Plusieurs sources antiques évoquent un type de bateau, considéré alors comme particulièrement singulier, de par les matériaux utilisés pour leur construction. Ils avaient la spécificité d'être faits en peaux tannées, cousues entre elles et fixées sur une armature en osier. D'après X. Delamarre (2003), le nom celtique ancien de ce type d'embarcation aurait été *corucos. Les esquifs de cuir coexistaient visiblement avec des bateaux bordés en bois, moins singuliers aux yeux des auteurs antiques. Leur usage des bateaux en cuir et osier a perduré tout au long du Moyen-Âge et s'est maintenu jusqu'à nos jours, de manière résiduelle dans les îles Britanniques. Les équivalents modernes de ces bateaux sont de deux types :
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En Irlande, le currach (var. curragh, corrach) est un bateau léger de forme allongées, adaptés à la navigation en mer. Les modèles actuels utilisés sur la côte ouest de l'Irlande ne dépassent pas 4 à 7 mètres de long, sont dotés d'une quille et manoeuvrés par des avirons. Des modèles plus grands ont existé par le passé, lesquels pouvaient atteindre 15 mètres de long. Ces bateaux long étaient également dotés d'une quille, et supportaient un ou deux mâts et des voiles, comme le montrent les dessins réalisés par le capitaine Thomas Philips au XVIIe s. Des modèles semblables ont été utilisés en Écosse et dans les Hébrides, jusqu'au XIXe s., voire le début du XXe.
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Le coracle (gallois : cwrwgl, corwgl) est une petite embarcation de forme ronde, ovale ou oblongue, à fond plat et dénuée de quille. Ce bateau est manoeuvré par un aviron, et uniquement utilisé pour la pêche au saumon sur les fleuves Teifi et Towy dans l'Ouest du Pays-de-Galles, sur le fleuve Severn dans le Shropshire, et sur le fleuve Boyne en Irlande. Il est tout à fait possible d'imaginer qu'initialement, ces petites embarcations aient pu être utilisées comme annexes de bateaux plus importants.
On en trouve les plus anciennes descriptions dans les Rivages maritimes d'Aviénus (v.93-108), ouvrage du IVe s. ap. J.-C., rédigé à partir de sources nettement plus anciennes, remontant principalement aux VIe-IVe s. av. J.-C. En outre, on en connaît une description de Timée de Tauroménion, probablement rédigée à la transition du IVe et du IIIe s. av. J.-C., et conservée dans plusieurs passages de l'Histoire naturelle de Pline (IV, 104 ; VII, 206 ; XXXIV, 156). Dans ces différents cas, ils sont mentionnés pour avoir été utilisés dans le transport du plomb et de l'étain entre la Grande-Bretagne, les îles Oestrymnides / Cassitérides et la Gaule (Cf. fiche relative à la route de l'étain). En outre, les descriptions d'Aviénus (Rivages maritimes, v.93-108), de Solin (Polyhistor, XXIII) et de Dion Cassius (Histoire romaine, XLVIII, 18) témoignent du fait que les modèles antiques étaient adaptés au transport de charge et à la navigation hautaine à travers la Manche, la mer Celtique et la mer d'Irlande.
Les deux modèles actuels, celui de forme allongée (currach) et celui, plus petit de forme ronde ou oblongue (coracle) existaient déjà dans l'antiquité. Le premier est le seul qui soit adapté à la navigation hautaine et, de ce fait, celui qui devait être utilisé à travers la Manche, la mer Celtique et la mer d'Irlande. C'est probablement ce modèle qui fut reproduit par les troupes de César pour franchir les rivières Sicoris et Cinga, dont les ponts avaient été abattus par Lucius Afranius (49 av. J.-C.). à cette occasion, César en fournit une description assez précise, indiquant que ces bateaux possédaient une quille et des bans en bois léger, fixés sur un corps en osier tressé recouvert de cuir (César, Guerre civile, I, 54 ; Lucain, Pharsale, IV, v.130-143). Par contre, les bateaux construits par les troupes de Quintus Salvidienus Rufus, pour tenter de vaincre Sextus Pompée sur les côtes du Rhegium (42 av. J.-C.), furent de toute évidence des embarcations de type coracle, bien que Dion Cassius indique que les Bretons les utilisaient sur l'Océan. En effet, l'auteur assure qu'ils avaient une forme de bouclier sphérique. C'est très probablement l'inadaptation de ces esquifs à la navigation en mer qui fit qu'il renonça à son projet (Histoire romaine, XLVIII, 18).
