Decimus Iunius Brutus écrase les brigands lusitaniens et les Bracares (137 av. J.-C.)
Après avoir pris position sur la rive droite du Tagus, Decimus Iunius Brutus mena une vaste campagne contre les populations de l'ouest de la Lusitanie et des bandes venues de Galice, tenues pour responsables de pillages. Les Romains renoncèrent à suivre ces brigands qui sévissaient le long des rives du Τάγος (le Tage), du Λήθης (la Limia), du Δόριος (le Douro) et du Βαίτις (le Guadalquivir), qui, de par leur mobilité, échappaient facilement à leurs poursuiveurs. À la place, les Romains privilégièrent l'idée d'attaquer directement les villes d'où venaient les pillards, pour les contraindre à venir défendre leurs foyers (Appien, Ibérique, XV, 71). D'après les quelques indications données par Appien, les populations qui subirent cette offensive furent essentiellement les Turdules Oppidans et les Turdules Veteres.
Cette campagne fut extrêmement violente, puisque Appien précise que les Romains tuèrent toutes les personnes rencontrées, contraignant la population à trouver refuge dans les montagnes. En revanche, lorsque ces populations demandèrent aux Romains à être pardonnées, le pardon leur fut accordé, moyennant la cession de leurs biens et la livraison d'otages (Ibérique, XV, 71 ; 72).
Les troupes romaines s'avancèrent vers le nord de la Lusitanie, franchissant un à un les fleuves de la région. Les historiens anciens ont particulièrement insisté sur le franchissement du fleuve Limaeas, alors identifié comme étant le mythique Λήθης "Léthé", ou Oblivio(1), soit la Limia. D'après Appien (Ibérique, XV, 72) et Plutarque (Questions romaines, XXXIV), ce fut dans le cadre de cette campagne de Decimus Iunius Brutus que pour la première fois, des Romains franchirent ce fleuve. Cette première fut redoutée par les soldats romains, qui refusèrent de franchir ce fleuve, de crainte de commettre un sacrilège. Ce ne fut que lorsque Decimus Iunius Brutus s'empara d'un étendard avant de s'avancer dans les eaux, que ses soldats lui suivirent (Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, II, 17 ; Tite-Live, Periochae, LV).
Au-delà, Appien indique que les Romains poursuivirent leur offensive jusqu'au fleuve Νίμιος(2), l'actuel Minho, pour attaquer les Bracares. Ses dernier furent, en effet, accusés d'avoir pillé un convoi de vivres. Il parvint visiblement à les vaincre, mais les détails de cette attaque ne nous sont pas connus, bien qu'elle fut relatée par de nombreux auteurs, tels que Appien (Ibérique, XV, 72), Eutrope (Abrégé de l'Histoire romaine, IV, 8), Florus (Abrégé de l'Histoire romaine, II, 17), Tite-Live (Periochae, LVI) et Velleius Paterculus (Histoireromaine, II, 5). Ce fut là la seconde intervention romaine contre des populations de Galice, après celle menée par Quintus Servilius Caepio (140 av. J.-C.).
Dans le cadre de cette campagne en Lusitanie et en Galice, Decimus Iunius Brutus s'empara d'un riche butin et prit près de trente ville d'assaut (Tite-Live, Periochae, LV ; Velleius Paterculus, Histoireromaine, II, 5). La soumission de certaines d'entre elles fut néanmoins précaire, si bien que certaines se révoltèrent peu après leur reddition, entraînant la reprise des hostilités. Le cas le mieux documenté est celui de la révolte de Talabriga.
Notes
(1) Dans la mythologie grecque, Λήθη / Léthé, la personnification de l'"oubli" (oblīuio en latin), était la fille d'Ἔρις / Éris, la personnification de la "discorde". Le fleuve de ce nom séparait les Enfers, du monde de la vie. Là, les âmes ayant expié leurs fautes, pouvaient obtenir la faveur de revenir habiter le corps d'un vivant, après avoir perdu le souvenir de leurs vies antérieures, en buvant l'eau de ce fleuve.
(2) Il s'agît d'une forme fautive pour Μίνιος, le Minius des latins. Relatant ce même événement, Strabon nomme ce même fleuve Βαῖνις "Baenis" (Géographie, III, 3, 4).
