• Tite-Live : Histoire romaine, XXXVIII, 24, Traduction de : Richard Adam, 1982, Paris, Les Belles Lettres
Texte:
[...] l'épouse du roi Orgiago [Chiomara], femme d'une beauté remarquable, était gardée avec plusieurs prisonniers ; un centurion libidineux et cupide, comme le sont les soudards, commandait la geôle. Il tenta d'abord de la séduire : la voyant refuser avec horreur de se livrer volontairement, il profita de la servitude où la fortune avait placé son corps et la viola. Puis, pour atténuer le sentiment de déchéance dû au viol, il fait miroiter à la femme l'espoir de retrouver les siens, mais non pas comme aurait dû faire un amant, sans rançon ; il fixa un certain poids d'or, et, pour ne pas mettre d'autre Romain dans le secret, permit à la femme d'envoyer un prisonnier de son choix porter un message à sa famille. Il désigne un endroit proche de la rivière où deux serviteurs de la prisonnière, pas davantage, se rendront la nuit suivante avec l'or, pour la recevoir. Le hasard voulut qu'un des esclaves de la femme fût emprisonné dans la même geôle. C'est ce messager que le centurion fait sortir du camp au début de la nuit. La nuit suivante, deux serviteurs de la femme vinrent au rendez-vous, ainsi que le centurion accompagné de la prisonnière. Quand ils eurent présenté assez d'or pour constituer la somme convenue, qui était d'un talent attique, la femme leur ordonna dans sa langue de tirer leurs épées et de tuer le centurion pendant qu'il pesait son or. Ils l'égorgèrent, et c'est en portant elle-même la tête coupée enroulée dans son vêtement qu'elle rejoignit son mari Orgiago, qui de l'Olympe s'était réfugié chez lui ; avant de l'embrasser, elle jeta à ses pieds la tête du centurion ; et comme il demandait, étonné, quelle était cette tête d'homme et quel était cet acte bien peu féminin, elle avoua à son mari l'indignité subie et la vengeance tirée de cet outrage à sa vertu, et on raconte qu'elle garda jusqu'à son dernier jour, dans toute sa conduite chaste et digne, l'honneur de cet acte de femme honnête.