Ces embarcations d'osier et de cuir ont été au coeur d'un certain nombre d'épisodes de la vie de saints celtes du Haut-Moyen Âge. C'est d'ailleurs à l'occasion de ces récits que l'on trouve la plus anciennes attestations du leur nom, sous la forme latinisée curuca (Cassard, 1986).
Notons que d'autres populations d'Europe ont utilisé ces mêmes types d'embarcations dans l'antiquité. Ainsi, Strabon indique que les Lusitaniens ne connaissaient que les bateaux en cuir avant les campagnes de Decimus Iunius Brutus (138-137 av. J.-C.) (Géographie, III, 3, 7). Lucain rapporte que les Vénètes voisins du Pô utilisaient le même type d'embarcation que les bateaux fabriqués par les troupes de César en 49 av. J.-C., inspirés de modèles britanniques (Pharsale, IV, v.130-143). Enfin, dans son Panégyrique prononcé en l'honneur d'Avitus Auguste, son beau-père (rédigé en 456-457), Sidoine Apollinaire indique que les Armoricains subissaient des raids de Saxons, qui atteignaient leurs côtes "sur des esquifs de peaux cousues ensemble" (v.369-371).
Sources littéraires anciennes
Aviénus, Rivages maritimes, v.93-108 :"Au pied de ce promontoire, les habitants voient s'ouvrir le golfe Oestrymnicus : les îles Oestrymnides y apparaissent, avec leurs vastes plaines, avec leurs riches mines d'étain et de plomb. Elles sont très peuplées, leurs habitants ont le coeur fier, l'habileté qui amène le succès, la passion innée du commerce. Leurs barques connues de la mer la troublent au loin. Ils sillonnent l'abîme de l'océan fécond en monstres. Ils ne savent point construire des vaisseaux avec le pin et l'érable ; ils ne font point, suivant l'usage, des barques avec le sapin recourbé ; mais, chose singulière ! ils façonnent toujours leurs esquifs avec des peaux cousues ensemble, et c'est sur du cuir qu'ils parcourent souvent le vaste Océanide là à l'île Sacrée (c'est ainsi que les anciens l'ont appelée), il y a pour un vaisseau une navigation de deux jours."
César, Guerre civile, I, 54 :"Dans cette extrémité, tous les passages étant fermés par l'infanterie et la cavalerie d'Afranius, et comme on ne pouvait achever les ponts, César ordonne aux soldats de construire. des bateaux pareils à ceux dont il avait autrefois appris à se servir, en Bretagne : la quille et les bancs étaient d'un bois léger, et le reste du corps de ces bateaux d'osier tressé et recouvert de cuir. Lorsqu'ils sont terminés, il les fait transporter la nuit sur des chariots accouplés à vingt-deux mille pas de son camp, fait passer le fleuve à ses soldats sur ces bateaux, et s'empare à l'improviste d'une hauteur attenant au rivage."
Dion Cassius, Histoire romaine, XLVIII, 18 :"César, jusque-là, n'avait pris aucune attention à Sextus, tant par dédain pour lui que par suite de l'embarras où l'avaient mis les événements: mais, quand la famine eut enlevé à Rome une foule d'habitants et que Sextus eut fait une tentative contre l'Italie, alors il commença à équiper une flotte, et envoya en avant à Rhegium Salvidienus Rufus avec de nombreuses troupes. Celui-ci chassa Sextus de l'Italie, et, après la retraite de l'ennemi en Sicile, essaya de construire, à l'imitation de ceux qui naviguent sur l'Océan, des bateaux de cuir, qu'il soutenait intérieurement par de légères pièces de bois, tendant sur l'extérieur un cuir de boeuf cru, en forme de bouclier sphérique. Mais, ayant fait rire de lui, et croyant qu'il était dangereux d'essayer de s'en servir pour traverser le détroit, il renonça à ces bateaux et affronta le passage avec la flotte, qui était équipée et qui l'avait rejoint, mais il ne put l'effectuer. En effet, le nombre et la dimension de ses vaisseaux le cédaient de beaucoup à l'habileté et à l'audace de ses adversaires. César, qui vit de ses yeux ce combat, la chose s'étant passée à l'époque de son expédition en Macédoine, fut vivement affligé de cet échec, surtout à la suite d'un premier engagement. "
Lucain, Pharsale, IV, v.130-143 :"Dès que le Sicoris a découvert les champs et repris ses bords, des barques faites de saules blanchissants et revêtues de la dépouille des taureaux traversent le fleuve docile tout enflé qu`il est. Ainsi le Vénète passe le Pô débordé, et le Breton l'Océan. Ainsi, lorsque le Nil couvre les plaines de l'Égypte, l'humide papyrus porte l'habitant de Memphis. Les soldats de César vont au delà du fleuve abattre des forêts pour élever un pont. Mais dans la crainte d'un nouveau débordement. César ne veut pas que le pont se termine aux deux rives. Il le prolonge au loin dans la campagne, et ouvrant au fleuve divers canaux, il l'affaiblit en le divisant, comme pour le punir d'avoir enflé ses eaux."
Pline, Histoire naturelle, IV, 104 :"Timée l'historien dit qu'à six jours de navigation de la Bretagne, et en deçà, est l'île Ictis, qui produit le plomb blanc ; que les Bretons s'y rendent dans des barques d'osier garnies de cuir. On cite encore d'autres îles, Scandia, Dumna, Bergos et Narigon, la plus grande de toutes, où l'on s'embarque pour Thulé ; de Thulé, un jour de navigatlon mène à la mer glacée, appelée par quelques-uns Cronienne."
Pline, Histoire naturelle, VII, 206 :"Danaüs arriva le premier sur un vaisseau d'Égypte en Grèce; auparavant on naviguait sur des radeaux inventés dans la mer Rouge pour la navigation entre les îles, par le roi Érythras. Des auteurs prétendent que les Mysiens et les Troyens les ont Inventés les premiers pour traverser l'Hellespont en allant contre les Thraces. Aujourd'hui encore, dans l'océan Britannique, on fait des bateaux en osier garnis de cuir ; sur le Nil, en papyrus, en joncs et en roseaux."
Pline, Histoire naturelle, XXXIV, 156 :"Passons à l'histoire du plomb. Il y en a de deux sortes, le noir et le blanc. Le blanc est très précieux ; les Grecs l'ont appelé cassitéros, et ils ont répandu la fable qu'on le tirait des îles de l'océan Atlantique, et qu'on l'apportait dans des barques d'osier revêtues de cuir. "
Sidoine Apollinaire, Panégyrique prononcé en l'honneur d'Avitus Auguste, son beau-père, v.369-371 :"D'autre part, les côtes de l'Armorique redoutaient le pirate saxon, pour qui c'est un jeu de sillonner la mer de Bretagne, et de fendre les vagues azurées sur des esquifs de peaux cousues ensemble."
Solin, Polyhistor, XXIII :"La mer qui sépare l'Hibernie de la Bretagne est toute l'année houleuse, agitée ; elle n'est navigable que pendant très peu de jours : or, les Hiberniens naviguent dans des nacelles formées de bois pliants et recouvertes de peaux de boeufs. Tant que dure la navigation, ils s'abstiennent de nourriture. La largeur du détroit est de cent vingt mille pas, d'après les appréciations les plus probables."
Strabon, Géographie, III, 3, 7 :"Antérieurement à l'expédition de Brutus, ces peuples (Lusitaniens) ne se servaient que de bateaux de cuir pour traverser les estuaires et étangs de leur pays ; aujourd'hui ils commencent aussi à avoir des canots creusés dans un seul tronc d'arbre, mais l'usage en est encore peu répandu."
Sources
• J.-C. Cassard, (1988) - "Les navigations bretonnes aux temps carolingiens", in : M. Balard (dir.), L'Europe et l'Océan au Moyen Age. Contribution à l'Histoire de la Navigation, Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 17e congrès, Nantes, 1986, C.I.D. Editions, Paris, pp.19-36
• X. Delamarre, (2003) - Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 440p. • Julien Quiret pour l'Arbre Celtique