Sources littéraires anciennes
Appien, Ibérique, XV, 71 :"Suivant l'exemple de Viriathe, beaucoup d'autres bandes de brigands firent des incursions en Lusitanie et la ravagèrent. Sextus Junius Brutus, qui fut envoyé contre eux, renonça à les suivre dans ce vaste pays limité par des fleuves navigables, le Tage, le Lethe, le Durios et le Baetis, parce qu'il considérait qu'il était extrêmement difficile de les rattraper alors qu'ils passaient d'un endroit à l'autre à la façon des voleurs : il eût été honteux pour lui de ne pas y arriver, mais la victoire n'aurait pas été très glorieuse. Il se retourna contre leurs villes, pensant qu'il se vengerait ainsi sur elles, et en même temps prendrait quantité de butin pour son armée, et que les voleurs se disperseraient, chacun de son côté, quand leurs maisons seraient menacées. Dans cette idée, il commença à tuer qui il rencontrait sur sa route. Les femmes combattaient et périssaient en compagnie des hommes avec un tel courage qu'elles ne poussaient aucun cri même au milieu du carnage. Certains des habitants se sauvèrent dans les montagnes avec ce qu'ils pouvaient emporter, et quand ces derniers demandèrent le pardon, Brutus le leur accorda, prenant leurs biens comme amende."
Appien, Ibérique, XV, 72 :"Il traversa alors le fleuve Durios, portant la guerre partout et prenant des otages chez ceux qui se rendaient, jusqu'à ce qu'il arrivât au fleuve Lethe. Il fut le premier des Romains à penser traverser ce fleuve. L'ayant traversé, il avança vers un autre fleuve appelé le Nimis, où il attaqua les Bracari parce qu'ils avaient pillé un convoi de vivres. C'étaient des peuples très guerriers. Les femmes combattaient avec les hommes, qui ne se retournaient jamais, ne montraient jamais leurs dos et ne poussaient jamais de cris. Parmi les femmes qui furent capturées, certaines se tuèrent, d'autres tuèrent leurs enfants de leurs propres mains, préférant la mort à la captivité. Il y eut quelques villes qui se rendirent à Brutus et qui se révoltèrent peu après. Brutus les réduisit de nouveau."
Eutrope, Abrégé de l'Histoire romaine, IV, 8 :"À cette époque mourut Attale, roi d'Asie et frère d'Eumène, après avoir institué le peuple romain son héritier. Ainsi l'Asie fut ajoutée par testament à l'empire romain. Bientôt après, Decimus Junius Brutus triompha avec beaucoup de gloire des Galiciens et des Lusitaniens ; P. Scipion l'Africain triompha aussi des Numantins, quatorze ans après son premier triomphe sur l'Afrique."
Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, II, 17 :"Décimus Brutus, s'avançant un peu plus loin, soumit les Celtes, les Lusitaniens, tous les peuples de la Galice et la région du fleuve de l'Oubli, redouté des soldats. Il parcourut en vainqueur le rivage de l'océan et ne revint sur ses pas qu'après avoir vu le soleil se coucher dans la mer, et ses rayons disparaître sous les eaux ; ce ne fut d'ailleurs pas sans la crainte d'avoir commis un sacrilège, ni sans éprouver une religieuse horreur."
Plutarque, Questions romaines, XXXIV :"Pourquoi Brutus, au rapport de Cicéron, faisait-il les expiations pour les morts au mois de décembre, tandis que les autres Romains les faisaient dans le mois de février ? Ce Brutus est celui qui entra dans la Lusitanie et passa le premier le fleuve d'oubli [...]."
Strabon, Géographie, III, 3, 4 :"Le Baenis fut le terme des opérations de Brutus ; mais on trouverait plus loin encore d'autres cours d'eau coulant parallèlement aux précédents."
Tite-Live, Histoire romaine (Periochae), LV :"D. Junius Brutus emporte trente villes d'assaut, et soumet toute la Lusitanie jusqu'au couchant et à l'Océan. Ses soldats refusant de passer le fleuve Oblivio, il arrache un étendard des mains de celui qui le porte, traverse le fleuve et se fait suivre ainsi de son armée."
Tite-Live, Histoire romaine (Periochae), LVI :"Dans l'Espagne ultérieure D. Junius Brutus remporte une victoire sur les Gallèques. Moins heureux dans un combat contre les Vaccéens, le proconsul M. Aemilius Lépidus renouvelle le désastre numantin. Pour délier le peuple romain de la foi due au traité conclu par Mancinus, on livre son auteur aux Numantins qui ne veulent pas le recevoir."
Velleius Paterculus, Histoireromaine, II, 5 :"Avant l'époque de la destruction de Numance, eut lieu en Espagne la brillante expédition de Décimus Brutus. Pénétrant chez tous les peuples espagnols, il s'empara d'un grand nombre d'hommes et de villes, s'avança jusqu'en des régions aux noms à peine connus et mérita le surnom de Gallaecus."