Chiomara parvient à échapper à ses geôliers (été / automne 189 av. J.-C.)
À l'issue de la tragique bataille du mont Olympe, près de 40000 galates furent faits prisonniers, principalement des femmes et des enfants. Parmi ces captifs se trouvait Chiomara, l'épouse d'Ortiagon(1), principal chef des Tolistobogiens (Polybe, Histoire générale, XXII, 21 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 24). Tout ce que l'on sait sur cette dernière semble provenir de Polybe, lui-même, qui confie avoir échangé avec elle à Ταρσός / Tarsos (Tarse, province de Mersin, Turquie) (Histoire générale, XXII, 21), ce qu'affirme également Plutarque (Des vertus des femmes, 22). Après trois jours de marche, les troupes du consul Cnaeus Manlius Vulso arrivèrent à Ancyra (Ankara, province d'Ankara, Turquie), pour aller affronter les Tectosages. L'armée fit alors halte à 10 mille pas (2) de l'armée ennemie (Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 24).
Ce fut dans ce cadre que Chiomara, confiée à la garde d'un centurion grossier et débauchée, subit les pires outrages et fut violée par son geôlier (Polybe, Histoire générale, XXII, 21 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 24 ; etc.). La cupidité de ce dernier le poussa à tenter d'obtenir une forte rançon (3), en contrepartie de la libération de sa prisonnière. Le centurion agissait bien entendu de sa propre initiative. En effet, jamais les Romains et les Pergamiens n'auraient renoncé à une prisonnière de ce rang, grâce à laquelle il leur aurait été aisé de faire pression sur Ortiagon et les Tolistobogiens. Ainsi, en toute discrétion, il demanda à Chiomara de désigner un prisonnier, qui serait chargé d'aller réclamer le versement de cette rançon auprès des siens, ce qu'elle fit. Elle choisit sciemment parmi les prisonniers, un homme de confiance, l'un de ses esclaves. Le rendez-vous au cours duquel devait se faire l'échange fut fixé la nuit suivante (Polybe, Histoire générale, XXII, 21 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 24 ; Valère Maxime, Des dits et faits mémorables, VI, 2).
À l'endroit où devait se dérouler l'échange, le centurion vint avec sa captive à la rencontre des deux personnes chargées de lui remettre l'or. Là, deux traditions s'opposent. Polybe et Plutarque indiquent que Chiomara fit signe à l'un des Galates de tuer le tortionnaire, au moment où elle l'embrasserait et lui dirait adieu (Polybe, Histoire générale, XXII, 21 et Plutarque, Des vertus des femmes, 22). Suivant Tite-Live et Valère Maxime ce fut pendant que le centurion avide recomptait son or que l'un des Galates l'égorgea, puis lui coupa la tête (Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 24 ; Valère Maxime, Des dits et faits mémorables, VI, 2). Chiomara récupéra la tête de son geôlier, qu'elle enveloppa dans sa robe, et fit route pour regagner la résidence d'Ortiagon (Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, II, 11 ; Polybe, Histoire générale, XXII, 21 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 24). Arrivée auprès d'Ortiagon, Chiomara jeta la tête du centurion à ses pieds, avant de lui confier avoir été victime des pires sévices et de retrouver l'amour de son époux. Comme le précise Valère Maxime, "Son âme fut invincible, sa chasteté inviolable" (Des dits et faits mémorables, VI, 2).
Notons que les sources ne disent rien de la réaction du consul Cnaeus Manlius Vulso, suite à la disparition de Chiomara, ce qui amène penser qu'il ignorait lui-même avoir eu une si prestigieuse captive. Peut-être était-il avant tout préoccupé par l'imminence de la guerre contre les Tectosages ?
(2) 10 milia passuum équivalaient à environ 14,75 à 14,81 kilomètres.
(3)Tite-Live indique qu'il s'agissait d'une rançon d'un talent attique d'or, soit 25,92 kg (Histoire romaine, XXXVIII, 24).
Sources littéraires anciennes
Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, II, 11 :"La femme d'Orgiagonte, leur roi, déshonorée par un centurion, accomplit une action mémorable : elle s'échappa de sa prison, fit trancher la tête du soldat, et la porta à son mari."
Plutarque, Des vertus des femmes, 22 :"Dans la guerre où les Romains, sous la conduite de Manlius, vainquirent les Galates, Chiomare, femme d'Ortiagon, fut prise avec plusieurs autres Gauloises. Le centurion à qui elle était échue en partage, homme avare et débauché, abusa d'elle indignement. Mais ensuite, vaincu par son avarice, sur l'offre qu'on lui fit d'une grosse somme d'argent s'il voulait lui rendre la liberté, il y consentit, et la conduisit lui-même au bord d'un fleuve qui séparait le camp romain de celui des ennemis. Les Galates qui apportaient le prix de sa rançon, passèrent le fleuve, et comptèrent l'argent au centurion, qui leur remit Chiomare entre les mains. Elle fit signe à l'un d'eux de frapper le centurion, qui lui disait adieu en l'embrassant. Le Galate la comprit et abattit la tête du centurion. Chiomare la prit, l'enveloppa dans sa robe ; et lorsqu'elle fut auprès de son mari, elle la jeta toute sanglante à ses pieds. Son mari, étonné, lui dit : Ma femme, il est si beau de garder la foi. - Oui, répliqua-t-elle, mais il est plus beau encore de n'avoir laissé vivre qu'un seul des deux hommes qui ont joui de moi. Polybe dit avoir entretenu cette femme à Sardes, et avoir admiré sa grandeur d'âme et sa prudence."
