti. Interazioni tra popoli durante la seconda età del Ferro in ambito alpino centro-orientale, BraDypUs ed., Roma, 366p.
• U. Tecchiati, (1999) - "L'esperienza dell'altro. Scambi e relazioni transculturali nella preistoria e nella protostoria della regione alpina centrale", in : M. Cossetto (ed.), Fare Storia a Scuola, vol 2. Materiali di lavoro del gruppo di studio sulle fonti della storia locale, Istituto Pedagogico in Lingua Italiana, Bolzano/Bozen, pp.13-44
• Pierre Crombet pour l'Arbre Celtique
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique