En 12 av. J.-C., Nero Claudius Drusus avait fait creuser un canal reliant le Rhin au lac Flevo, afin de juguler les incursions germaniques en facilitant l’intervention de la Classis Germanica, la "flotte germanique", c’est à dire la marine militaire romaine opérant sur le Rhenus (le Rhin). Selon toute vraisemblance, cet ouvrage fut par la suite complété par une vaste digue, dont la principale fonction était de contenir les eaux du Rhenus. Tacite mentionne cette digue à deux reprises, et fournit par la même occasion le seul indice connu en termes de datation. En effet, évoquant le projet de canal de Lucius Antistius Vetus et les travaux menés sur cette même digue par les soldats de Paulinus Pompeius, il indique que Drusus l’avait faite ériger soixante-trois ans plus tôt.
Ce passage de l’oeuvre de Tacite est traditionnellement reporté à l’année 58 ap. J.-C., ce qui n’est pas sans poser de nombreuses difficultés. En effet, il impliquerait que Nero Claudius Drusus avait fait ériger cette digue à partir de 6 av. J.-C., alors qu’il était mort trois ans plus tôt. Depuis longtemps cette anomalie a été relevée. Sur les conseils de W. Weber, W. Vollgraff (1940) a proposé de corriger la mention LXIII annos (63 ans) qui figure sur la texte latin, par LXVII annos (67 ans), ce qui ramènerait l’évènement à 9 av. J.-C. La lecture attentive de ce passage des Annales de Tacite offre une autre possibilité. En effet, l’auteur ouvre ce chapitre sur les affaires des provinces de Germanie en expliquant que pendant un certain nombre d’années, tout y avait été tranquille et que ce fut dans ce cadre que les soldats de Paulinus Pompeius achevèrent la digue de Drusus, tandis que Lucius Antistius Vetus élaborait son projet de canal. Les passages suivants illustrent quant à eux du fait que cette période de quiétude prit effectivement fin en 58 ap. J.-C., lorsque Lucius Duvius Avitus, le successeur de Paulinus Pompeius à la tête de la province de Germanie inférieure, dut juguler les incursions des Frisons et des Ampsivariens (XIII, 54-56). D’après ces mêmes Annales de Tacite, il est en effet possible d’affirmer qu’il n’y eut aucun trouble notable en Germanie depuis la brève incursion opérée par les Chattes en 50 ap. J.-C. (XII, 27-28), ce qui permet d’envisager une période de calme couvrant la période 50-58 ap. J.-C. Par ailleurs Tacite indique que Titus Curtilius Mancia était à la tête de la Germanie supérieure lorsque les Germains se firent de nouveau menaçants en 58 ap. J.-C. (XIII, 56). Phlégon de Tralles indique quant à lui que ce même homme occupait cette fonction depuis 56 ap. J.-C. (Des choses merveilleuses, fragm. 56), ce qui implique que le gouvernement de la Germanie supérieure par Lucius Antistius Vetus ne fut que très ponctuel, entre sa sortie de charge de consul, en avril 55, et l’arrivée de Titus Curtilius Mancia, au début de l’année 56 ap. J.-C. Ainsi, il n'est pas nécessaire de modifier ce passage de Tacite pour dépasser cette apparente incohérence. L'évènement décrit se rapporte sans nul doute à l’année 55 ap. J.-C., ce qui permet de dater la construction de la digue de Drusus de l’année 9 av. J.-C.
Comme l’indique Tacite, la principale fonction de la digue de Drusus était de contenir les eaux du Rhenus, fleuve qui, dans cette région, était sujet à de fréquents débordements et avulsions. Ainsi, la digue protégeait les régions adjacentes, et permettait d’aménager sur ses rives des infrastructures durables, en contraignant le fleuve à conserver son lit. En outre, Tacite (Histoires, V, 19) et une inscription antique provenant de Herwen, localité de la commune de Zevenaar (province de Gueldre, Pays-Bas), indiquent que cet ouvrage était précédé par un môle (AE 1939, 130). D’après les travaux récent de J. G. M. Verhagen, ce môle avait pour fonction de détourner une partie des eaux du Waal (branche méridionale du Rhin) depuis Carvium (Herwen), en amont de l’île des Bataves (la Betuwe), afin de soutenir le débit du Neder-Rijn (branche septentrionale du Rhin), défluent par lequel le canal de Drusus était accessible (Verhagen, 2022 ; Verhagen et al., 2017 ; 2022). Suivant l’hypothèse retenue par J. G. M. Verhagen pour l’emplacement de ce canal, la digue se prolongeait ensuite sur la rive gauche du Neder-Rijn jusqu’au niveau de Fectio (Vechten, Bunnik, province d'Utrecht, Pays-Bas), face à laquelle se trouvait fort vraisemblablement l’entrée du canal.
Sources littéraires anciennes
Tacite, Annales, XIII, 53 :"Jusqu'à cette époque tout avait été tranquille en Germanie, par la politique de nos généraux, qui, voyant prodiguer les décorations triomphales, espéraient trouver dans le maintien de la paix un honneur moins vulgaire. Paulinus Pompeius et L. Vetus avaient alors le commandement des armées. Afin de ne pas laisser le soldat oisif, Paulinus acheva la digue commencée depuis soixante-trois ans par Drusus, pour contenir le Rhenus. Vetus se disposait à joindre la Mosella et l’Arar par un canal au moyen duquel les troupes, après avoir traversé la Méditerranée, remonté le Rhodanus et l’Arar, seraient entrées dans la Mosella, puis dans le Rhenus, qu'elles auraient descendu jusqu'à l'Océan. On eût évité par là des marches difficiles, et la navigation aurait uni les rivages du nord à ceux du couchant. Aelius Gracilis, lieutenant de Belgique, lui envia l'honneur de cette entreprise, en le détournant de conduire ses légions dans une province qui n'était pas la sienne, et de chercher dans les Gaules une popularité qui alarmerait l'empereur ; crainte qui fait échouer souvent les plus louables desseins."
Sources
• J. G. M. Verhagen, (2022) - Tussen de Dam van Drusus en de Zuilen van Hercules : Romeinse waterwerken in de Rijn-Maasdelta. PhD-Thesis - Research and graduation internal, Vrije Universiteit Amsterdam, Fagus. 320p.
• J. G. M. Verhagen et al., (2017) - "Geoarchaeological prospection for Roman waterworks near the late Holocene Rhine-Waal delta bifurcation, the Netherlands", Catena, vol.149, pp.460-473
• J. G. M. Verhagen et al., (2022) - "The option of Roman canal construction by Drusus in the Vecht river area (the Netherlands) : a geoarchaeological approach", Netherlands Journal of Geosciences, vol.101, 23p.
• W. Vollgraff, (1940) - "Les travaux de Drusus dans la Germanie Inférieure", Revue des Études Anciennes, tome 42, n°1-4, pp.686-698
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique