Le siège de l'oppidum des Atuatuques (fin de l'été 57 av. J.-C.)
Alors qu'ils étaient en route pour se joindre aux Nerviens, Viromanduens et Atrébates, les Atuatuques apprirent qu'ils furent défaits lors de la bataille de la Sambre. N'ignorant aucunement qu'ils seraient prochainement visés par les Romains, les Atuatuques firent marche arrière et regagnèrent leur territoire pour organiser leurs défenses. Ils abandonnèrent leurs villes et forts, et se rassemblèrent avec leurs biens dans le oppidum principal, qui occupait une position fort avantageuse et puissamment fortifiée (César, Guerre des Gaules, II, 29 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 3).
Les Romains purent avancer sans encombre jusqu'à cet oppidum. Ils travaillèrent immédiatement à l'édification d'une circonvallation de 15000 pas de périmètre, pour 12 pieds de haut (1), garnie de nombreux forts, sans être notablement freinés par les fréquentes sorties des Atuatuques. Lorsque ces travaux furent achevés, les Romains firent avancer leurs mantelets et une terrasse fut aménagée, rapidement surmontée d'une tour d'assaut (Guerre des Gaules, II, 30). Dans un premier temps, les assiégés s'amusèrent des dimensions de cette tour, perçue comme trop massive pour pouvoir être approchée suffisamment de leurs défenses. Leur attitude changea radicalement lorsqu'ils virent les Romains parvenir à la faire avancer et approcher de leurs enceintes (César, Guerre des Gaules, II, 31 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 3).
Suivant César, les Atuatuques furent frappés par cette manoeuvre, tellement impressionnante qu'elle ne pouvait avoir été réalisée qu'avec l'assistance des dieux. Dans ces circonstances, ils firent parvenir des députés à César pour annoncer leur reddition et implorer sa clémence. Ils ne formulèrent qu'une seule demande aux Romains, celle de pouvoir conserver leurs armes. En effet, les Atuatuques se disaient détestés par les populations voisines (2). César rejetta cette dernière demande, exigea la remise de l'ensemble des armes, mais promit en contrepartie aux Atuatuques de bénéficier de la même protection que celle promises aux Nerviens au moment de leur capitulation (Guerre des Gaules, II, 31-32). Les assiégés acceptèrent cette disposition, préalable à l'acceptation de leur capitulation, et jetèrent leurs armes depuis le rempart, lesquelles comblèrent finalement le fossé, avant d'ouvrir les portes de leur ville aux Romains (Guerre des Gaules, II, 32).
Les Romains inspectèrent la ville de manière à vérifier la réalité des bonnes dispositions des Atuatuques, avant de s'en retirer pour s'assurer que les soldats ne se livrassent à aucune exaction pendant la nuit. Contre toute attente, cette subite capitulation apparut rapidement comme un habile stratagème. En effet, les Atuatuques avaient dissimulé au regard des Romains près du tiers de leurs armes (Guerre des Gaules, II, 32). Ils façonnèrent des boucliers d'osier couverts de cuire, et au beau milieu de la nuit sortirent de leur ville pour se précipiter sur les défenses romaines. Ils espéraient que l'annonce de leur reddition ait conduit à un relâchement dans la défense des accès aux retranchements romains. Les Romains réagirent aussitôt et livrèrent une bataille acharnée, depuis des positions avantageuses. L'assaut des Atuatuques fut un echec et 4000 d'entre eux furent tués (César, Guerre des Gaules, II, 33 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 3).
Lorsque le jour fut levé, les Romains défoncèrent les portes de la ville, que plus aucun soldat ne défendait, puis vendirent à l'encan les 53000 Atuatuques qui y avaient trouvé refuge, ainsi que leurs biens (César, Guerre des Gaules, II, 33 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 3). Ce dernier fait d'armes mit un terme à la guerre contre les Belges.
Notes
(1) Soit 22,1 kilomètres de périmètre, pour 3,5 mètres de haut.
(2) Si cette détestation était bien réelle, peut-être était-elle la résusltante du fait qu'ils descendaient des Cimbres et des Teutons qui dévastèrent la Gaule quelques décennies plus tôt ?
Sources littéraires anciennes
César, Guerre des Gaules, II, 29 :"Les Atuatuques, dont il a été parlé plus haut, venaient avec toutes leurs troupes au secours des Nerviens ; dès qu'ils apprirent l'issue de la bataille, ils rebroussèrent chemin et retournèrent chez eux. Ayant abandonné leurs villes et leurs forts, ils se retirèrent avec tout ce qu'ils possédaient dans une seule place, admirablement fortifiée par la nature. Environnée sur tous les points de son enceinte par des rochers à pic et de profonds précipices, elle n'était accessible que d'un côté, par une pente douce, large d'environ deux cents pieds, et ils avaient pourvu à la défense de cet endroit au moyen d'une double muraille très élevée, en partie formée d'énormes quartiers de rocs et de poutres aiguisées."
César, Guerre des Gaules, II, 30 :"À l'arrivée de notre armée, ils firent d'abord de fréquentes sorties et engagèrent de petits combats contre nous ; mais, quand nous eûmes établi une circonvallation de douze pieds de haut, dans un circuit de quinze milles, qu'elle fut garnie de forts nombreux, ils se tinrent renfermés dans la place. Lorsqu'ils virent de loin qu'après avoir posé les mantelets et élevé la terrasse, nous construisions une tour, ils se mirent à en rire du haut de leurs murailles, et à nous demander à grands cris ce que nous prétendions faire, à une si grande distance, d'une si énorme machine ; avec quelles mains, avec quelles forces des nains comme nous (car la plupart des Gaulois, à cause de l'élévation de leur taille, méprisent la petitesse de la nôtre) espéraient approcher de leurs murs une tour d'un si grand poids."