Polybe, Histoire générale, XXII, 21 :"Cnéus et les Romains battirent les Gaulois, et Chiomara, femme d'Ortiagon, se trouva parmi les prisonnières tombées au pouvoir du vainqueur. Un centurion, qui s'était emparé d'elle, usa de l'occasion en soldat et lui fit violence. C'était un homme grossier, également passionné pour la débauche et pour l'argent : la cupidité fut la plus forte. On lui avait promis une grosse somme pour la rançon de la captive, et, afin de la rendre, il conduisit un jour cette femme en un endroit qu'une rivière coupait en deux ; mais à peine les Gaulois eurent-ils, au delà de la rivière, remis au centurion l'or convenu et reçu Chiomara, qu'elle fit signe à l'un d'eux de le frapper au moment où elle l'embrasserait et lui dirait adieu. Le Gaulois obéit et coupa la tête du Romain, qu'elle saisit et emporta enveloppée dans sa robe. Introduite près de son mari , elle lui jeta cette tête devant les pieds. Ortiagon étonné, lui dit : Femme, la fidélité est une belle chose. - Oui, répondit-elle ; mais il est encore plus beau qu'il n'y ait qu'un seul homme ayant joui de moi qui voit la lumière. J'ai eu l'occasion de parler à cette femme à Sardes et d'admirer sa sagesse et sa grandeur d'âme."
Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 24 :"Restait la guerre contre les Tectosages, qui n'avait pas encore commencé. Le consul marcha contre eux, et, au bout de trois journées, arriva à Ancyre, grande ville de la contrée, dont les ennemis n'étaient qu'à dix milles. Pendant la halte qu'il y fit, une captive se signala par une action mémorable. C'était la femme du chef Orgiago. Cette femme d'une rare beauté se trouvait, avec une foule de prisonniers comme elle, sous la garde d'un centurion, homme avide et débauché, vrai soldat. Voyant que ses propositions infâmes la faisaient reculer d'horreur, il fit violence à la pauvre captive que la fortune de la guerre mettait en sa puissance. Puis, pour pallier cette indignité, il flatta sa victime de l'espoir d'être rendue aux siens, et encore ne lui donna-t-il pas gratuitement cet espoir, comme eût fait un amant. Il fixa une certaine somme d'or, et, pour ne mettre aucun des siens dans sa confidence, il permit à la captive de choisir un de ses compagnons d'infortune qui irait traiter de son rachat avec ses parents. Rendez-vous fut donné près du fleuve : deux amis de la captive, deux seulement, devaient s'y rendre avec l'or la nuit suivante pour opérer l'échange. Par un hasard fatal au centurion, se trouvait précisément dans la même prison un esclave de la femme ; elle le choisit et, à la nuit tombante, le centurion le conduisit près des postes. La nuit suivante, se trouvent au rendez-vous les deux parents, et le centurion avec sa captive. On lui montre l'or ; pendant qu'il s'assure si la somme convenue y est (c'était un talent attique), la femme ordonne, dans sa langue, de tirer l'épée et de tuer le centurion penché sur sa balance. On l'égorge, on sépare la tête du cou, et, l'enveloppant dans sa robe, la captive va rejoindre son mari Orgiago. Celui-ci, échappé du mont Olympe, s'était réfugié dans sa maison. Avant de l'embrasser, elle jette à ses pieds la tête du centurion. Surpris, il lui demande quelle est cette tête, que veut dire une action si extraordinaire chez une femme. Viol, vengeance, elle avoua tout à son mari ; et, tout le temps qu'elle vécut depuis (ajoute-t-on), la pureté, l'austérité de sa conduite, soutint jusqu'au dernier moment la gloire de cette belle action conjugale."
Valère Maxime, Des dits et faits mémorables, VI, 2 :"Quand le consul Cn. Manlius eut détruit, sur le mont Olympe, une partie de l'armée des Gallo-Grecs et fait le reste prisonnier, [Chiomara] l'épouse d'Orgiago leur roi , femme d'une merveilleuse beauté, fut forcée de subir la brutale passion d'un centurion qui l'avait sous sa garde. Mais lorsqu'on fut arrivé à l'endroit où celui-ci avait fait dire aux parents de sa prisonnière d'apporter le prix de sa rançon, et qu'elle le vit occupé à examiner l'or et à en vérifier le poids, elle commanda aux Gallo-Grecs, dans la langue de son pays, de le tuer sous ses yeux. Ils obéirent, et lui coupèrent la tête. Elle se rendit, cette tête à la main, auprès de son époux, et, la jetant à ses pieds, elle lui apprit aussitôt et l'outrage et la vengeance. Y eut-il autre chose que le corps de cette femme au pouvoir de ses ennemis? Son âme fut invincible, sa chasteté inviolable. (An de Rome 564)."