L'audacieux stratagème des Tectosages (été / automne 189 av. J.-C.)
Alors que les troupes romaines et pergamiennes stationnaient à Ancyra (Ankara, province d'Ankara, Turquie), dans la foulée de l'évasion de Chiomara, une délégation de Tectosages se présenta au camps de Cnaeus Manlius Vulso. Les députés tectosages invitèrent le consul à venir à la rencontre de leurs chefs, afin d'entreprendre des négociations de paix. Lorsqu'il se présenta épaulé par 500 cavaliers, à mi-distance entre les deux armées, personne ne vint à sa rencontre, si bien qu'il rebroussa chemin (Polybe, Histoire générale, XXII, 22 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 25).
Dés son retour, d'autres députés tectosages se présentèrent de nouveau et supplièrent le consul d'accorder une nouvelle entrevue à leurs chefs. Cnaeus Manlius Vulso accepta ce nouveau rendez-vous, mais y envoya pour le représenter le jeune Attale (le futur Attale II de Pergame), accompagné par des tribuns, et 300 cavaliers. Cette fois-ci, la délégation galate se présenta au rendez-vous et des pourparlers de paix furent engagés. Cependant, les Tectosages prétextèrent que leurs chefs ne seraient présents que le lendemain, pour proposer de repousser d'une journée l'issue de ces négociations, et invitèrent Cnaeus Manlius Vulso à y prendre part (Polybe, Histoire générale, XXII, 22 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 25).
Suivant Polybe et Tite-Live, les Galates faisaient volontairement traîner les négociations de manière à transporter leurs femmes, enfants, esclaves, biens et prisonniers sur l'autre rive du fleuve Halys (le Kızılırmak). En parallèles, ils amenèrent près de 1000 cavaliers chargés d'enlever ou tuer le consul Cnaeus Manlius Vulso (Polybe, Histoire générale, XXII, 22 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 25).
Alors que le consul faisait route pour le point de rendez-vous, escorté par 500 cavaliers, un important détachement de fourrageurs (600 cavaliers) se joignit au cortège, espérant ainsi bénéficier de sa protection le temps de trouver de quoi ravitailler le camp romain. Lorsque les Romains atteignirent le lieu où devaient se tenir les tractations de paix, ils furent subitement attaqués par les cavaliers galates. L'attaque fut brutale et meurtrière, et les Romains ne purent la soutenir. Ils reculèrent, avant d'être mis en fuite et d'être pourchassés par les Galates. Le désastre aurait pu être total. Cependant, alerté par les cris de détresse de leurs compagnons, le détachement de fourrageurs revint sur ses pas, chargea les Galates et parvint à renverser la situation. Ce furent dés lors les Galates qui reculèrent et furent accablés de toutes parts. Suivant Polybe et Tite-Live, bien peu en réchappèrent et aucun prisonnier ne fut fait (Polybe, Histoire générale, XXII, 22 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 25).
Polybe, Histoire générale, XXII, 22 :"Les Romains, après leur victoire sur les Gaulois, étaient campés près d'Ancyre, et Cnéus se proposait déjà de pousser en avant, lorsque tout à coup se présentèrent des députés tectosages qui demandèrent au consul de laisser ses troupes où elles étaient et de se transporter le lendemain sur le terrain placé entre les deux armées, parce que leurs rois viendraient traiter avec lui de la paix. Cnéus y consentit, se présenta au rendez-vous avec cinq cents cavaliers et les rois ne parurent pas. À peine le consul était-il rentré dans son camp, que de nouveaux ambassadeurs vinrent excuser cette inexactitude par quelques vaines raisons, et le supplièrent d'accorder une seconde entrevue. Ils promirent que leurs chefs enverraient aussi les premiers officiers conférer avec lui au sujet d'un accommodement. Cnéus déclara qu'il ne manquerait pas de les aller trouver ; mais il demeura dans sa tente, et se fit remplacer par Attale, et par quelques tribuns, avec trois cents cavaliers. Les Galates vinrent en effet, suivant leurs promesses, parlèrent de la paix, puis ils finirent par dire qu'ils ne pouvaient rien terminer ni conclure, et que le lendemain leurs rois se transporteraient au même endroit pour mettre un terme à ces colloques, si Cnéus voulait bien y paraître lui-même. Attale promit que le consul viendrait, et on se sépara. Les Galates avaient ménagé ces délais et dirigé contre les Romains ces manoeuvres pour transporter au delà du fleuve Halys leurs femmes, leurs enfants, leurs esclaves, leurs biens, et faire prisonnier, s'il était possible, le général ennemi, ou bien le tuer. Pleins de cette idée, ils attendirent donc impatiemment l'arrivée des Romains avec mille cavaliers prêts à agir, et Cnéus, persuadé d'après le rapport d'Attale, que les rois seraient au rendez-vous, sortit de son camp, comme il avait coutume, suivi seulement de cinq cents cavaliers. Un heureux hasard sauva tout. Quelques jours auparavant, les soldats, chargés de faire des fourrages et du bois, s'étaient dirigés du côté où les cinq cents cavaliers qui formaient le cortège du consul leur servaient de point d'appui. Il en fut de même le jour de l'entrevue, et comme les fourrageurs sortirent en grand nombre, les tribuns ordonnèrent aux cavaliers qui avaient coutume de les suivre, d'incliner vers le lieu du rendez-vous. Ils le firent et ainsi fut prise sans le savoir la mesure nécessaire pour parer le péril qui menaçait."
Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 25 :"Dans son camp d'Ancyre, le consul reçut une ambassade des Tectosages, qui le priaient de ne point se mettre en mouvement qu'il ne se fût entendu avec les chefs de leur nation, assurant qu'à n'importe quelles conditions la paix leur semblait préférable à la guerre. On prit heure et lieu pour le lendemain, et le rendez-vous fut fixé à l'endroit même qui séparait Ancyre du camp des Gaulois. Le consul s'y rendit à l'heure dite avec une escorte de cinq cents chevaux, et, ne voyant arriver personne, rentra dans son camp. Peu après arrivèrent les mêmes députés gaulois pour excuser leurs chefs, retenus, disaient-ils, par des motifs religieux : les principaux de la nation allaient venir, et l'on pourrait aussi bien traiter avec eux. Le consul, de son côté, dit qu'il enverrait Attale : on vint cette fois de part et d'autre. Attale s'était fait escorter par trois cents chevaux. On arrêta les conditions, mais l'affaire ne pouvant être terminée en l'absence des chefs, il fut convenu que le lendemain, au même lieu, le consul et les princes gaulois auraient une entrevue. L'inexactitude des Gaulois avait un double but : d'abord, gagner du temps pour mettre à couvert leurs effets avec leurs femmes et leurs enfants de l'autre côté du fleuve Halys ; ensuite, faire tomber le consul lui-même, peu en garde contre la perfidie de la conférence, dans un piège qu'ils lui tendaient. À cet effet ils choisirent mille de leurs cavaliers d'une audace éprouvée ; et la trahison eût réussi, si le droit des gens, qu'ils se proposaient de violer, n'eût trouvé un vengeur dans la fortune. Un détachement romain, envoyé au fourrage et au bois, s'était porté vers l'endroit où devait se tenir la conférence ; les tribuns se croyaient en toute sûreté sous la protection de l'escorte du consul et sous l'oeil du consul lui-même. Cependant ils n'en placèrent pas moins eux-mêmes, plus près du camp, un second poste de six cents chevaux. Le consul, sur les assurances d'Attale, que les chefs gaulois se rendraient à l'entrevue et qu'on pourrait conclure, sortit de son camp et se mit en route avec la même escorte de cavalerie que la première fois. Il avait fait environ un mille et n'était qu'à quelques pas du lieu du rendez-vous, lorsque, tout à coup, il voit à toute bride accourir les Gaulois qui le chargent en ennemis. Il fait halte, ordonne à sa cavalerie d'avoir la lance et l'esprit en arrêt, et soutient bravement le combat, sans plier ; mais bientôt, accablé par le nombre, il recule au petit pas, sans confusion dans ses rangs. Enfin, la résistance devenant plus dangereuse que le bon ordre n'était salutaire, tout se débande et prend précipitamment la fuite. Les Gaulois pressent les fuyards l'épée levée et se mettent à les tuer. Presque tout l'escadron allait être massacré, lorsque le détachement des fourrageurs, six cents cavaliers, se présentent tout à coup. Aux cris de détresse de leurs compagnons, ils s'étaient jetés sur leurs chevaux la lance au poing. Ils vinrent, tout frais, faire face à l'ennemi victorieux. Aussitôt la fortune change ; l'épouvante passe des vaincus aux vainqueurs, et la première charge met les Gaulois en déroute. En même temps, de toute la campagne, accourent les fourrageurs. Les Gaulois sont entourés d'ennemis. Les chemins leur sont coupés, la fuite devient presque impossible, pressés qu'ils sont par une cavalerie toute fraîche, alors que eux n'en pouvaient plus. Peu pari les Gaulois échappèrent. Quant à des prisonniers, on n'en fit pas ; tous expièrent leur perfidie par la mort. Les Romains, encore tout enflammés de colère, allèrent le lendemain, avec toutes leurs forces chercher l'ennemi."