César, Guerre des Gaules, II, 31 :"Mais, dès qu'ils la virent se mouvoir et s'approcher de leurs murailles, frappés de ce spectacle nouveau et inconnu, ils envoyèrent à César, pour traiter de la paix, des députés qui lui dirent : - Nous ne doutons plus que les Romains ne fassent la guerre avec l'assistance des dieux, puisqu'ils peuvent ébranler avec tant de promptitude de si hautes machines pour combattre de près ; nous remettons entre leurs mains nos personnes et nos biens. Nous ne demandons, nous n'implorons qu'une grâce. Si la clémence et la douceur de César, que nous avons entendu vanter, le portent à nous laisser la vie, qu'il ne nous dépouille pas de nos armes ; tous nos voisins sont des ennemis jaloux de notre courage ; comment, si nous livrons nos armes, pourrons-nous nous défendre contre eux ? Nous préférons, si tel doit être notre sort, souffrir tout du peuple romain que dépérir au milieu des supplices, par les mains de ceux dont nous avons été longtemps les maîtres -."
César, Guerre des Gaules, II, 32 :"À cette demande César répondit - que, plutôt par habitude que par égard pour eux, il conserverait leur nation, pourvu qu'ils se rendissent avant que le bélier touchât leurs murailles ; mais qu'il ne traiterait de la capitulation qu'après la remise de leurs armes : il fera pour eux ce qu'il a fait pour les Nerviens, et défendra à leurs voisins d'exercer aucun mauvais traitement contre un peuple qui s'est rendu aux Romains -. Quand on leur eut rapporté cette réponse, ils dirent qu'ils allaient obéir. Du haut de leurs murailles, ils jetèrent dans le fossé qui était devant la place une si grande quantité d'armes que le monceau s'élevait presque à la hauteur du rempart et de notre terrasse ; et cependant, comme on le sut par la suite, ils en avaient caché et gardé un tiers dans la ville. Ils ouvrirent leurs portes et restèrent paisibles le reste du jour."
César, Guerre des Gaules, II, 33 :"Sur le soir, César fit fermer les portes et sortir ses soldats de la ville, dans la crainte qu'ils ne commissent la nuit des violences contre les habitants. Ceux-ci, comme on le vit bientôt, s'étaient concertés d'avance, pensant qu'après leur soumission nos postes seraient dégarnis ou au moins négligemment gardés : une partie d'entre eux, avec les armes qu'ils avaient retenues et cachées, une autre avec des boucliers d'écorce en d'osier tressé, qu'ils avaient recouverts de peaux à la hâte, vu la brièveté du temps, sortent tout à coup de la place, à la troisième veille, avec toutes leurs troupes, et fondent sur l'endroit des retranchements où l'accès leur parut le moins difficile. L'alarme fut aussitôt donnée par de grands feux, signal prescrit par César, et on accourut de tous les forts voisins sur le point attaqué. Les ennemis combattirent avec acharnement, comme devaient le faire des hommes désespérés, n'attendant plus leur salut que de leur courage, luttant, malgré le désavantage de leur position, contre nos soldats qui lançaient leurs traits sur eux du haut du retranchement et des tours. On en tua quatre mille ; le reste fut repoussé dans la place. Le lendemain, César fit rompre les portes laissées sans défenseurs, entra dans la ville avec ses troupes, et fit vendre à l'encan tout ce qu'elle renfermait. Il apprit des acheteurs que le nombre des têtes était de cinquante-trois mille."
Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 3 :"Sur ces entrefaites, les Aduatiques, voisins des Nerviens et qui avaient la même origine et la même audace que les Cimbres, s'étaient mis en marche pour les secourir ; mais prévenus par la défaite des Nerviens, ils rentrèrent dans leur pays et abandonnèrent toutes leurs places, à l'exception d'une seule, qui était la plus forte et où ils se retirèrent. César l'attaqua ; mais ils le repoussèrent pendant plusieurs jours, jusqu'au moment où il s'occupa de la construction des machines. Tant que les Aduatiques virent les Romains couper des pièces de bois et les assembler pour former des machines, ils plaisantaient, parce qu'ils n'en connaissaient pas l'usage ; mais lorsqu'elles furent achevées et qu'on y eut amené, tous les côtés, des soldats pesamment armés, les barbares, qui n'avaient jamais rien vu de pareil, furent frappés de stupeur. Ils envoyèrent une députation à César pour demander la paix, firent porter à ses soldats tout ce dont ils avaient besoin et jetèrent du haut des murs une partie de leurs armes. Puis, ayant vu ces machines dégarnies de soldats et remarquant que les Romains s'abandonnaient à la sécurité qu'inspire la victoire, ils se repentirent de leur démarche, reprirent leur audace et firent une sortie, pendant la nuit, dans l'espérance de les surprendre et de les tailler en pièces. Mais ils allèrent donner contre les avant-postes ; car César veillait constamment à tout, et leur tentative échoua. Aucun de ceux qui échappèrent à la mort n'obtint grâce : ils furent tous vendus."